Afrique: Marx avait raison

« À la fin de l'histoire tout homme sera poète », confessait Karl Marx. Et pour cause ! Parmi les livraisons de la rentrée littéraire du mois de septembre dernier, en France, figure un ouvrage qui a tendance à faire grand bruit : « Ils savent que je sais tout : ma vie en Françafrique ». Son auteur, Robert Bourgi, revendique une longue présence dans les couloirs des Palais présidentiels français et africains, soulignant par le menu avoir partagé et, sans doute pendant une bonne période de quarante ans, gardé par devers-lui les petits secrets de leurs illustres occupants.

Lesquels secrets ? Quand ces derniers, insiste-t-il, parlaient argent, campagnes électorales, choix des hommes de main, arbitrages complexes sur qui devait faire quoi, notamment dans cette partie de l'Afrique qui s'exprime dans la langue de Molière où, en fonction des circonstances, la prestigieuse « enceinte » décidait quel compagnon pouvait être gardé au chaud pour service rendu ou à rendre. Tout en faisant en sorte que le grand public soit tenu à l'écart de ces arrangements tant qu'ils relevaient de cercles d'initiés.

Interrogé par la presse à la sortie de son livre, l'homme de 79 ans, qui vit le jour à Dakar, au Sénégal, a mentionné le nom, quand ce n'est le petit nom des dirigeants de l'Hexagone, et de leurs homologues du continent africain, montrant le côté parfois bon enfant des liens qui les unissaient ; parfois plus surréaliste tel le cas de la Côte d'Ivoire, entre les présidents Nicolas Sarkozy et Laurent Gbagbo. D'après l'auteur, le second aurait payé de son fauteuil pour n'avoir pas répondu à l'injonction du premier concernant l'issue de la présidentielle de 2010.

A un certain moment de la vie, tous les tabous tombent l'un après l'autre. Dans le cas présent, il s'agit de la vie d'un homme du sérail, si on peut dire, qui a décidé en quelque sorte de quitter tous ses amis d'enfance, et si certains parmi eux le voient dire, d'autres par contre n'étant plus de ce monde ne peuvent l'écouter. Un peu comme s'il délibérait : « j'ai eu ce que j'ai eu, et peu importe si, de ces amitiés profondes ou non, dont néanmoins j'ai tiré parti, il en reste encore quelque chose ».

Au fond, les livres éduquent à plusieurs titres. Comme révélateurs de comportements magnifiques ou simples, ils permettent, avec du recul, de corriger des certitudes parfois chevillées au corps, mais finalement aussi de se dire que tout est relatif : dans les palais, dans les chaumières, ou dans les prisons, les vies ont leur part de gloires, de folies, de privations, de besoins de reconnaissances et de pistonnages, et malheur à celui qui envie autrui simplement pour la position qu'il occupe.

D'une certaine manière, quand on attend des décennies pour déclarer qu'à l'occasion du scrutin de telle année, dans tel pays, le vainqueur était un autre candidat que celui que l'on a présenté tambour battant, que c'était bien lui, le témoignage perd de son amabilité. Peut-être pas pour l'histoire qui peut s'en délecter mais pour les conséquences sociales de la forfaiture supposée. Sur ce chapitre, malheureusement, nous n'avons certainement pas fini d'en apprendre de ceux qui, à la manoeuvre au moment des faits, s'occupent avant tout de gérer des « djémbés » pleins de billets de banque en se disant « tant pis ! ».

Quels enseignements tirer de ces épisodes rocambolesques de la fameuse Françafrique ? Apparemment que les marchands d'idées, qu'ils soient de l'école de tel ou tel mentor, sont comme des marchands d'armes, prêts à vendre au plus offrant, voire à vous en servir de médiocres quand bon leur semble. En tout état de cause, la vérité est que les souvenirs ressemblent à des flotteurs. Bons ou mauvais, ils sont insubmersibles !

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