La communication a ses limites que l'égocentrisme des politiciens ne connaît guère. À Maurice, le terme «accord historique» est à la mode, chacun cherchant à se l'attribuer pour maquiller des réalités peut-être moins reluisantes. D'un côté, le MSM se félicite de ses avancées sur le dossier des Chagos, de l'autre, l'alliance PTr-MMM-ND-ReA se targue d'un nouveau pacte «historique», bien que le Best Loser System, vestige d'un autre temps colonial, persiste encore, échappant à toute réforme véritable, sauf l'instant d'un mini-amendement au lieu d'un maxi changement.
Au cœur de ces luttes, les visages ne changent pas, les sourires se figent, les ambitions s'entêtent. Les candidats écartés de la course affichent des rictus crispés, tandis que le «body language» entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, vieux compères, n'a jamais retrouvé la souplesse perdue depuis leur déroute de 2014. Dix ans plus tard, les deux se rapprochent à nouveau, presque à tâtons, contraints de s'unir contre le MSM, mais la façade avait déjà craqué, fragilisée, il y a trois ans, par les flatteries adressées à Nando Bodha par un Paul Bérenger qui flirtait allègrement devant Ramgoolam. Une implosion était alors à prévoir, ne restait qu'à en deviner le moment.
Souvenons-nous de février 2021. Pourquoi l'opposition n'avait-elle pas rassemblé la presse pour célébrer le «succès» de la marche du 13 février de la même année, organisée en grande pompe avec l'appui de l'ex-Linyon Sitwayin de Bruneau Laurette ?Peut-être parce que les tensions étaient déjà à leur paroxysme, exacerbées par l'arrivée de Bodha dans les rangs de l'opposition.
Ramgoolam et Bérenger, tel un vieux couple connaissant les failles de l'autre, savaient parfaitement où appuyer pour provoquer l'explosion. Une alliance si fragile, rassemblant des ego hypertrophiés autour de la table de l'opposition, ne pouvait que se disloquer. Même Xavier Duval n'arrivait plus à contenir son irritation, et la venue tardive de Roshi Bhadain ne faisait que masquer brièvement la tension palpable entre le leader du PTr et celui du MMM.
La frustration de Ramgoolam vis-à-vis des sous-entendus de Bérenger devenait de plus en plus évidente, notamment lorsque ce dernier suggérait que Ramgoolam devrait finir ses jours politiques au Réduit, en tant que président de la République... et sans aucun pouvoir réel. C'est pourquoi, en 2021, Ramgoolam avait martelé : «Je ne compte pas step down et je partirai quand moi je le déciderai.» Une mise en garde claire à un Bérenger qui rêvait de pousser Arvin Boolell à la tête des Rouges après un éventuel départ de Ramgoolam. Mission impossible pour le «requin» et ses petits dinosaures.
Bérenger s'était tourné vers Nando Bodha, l'ancien pilier du MSM, espérant flatter son ambition de devenir Premier ministre hors de l'ombre des Jugnauth. Il était évident pour l'opinion que ce n'était ni le parcours ni la chevelure de Bodha qui séduisaient Bérenger, mais plutôt son appartenance à une caste influente, capable de façonner les Premiers ministres à Maurice, une obsession pour un Bérenger vieillissant, toujours à la recherche de la pièce manquante de son échiquier ethno politique. Alors que Bérenger préparait sans doute une sortie de l'alliance pour recentrer son parti, Navin Ramgoolam surprenait tout le monde en laissant l'un de ses députés annoncer sur une radio privée que «le PTr peut gagner les municipales seul». On imaginait mal Ehsan Juman lancer ce pavé sans l'aval du maître-artificier Ramgoolam. Et si Xavier Duval choisissait de temporiser - «Je vais en discuter avec Ramgoolam» - Bérenger, lui, piqué au vif, ne pouvait plus rester au sein de l'alliance. Ramgoolam, en ne démentant pas les propos de Juman, avait scellé le sort de cette entente fugace.
Mais Ramgoolam et Bérenger incarnent à merveille les Narcisse de la scène politique. Ils se nourrissent de leur rivalité, de cette certitude inébranlable d'être irremplaçables. Cet «ego enflé» les a guidés vers des victoires comme des échecs, mais il les conduit aujourd'hui à l'isolement. Au crépuscule de leur carrière, ils se retrouvent face à une question cruciale : qui prendra les rênes de leur parti en cas de défaite électorale ou de défaillance biologique ? Leur besoin de désigner un héritier ou une héritière devient urgent, mais les prétendants demeurent introuvables, tout comme l'est le souffle de renouveau promis par leur «Alliance du changement».
Dans cette incapacité à passer le flambeau, ces figures emblématiques montrent aux jeunes politiciens ce qu'il ne faut pas devenir : des gardiens inflexibles d'un passé politique, sourds aux aspirations nouvelles et fermés à l'idée de céder la place. Maurice mérite mieux que ces querelles d'ego et ces simulacres de ruptures historiques. Il est temps que le pays regarde vers l'avenir, vers des visages nouveaux et des idées fraîches, plutôt que de rester prisonnier des ambitions insatiables de ses anciens champions, propriétaires de partis et distributeurs de tickets.