À l'approche des élections générales prévues le 10 novembre, «l'express» redémarre sa série de reportages consacrée chaque jour aux différentes circonscriptions du pays. En ce dimanche, on s'intéresse aux no 6 et 7, où nous avons tâté le pouls des électeurs.
Jeudi, mi-journée. Anishta Booluck, 34 ans, vaque à ses occupations dans la boutique de produits surgelés qui l'emploie, à Roches-Noires. Ce village côtier est visité pour ses fascinantes grottes naturelles, abritant des oiseaux et chauves-souris rares, dont la cavePrincesse Margaret et ses impressionnantes marches. C'est aussi ici que l'ex-Premier ministre Navin Ramgoolam avait son fameux campement, qui n'est aujourd'hui qu'un amas de vieilles pierres. Durant le mandat du gouvernement sortant, Roches-Noires a également occupé l'actualité, avec le projet contesté d'hôtel de 90 villas et ville intelligente par le promoteur PR Capital. Projet mis de côté pour le moment.
le moment. Mère d'un enfant, Anishta Booluck a accueilli avec allégresse les différentes hausses de salaire prescrites par le gouvernement. Mais cette gaieté de cœur a été à chaque fois, de très courte durée face à la vie chère. «Je ne soutiens aucun parti politique. Ma réalité à moi est que tout a augmenté et c'est très difficile de finir le mois. Pa pe kapav fer progre. Si bann zafer ti mwin ser tou dimunn ti pou kontan», ose espérer Anishta Booluck.
En regagnant la route principale, non loin des tunnels de lave, nous croisons Lorianne, 31 ans. Au départ craintive que «bann-la vinn lev mwa ale si mo koze», Lorianne finit par se confier, à condition de ne pas la prendre en photo et de ne mettre que son prénom, qu'elle prend le soin de nous épeler. Au chômage depuis un mois, celle qui bat-bate en nettoyant et entretenant du matériel de cuisine et la vaisselle dans des hôtels lorsque la demande se présente, raconte qu'elle attendait justement un appel d'un établissement de la région ce jour-là.
Appel qui n'est jamais arrivé à l'heure de notre entretien. Lorianne est consciente que «pa res boukou pou eleksion», jour où elle ira sans faute accomplir son devoir civique ; mais la célibataire sans enfant n'est pas dupe : «Peu importe pour qui je voterai, ça ne changera en rien ma vie. Bann zafer touzour ser dan laboutik. Mo pena enn travay fix ek avek mo de frer, nou bizin lwe lakaz Rs 9 000 sak mwa», affirme-t-elle, sans ambages, avant de continuer sa route dans son village.
Plus loin, dans le centre de Rivière-du-Rempart, deux pensionnées papotent dans le magasin de chaussures de l'une d'elles. «Le pays a beaucoup progressé et nous les personnes du troisième âge, nous ne manquons pas d'activités. Sauf que la vie devient de plus en plus chère. La hausse de la pension ne suffit pas», témoigne sous le couvert de l'anonymat l'une d'elle, n'ayant jamais travaillé de sa vie. Son amie, une ex-clerical officer à la retraite depuis une douzaine d'années, mais qui tient le magasin de chaussures, renchérit, illico, incrédule. «De toute façon, on n'aura pas les Rs 20 000 promises par le Premier ministre d'un seul trait.»
Les deux, indécises par rapport au choix qu'elles auront à faire, le 10 novembre dans l'urne, s'accordent toutefois à dire qu'elles sont peinées de voir le manque de respect de certains jeunes à l'égard des personnes âgées à l'arrêt d'autobus, dans les transports publics, ainsi que l'ampleur qu'a prise le fléau de la drogue. «Enn gro problem sa. Pe trouv bann sezi me ladrog pe rant dan kolez. Bizin kontrole, pa les rantre.»
A l'entrée de Plaine-des-Roches, Jessica, une habitante de la circonscription, accepte de se livrer mais sans que son nom de famille ne soit divulgué. «Nou pe travay trankil ek ou kone kan koz kont ki arive», justifie-telle. Employée dans le secteur des services, elle est en faveur du changement car les hausses salariales n'ont fait aucune différence. «L'argent que l'on touche de plus à la fin du mois s'évapore aussi vite qu'il est arrivé tant tout est cher. Je n'arrive pas à mettre des sous de côté et je suis certaine que les prix vont continuer à grimper.» Cependant, elle ne peut qu'accueillir favorablement la mesure promise concernant la gratuité des médicaments pour tous par le gouvernement sortant, l'alliance de l'opposition, elle, ayant ciblé les personnes âgées. «Seki bon, trwaziem az pa pou bizin peyy medsinn. La, zot pension pe fini ladan mem».
Aisha, 40 ans, une autre électrice du no 7, affirme, elle, à cœur ouvert, sa satisfaction par rapport à ce qui a été accompli par gouvernement sortant. Issue d'une famille qui a toujours soutenu le MSM, cette coiffeuse- esthéticienne souhaite la continuité après l'amélioration des salaires et de la pension de vieillesse. De conclure, néanmoins, que les autorités doivent toutefois redoubler d'efforts dans le combat contre la drogue qui brise tant de vies et déchirent des familles.
En attente d'une vie meilleure
Le village de Plaine-des-Papayes compte parmi ses 7 964 habitants - chiffres de 2022 - la ministre Kalpana Koonjoo-Shah, élue ici en 2019. Lors de notre tournée, les rares maraîchers que nous croisons préfèrent garder le silence, craignant des répercussions. À l'entrée d'une boutique, Kishan, 40 ans, de retour à Maurice après une dizaine d'années passées à l'étranger, déplore l'état d'abandon du village et le non-respect des promesses faites lors de la campagne électorale il y a cinq ans. «Ces dix dernières années, je n'ai vu aucun développement au niveau des infrastructures. Au contraire, la situation a empiré. Chaque matin, quitter le village pour rejoindre l'autoroute est une véritable corvée, à cause des embouteillages.»
En sus de ce problème, il déplore le sentiment d'insécurité qui règne dans la région, rappelant que plusieurs meurtres y ont été recensés, alors que cela n'était pas le cas auparavant. «Nous faisons face à un sérieux problème de drogue. Les jeunes sont de plus en plus nombreux à sombrer, et la situation est grave ici», affirme-t-il, mettant cela sur le manque d'encadrement et d'opportunités d'emploi. Kishan se dit également outré de ne pas avoir vu les élus de la circonscription sur le terrain, ces derniers réapparaissant seulement à l'approche des élections générales. Bien qu'il n'ait aucune information sur les candidats, il espère qu'ils seront présents et œuvreront réellement pour leurs mandants. Selon lui, seuls ceux qui ont travaillé pour la circonscription méritent d'être élus, et les partis politiques devraient choisir des candidats «aux mains propres».
À Mapou, où se situent le conseil de district de Rivièredu-Rempart et un collège d'État construit dans les années 2000, Bizlal Mohesh, 78 ans, président du village, déplore les promesses non tenues par le gouvernement sortant. «Ils n'ont rien fait pour Mapou et ne se sont jamais montrés ici», regrette-t-il. Très critique envers le secrétaire parlementaire privé sortant, Rajanah Dhaliah, Bizlal Mohesh ne croit pas que les prochains candidats du MSM apporteront quelque chose de plus s'ils sont élus. «On attendait la construction d'un jardin d'enfants, mais nous n'avons rien vu venir.» Il n'oublie pas, dit-il, que les chômeurs de son village ont été discriminés par rapport aux opportunités d'emploi, ces dix dernières années.
Par ailleurs, la route reliant Mapou à Piton était très accidentogène, jusqu'à l'installation récente de lampadaires et de panneaux de signalisation et jusqu'au réaménagement de la chaussée. À Piton, Clyde Vasoodaren, 21 ans, explique que, bien que certaines promesses aient été tenues, comme la construction d'un terrain de futsal, les députés se font rares sur le terrain. Pour lui, Piton est relativement épargné par les problèmes de drogue et de criminalité.
Il souhaite que les prochains candidats viennent à leur rencontre afin qu'ils puissent mieux les connaître. «Si le candidat nous comprend, nous en ferons de même. Il est essentiel de savoir pour qui nous votons, car notre avenir est en jeu», affirme-til. À l'Espérance-Piton, c'est le calme plat. Vassoo Nuchetram, en promenade pour se dégourdir les jambes, constate que le village n'a pas beaucoup changé ces dix dernières années. «Nous entendons parler de développements dans d'autres villages, mais ici, rien...»
Dans le village de Poudred'Or-Hamlet, certains habitants sont animés par un sentiment de révolte. Sous la varangue d'une boutique, Jeeten, père de famille, attend un van pour se rendre au travail. Après huit ans passés sur un bateau de croisière, il est revenu avec l'espoir d'une vie meilleure, mais la réalité est tout autre. «Les différents gouvernements promettent ce qu'ils veulent, mais une fois au pouvoir, rien ne change. C'est vrai que le pays s'est développé, mais la vie est devenue trop chère.» Malgré les augmentations salariales, de nombreux jeunes préfèrent partir à l'étranger pour des rémunérations plus attractives.
Jeeten regrette l'absence des députés sur le terrain pendant leur mandat et espère voir des infrastructures, telles qu'un jardin d'enfants, être construites. Il s'inquiète aussi de la montée du fléau de la drogue parmi les jeunes, phénomène qui n'avait pas une telle envergure auparavant. Prakash P, un ébéniste, critique également les lourdes pénalités fixes imposées par le gouvernement. «Une infraction mineure ne devrait pas être sanctionnée par une amende exorbitante», estime-t-il. Malgré ses critiques, il reconnaît que des projets ont été réalisés, mais regrette que les élus disparaissent une fois les élections passées.
À Cottage, la grogne est grandissante. Une dizaine de personnes âgées expriment leur frustration face au manque d'infrastructures. «Nous jouons à des jeux de société ici depuis 40 ans. Aucun député n'a jugé bon de construire un lieu de rassemblement pour nous», s'indigne un sexagénaire. «Nous n'avons jamais vu un député depuis 2019 », regrettent-ils. Au fur et à mesure que progresse la conversation, le groupe exprime une forte colère envers les députés sortants, leur reprochant un manque de considération. Malgré l'augmentation du montant de la pension, ces personnes âgées regrettent que le prix de tous les produits alimentaires continue de grimper, ce qui épuise leurs ressources.
À Amitié-Gokhoola, malgré des développements comme un Wellness Centre, un jardin d'enfants et un terrain de volleyball transformé, nombreux sont ceux qui qualifient ces aménagements d'«éléphants blancs». À Gokhoola, le centre de bien-être, par exemple est à l'abandon, s'insurge Steeve D. Un peu plus loin, à Amitié, la création d'un conseil de village est saluée, mais une colère palpable émerge chez ceux qui se sentent laissés-pour-compte. «Nous ne pouvons pas parler car nous avons peur. On craint que quelque chose puisse nous arriver si nous nous exprimons», déplore un jeune. Le terrain de football récemment construit attire, ajoute-t-il, rarement les jeunes, car beaucoup sont tombés dans le fléau de la drogue...
2 523 électeurs de plus
Avec 46 516 électeurs enregistrés pour cette joute électorale, en comparaison aux 43 993 de 2019 et 43 079 e 2014, la circonscription no 7 comprend les villages de Plaine-des-Papayes, Piton, Belle-Vue Maurel, Rivièredu-Rempart, Amaury, Amitié, Gokhoola, Mon-Loisir, Plaine-des-Roches, Roches-Noires, Pointe-des-Lascars, Poudre-d'Or-Hamlet, Panchvati, Petite-Julie, l'Espérance-Trébuchet et Cottage.
La dernière fois que des candidats du Parti travailliste ont été élus dans cette circonscription - considérée comme le fief de feu sir Anerood Jugnauth (SAJ) - c'était lors des législatives du 5 mai 2010, alors que les Rouges étaient en alliance avec le MSM et le PMSD. Balkissoon Hookoom et Deva Virahsawmy étaient arrivés en 2e et 3e position respectivement, derrière Prateebah Bholah, alors candidate du MSM.
Les législatives du 10 décembre 2014 avaient vu l'écrasante victoire du trio SAJ-Vishnu Lutchmeenaraidoo- Ravi Rutnah de l'Alliance Lepep. Celles du 7 novembre 2019 avaient consacré Maneesh Gobin et deux néophytes, en l'occurrence Rajanah Dhaliah et Kalpana Koonjoo-Shah. Des trois, seule la fille de feu l'ex-ministre de la Pêche Prem Koonjoo, repart avec un ticket pour ces élections générales de 2024, mais elle a été parachutée au no 11 (Vieux-Grand-Port-Rose-Belle), circonscription où son père a été élu en 3e position en décembre 2014, devançant Arvin Boolell par 1 860 voix.
Les candidats actifs sur le terrain
L'état-major du MSM a placé sa confiance en la ministre de l'Éducation Leela Devi Dookun-Luchoomun, élue en 2014 et 2019 au no 8 aux côtés de Pravind Jugnauth, puis, l'ex-ambassadeur mauricien à Washington Mahen Jhugroo et Ravi Yerrigadoo, ex-Attorney General contraint à la démission le 13 septembre 2017 dans le sillage de l'Affaire Bet 365 ayant trait à des allégations de blanchiment d'argent. Un scandale dont le dénouement est toujours flou.
Du côté de l'Alliance du changement, si rien n'est définitif encore, Kaviraj Sukon, qui a été vu aux côtés de Raj Pentiah et de Nitin Prayag dans la circonscription ces derniers jours, a démissionné, jeudi, comme directeur général de l'Open University.