En Afrique de l'Ouest, il est courant que les familles accueillent des enfants de manière informelle. Cela permet d'alléger la charge des parents et peut donner aux enfants des familles les plus pauvres une chance d'améliorer leur situation.
On estime que 20 % à 40 % des mères de la région ont envoyé au moins un enfant vivre dans un autre ménage pendant une période prolongée. Ce ménage joue le rôle de « parent social ».
L'éducation est l'une des principales raisons de cette pratique : les enfants peuvent se retrouver dans des ménages disposant de plus de ressources pour la scolarité ou situés plus proches des écoles.
Le caractère bénéfique ou néfaste de ce placement dépend de la volonté des familles d'accueil de soutenir et d'investir dans ces enfants.
La pratique du placement familial diffère des systèmes formels de placement familial qui sont courants dans de nombreuses régions du monde. En Afrique subsaharienne, les arrangements de placement sont généralement informels et non réglementés. En l'absence d'incitations légales ou économiques, les ménages d'accueil risquent de ne pas s'investir autant dans le bien-être des enfants placés, y compris dans leur éducation, que dans ceux de leurs propres enfants.
Ma recherche a étudié la relation entre le placement en famille d'accueil et la fréquentation scolaire. J'ai cherché à savoir comment cette relation a évolué dans le temps et si elle est influencée par le niveau de richesse du ménage d'accueil.
J'ai constaté que dans certains pays d'Afrique de l'Ouest, les enfants placés en famille d'accueil avaient moins de chances d'aller à l'école que les autres. De plus, les enfants accueillis par des familles plus aisées étaient les moins susceptibles d'être scolarisés par rapport à leurs pairs non placés.
Les résultats soulignent la nécessité de mettre en place ou d'améliorer les systèmes de suivi des enfants placés. Ils suggèrent qu'il faut approfondir la recherche sur le placement en famille d'accueil dans les familles plus aisées.
Comparaison de l'évolution dans le temps
La recherche s'est appuyée sur des données provenant de cinq pays ayant réalisé des enquêtes similaires à une dizaine d'années d'intervalle, en 2005/06 et 2017/18. Il s'agit de la Gambie, du Ghana, de la Guinée-Bissau, de la Sierra Leone et du Togo.
L'échantillon comprenait 86 803 enfants âgés de 6 à 12 ans dont les parents biologiques étaient vivants. L'analyse a comparé le taux de scolarisation des enfants placés en famille d'accueil à celui des enfants non placés en famille d'accueil au cours des deux périodes.
En 2005/06, 16,7 % des enfants de l'échantillon étaient placés en famille d'accueil. En 2017/18, ils étaient 19,4 %.
Je m'attendais à ce que les enfants accueillis soient moins susceptibles de fréquenter l'école que les enfants non accueillis. En effet, il est possible que les raisons pour lesquelles les parents envoient leurs enfants ne correspondent pas exactement à celles pour lesquelles les ménages d'accueil acceptent de les accueillir.
Je m'attendais également à ce que l'écart du taux de scolarisation entre les enfants placés et ceux qui ne l'étaient pas diminue au fil du temps, en raison de l'introduction de politiques de gratuité de l'enseignement primaire.
Cependant, les résultats ont révélé qu'en 2017/18, les enfants placés étaient beaucoup moins susceptibles de fréquenter l'école qu'en 2005/06. En 2017/18, les enfants placés étaient 0,49 fois plus susceptibles d'être scolarisés que ceux qui ne l'étaient pas, alors qu'en 2005/06, il n'y avait aucun écart entre les deux groupes.
Je m'attendais également à ce que les ménages plus aisés soient en mesure d'investir davantage dans les enfants, qu'ils soient placés ou non.
Or, ce n'est pas le cas. Ce n'est que dans les ménages d'accueil les plus pauvres que les enfants accueillis étaient plus susceptibles d'aller à l'école en 2005/06 et en 2017/18 que les enfants non accueillis. Dans les ménages plus riches, les enfants placés en famille d'accueil étaient confrontés à de plus grandes difficultés de scolarisation à mesure que la richesse du foyer augmentait.
Des inégalités inquiétantes
Ces résultats sont inquiétants car ils suggèrent que les familles les plus riches pourraient accueillir des enfants non pas nécessairement pour améliorer leur bien-être, mais pour les utiliser pour les tâches ménagères. Certaines recherches indiquent que les décisions des ménages d'accueillir des enfants sont motivées par la demande de travail des enfants, ce qui pourrait empêcher les enfants placés de fréquenter régulièrement l'école.
Il est également possible que les parents pauvres n'aient pas le pouvoir d'intervenir si les ménages d'accueil plus riches perturbent l'éducation de leurs enfants.
Les résultats indiquent que la proportion d'enfants ayant déjà été scolarisés a augmenté au cours des deux périodes. Cependant, le fait que plus d'un dixième des enfants de l'échantillon n'aient jamais été scolarisés au cours de la période la plus récente indique que la mise en oeuvre des politiques de gratuité de l'éducation pose des problèmes.
Ces défis sont notamment les suivants :
- des demandes concurrentes pour le temps des enfants dans les ménages où le travail des enfants est nécessaire
- l'incapacité des ménages à payer le transport, les livres et les uniformes.
La disparité observée dans la fréquentation scolaire en fonction du statut familial, en particulier pour les ménages les plus riches, met en évidence l'inégalité dans l'éducation. Cela a des conséquences sur l'atteinte de l'Objectif de développement durable 4, qui vise une éducation équitable. L'Union africaine a déclaré 2024 Année de l'éducation, soulignant ainsi l'importance de la scolarisation de tous les enfants du continent.
Pearl S. Kyei, Senior lecturer, University of Ghana