Créé en 2008, l'Institut national des hautes études internationales (INHEI) est un véritable tremplin pour la formation diplomatique au Burkina. Dans cette interview accordée à Sidwaya, le Directeur général de l'Institut, Poussi Sawadogo dit Boussoum-kiog Naaba ou le coordonnateur de l'éducation traditionnelle dans le royaume de Boussouma, revient sur les missions de l'Institut dans un contexte marqué par un repositionnement géopolitique du Burkina.
Sidwaya (S) : Comment se porte l'Institut national des hautes études internationales (INHEI) ?
Poussi Sawadogo (P.S.) : L'INHEI se porte bien et il est important de souligner que cette santé est d'abord juridique, car nous sommes dans une dynamique de relecture des statuts de l'Institut afin d'ajuster nos missions et objectifs à la réalité actuelle. Nous sommes dans un monde en constante mutation. Nous formons pour l'international et avec toutes les évolutions qui se présentent, les statuts d'il y a une dizaine d'années ne s'accordent plus avec la réalité d'aujourd'hui. En tant qu'organisme vivant, nous sommes en train de revoir nos statuts.
Sur le plan institutionnel également, l'INHEI fonctionne bien. Nous avons un conseil d'administration qui se réunit deux fois par an de façon ordinaire et qui se saisit de façon extraordinaire des dossiers au cours de l'année, selon les exigences et l'importance des dossiers.
Nous avons aussi un conseil scientifique qui fonctionne très bien et une direction générale qui est chargée au quotidien de la coordination. Donc, au niveau institutionnel, l'INHEI se porte très bien.
En matière de ressources humaines également, nous avons eu l'accompagnement de notre ministère à savoir celui des Affaires étrangères. Quand j'arrivais ici, il y avait un seul fonctionnaire diplomate. Mais aujourd'hui, nous avons au moins quatre fonctionnaires diplomates en service ici et d'autres personnes spécialisées comme la communicatrice et le directeur de la recherche qui sont venus appuyer l'équipe. Nous n'avions pas plus de six fonctionnaires avant mais, aujourd'hui, nous avons pratiquement une douzaine qui nous accompagne. Désormais, nous avons des ressources humaines non seulement en quantité suffisante, mais aussi en qualité satisfaisante.
Par rapport aux ressources financières, le budget qu'on nous donne nous permet de fonctionner de manière acceptable. Mais à notre niveau, nous faisons des efforts pour avoir des recettes propres afin d'augmenter le taux de nos ressources propres.
Quand je suis arrivé, les recettes propres tournaient en dessous de 5% de notre allocation globale. Aujourd'hui, nous tentons de franchir les 5% et si tout se passe bien, nous pourrons à un moment donné tendre vers les 15-20% de recettes propres. Mais cela demande encore plus d'efforts, de sacrifices et d'organisation.
La santé d'un institut comme le nôtre dépend aussi des infrastructures. Et à ce niveau, des efforts sont en train d'être faits. Le bâtiment dans lequel nous nous trouvons est un bâtiment que nous avons commencé à construire depuis 2014, qui n'est pas encore terminé. Mais d'ici à la fin de 2024, nous devrons le terminer et le rendre davantage plus opérationnel. Il y a aussi la réfection du bâtiment pédagogique qui est en cours pour permettre de mener les activités pédagogiques avec plus d'aisance.
Nous avons même un Centre international de négociations en construction. La première phase a été faite. Il reste la finition et la troisième phase qui va consister à réaliser un premier niveau au-dessus de ce qui a déjà été réalisé. En résumé, sur le plan des infrastructures, nous sommes un institut en construction.
Un institut comme le nôtre a aussi un grand défi au niveau du parc auto. Nous avons un parc auto vieillissant, mais au fur et à mesure que la stabilité financière va être à son niveau, nous pourrons le renouveler. Au niveau du matériel informatique, nous ne pouvons pas faire avancer les choses si nous n'avons pas un matériel informatique conséquent. Et là aussi, à part quelques problèmes avec les photocopieurs, chaque responsable dispose d'un ordinateur portable. Ce qui permet d'être à l'aise dans le travail.
Il y a un autre aspect qui peut être à la fois un avantage et un inconvénient. Pour moi, c'est plus un avantage qu'un inconvénient. C'est le fait que nous soyons hors de la ville de Ouagadougou. Cela crée des distances supplémentaires et des dépenses pour ceux qui doivent quitter Ouagadougou et venir à l'Institut. Mais une fois qu'on est là, on est dans un environnement décalé de l'ambiance de Ouagadougou et on peut travailler en toute tranquillité. Malgré le défi de la distance, nous sommes dans un environnement propice au travail intellectuel, à la formation et à la réflexion.
S : Quelles sont les principales missions de l'Institut ?
P.S. : Nous avons quatre missions principales. La première est la formation initiale, la deuxième la formation continue, la troisième la culture de l'international et la dernière la recherche action.
Concernant la formation initiale, nous avons deux cycles à savoir le cycle B qui forme les secrétaires des affaires étrangères et le cycle A qui forme, les conseillers des affaires étrangères. Et quand on dit secrétaire des affaires étrangères ou conseiller des affaires étrangères, ils sont destinés à être employés aux affaires étrangères. Mais nous avons aussi ouvert nos cycles à des inscrits sur titre.
A partir de cette année, nous recevons deux fonctionnaires de la mairie de Ouagadougou qui viennent pour le cycle B, celui des affaires étrangères. Cela vise à les initier à la diplomatie, aux relations internationales, à la coopération, notamment celle décentralisée, en vue de servir la commune dans ce volet de coopération décentralisée.
Le cycle B, au bout de 21 mois de formation, donne droit au Certificat d'études intermédiaires en diplomatie et relations internationales. Pour le cycle A, elle donne droit au Diplôme d'études supérieures en diplomatie et relations internationales (DESDRI). Donc ceux qui font le cycle A, quand ils sortent, ils rentrent aux affaires étrangères comme conseillers des affaires étrangères. Mais ceux qui viennent par inscription sur titre et sortent avec le DESTRI peuvent intégrer une organisation internationale, une ONG, etc.
La plupart du temps, ce sont des professionnels qui entrent avec un master pour faire le DESTRI en vue de donner simplement une dimension internationale à leur carrière. Eux, ils n'ont plus une préoccupation de diplômes académiques mais se soucient de se perfectionner, d'avoir des compétences en diplomatie et relations internationales.
Il n'y a donc pas de problème de réintégration pour eux comparativement aux étudiants qui n'ont que la licence et qui viennent faire deux ans. Comme c'est une école professionnelle, ils ne peuvent pas avoir une reconnaissance du CAMES à partir du diplôme d'une école professionnelle. Par conséquent, nous avons demandé à ceux qui veulent intégrer l'école pour le DESTRI d'être déjà titulaires d'un master reconnu par le CAMES. En ce moment, la personne vient seulement pour avoir la formation en diplomatie et relations internationales.
La formation continue quant à elle dure entre cinq jours et trois mois et donne droit, si c'est seulement cinq jours à une attestation et si c'est trois mois à un certificat. Ces formations sont destinées non seulement aux agents du ministère des Affaires étrangères qui sont dans un permanent apprentissage, mais aussi aux fonctionnaires des autres administrations publiques, aux particuliers qui veulent renforcés leurs compétences dans le domaine de la diplomatie, des relations internationales, de la géopolitique et aux organisations internationales et même aux ambassades qui résident au Burkina.
Ils peuvent aussi être intéressés au renforcement de leurs capacités dans ce domaine. En bref, ce sont des modules que nous offrons qui permettent aux acteurs qui sont intéressés par l'international de renforcer leurs compétences peu importe leur provenance.
Ensuite, la culture de l'international. Nous sommes un Institut orienté vers l'international, la formation en diplomatie. Notre objectif est de permettre aux Burkinabè peu importe leur affiliation professionnelle ou leurs positions dans la vie de comprendre l'international.
Donc la culture de l'international, c'est simplement permettre à tous les Burkinabè qui s'intéressent aux questions internationales et diplomatiques, de bénéficier souvent de conférences, d'ateliers et de formations brèves sur les questions internationales. C'est ce genre d'ateliers, de séminaires et de conférences qui permettent d'avoir des connaissances sur l'international. Et nous profitons par exemple de l'opportunité d'un séjour du Secrétaire général des Nations unies ou d'un fonctionnaire international pour organiser ce type d'activité.
On peut aussi solliciter un ambassadeur qui a une certaine expérience pour venir la partager avec la communauté burkinabè intéressée par les questions internationales. En définitive, la culture de l'international permet de comprendre comment le monde fonctionne en fonction des intérêts, des rapports de force, du droit international et des positions géopolitiques et idéologiques. Le monde est organisé, divisé souvent en espaces et fonctionne selon des règles.
La diplomatie est un métier d'influence, de réflexion, de partenariat et de relation. Et pour mieux exercer ce métier, il faut comprendre l'ordre, les dynamiques, les intérêts et les rapports de force. Cette compréhension exige une réflexion scientifique et c'est pour cela que nous faisons la recherche action pour soutenir la dynamique diplomatique du Burkina et actuellement avec la création de l'Alliance des Etats du Sahel (AES), la dynamique de réflexion, d'interrogation, de questionnement doit porter sur cette entité qui se veut un espace géopolitique dans une dynamique mondiale. Voici les principaux axes autour desquels, nous travaillons au quotidien pour que le Burkina puisse disposer de quelques matières pour agir en conséquence avec l'international.
S : Au regard de vos missions, quel peut être l'apport de votre Institut au développement du Burkina ?
P.S. : Si, nous prenons la formation initiale, nous formons les diplomates et si nous arrivons à bien le faire, ils vont mieux gérer les relations d'amitié et de coopération entre le Burkina et les pays partenaires et entre le Burkina et les organisations internationales partenaires. La diplomatie est le support du développement, que ce soit le développement politique, celui économique ou encore culturel. Nous devons former des compétences qui pourront, une fois qu'elles sont aux affaires étrangères ou dans nos missions diplomatiques ou postes consulaires, bien gérer l'amitié et la coopération entre le Burkina et les partenaires, que ce soit des partenaires étatiques, des organisations internationales ou non gouvernementales. La formation continue permet de mieux comprendre et s'adapter au monde.
Quant à la culture de l'international, elle permet de développer un dialogue interculturel et de découvrir les civilisations du monde. Elle permet aussi de développer des partenariats et créer des vocations. Si par la culture de l'international un jeune burkinabè décide de faire une carrière internationale, il y aura toujours un retour pour le Burkina Faso parce que les fonctionnaires internationaux sont des appuis conséquents au développement du pays. La culture de l'international permet de créer des vocations afin que les jeunes burkinabè qui vont à l'international soient aussi des supports de développement pour le Burkina Faso.
La recherche action quant à elle soutient le développement à travers les réflexions sur certaines questions. Nous avons par exemple déjà réfléchi sur l'AES et comment cette Confédération peut émerger et occuper une place en tant qu'acteur économique, politique et culturel en Afrique de l'Ouest. Nous avons également réfléchi aux 60 ans de relations entre le Burkina et le Canada, qui est un partenaire au développement pour notre pays. Tout récemment, nous avons réfléchi sur les relations entre la Chine et l'Afrique.
Le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) a eu lieu, il n'y a pas longtemps et le Burkina y a pris part à travers une délégation conduite par le Premier ministre. A ce genre de rencontre, ce sont des questions de développement qui sont portées et par conséquent, à travers la recherche action, nous pouvons donner des orientations, des conseils, des idées pour que les acteurs étatiques et non étatiques, puissent mieux tirer profit des opportunités qu'offrent ce type de rencontres.
S : Vous revenez très souvent dans vos réponses sur la recherche action. Pouvez-vous définir ce concept en quelques mots ?
P.S. : La différence entre la recherche action et celle fondamentale, est que la recherche action est une réflexion qui peut être stratégique ou scientifique, mais elle vise avant tout l'action. Ses résultats doivent être immédiatement applicables. C'est une recherche pour agir au-delà de la recherche fondamentale où
on réfléchit à des résultats qui ne sont pas immédiatement opérationnalisables. Les résultats de la recherche action doivent être opérationnalisés immédiatement.
S : Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?
P.S. : Je parlerai plutôt de défis parce qu'en réalité, moi je les considère comme des défis. Et pour moi, la principale difficulté actuellement est la santé du pays. Quand vous êtes dans un pays qui connaît des difficultés jusqu'à ce niveau, vous devez taire vos propres difficultés. Je viens de la région du Centre-Nord et nous avons tous suivis ce qui s'est passé à Barsalogho, il n'y a pas longtemps. Donc, ce n'est pas un Institut comme le nôtre situé à Ouagadougou qui va se plaindre de difficultés. C'est vrai qu'on peut dire que nous n'avons pas de ressources financières. Mais, il faudrait que nous apprenions à faire beaucoup avec peu, c'est à dire à être efficients. Parce que si nous ne pouvons pas réfléchir à faire certaines choses de façon grandiose, ça peut être très difficile parce que les attentes de l'état sont tellement immenses.
Donc le grand défi pour moi, c'est de concilier le manque de ressources à notre ambition de créer une grande école, à la disposition de l'AES, de l'Afrique de l'Ouest et du monde. Je suis issu d'une école panafricaine qu'on appelle l'IRIC. C'est l'Institut des relations internationales du Cameroun. Nous étions plusieurs africains à avoir fréquenté cette école, il y a 25 ans. Mais quand je regarde le rayonnement international de cette école aujourd'hui, c'est impressionnant. Si vous partez aux Nations unis ou à l'Union africaine, vous verrez que ce sont mes promotionnaires qui sont soient ambassadeurs, ministres des Affaires étrangères, etc.
Donc, aujourd'hui, c'est toute notre génération qui pilote la diplomatie africaine. Lorsqu'à un moment donné les apprenants qui sortent de votre école sont ceux qui gouvernent la diplomatie africaine voire mondiale, c'est une grande satisfaction pour les pays qui les forment. Aujourd'hui le Cameroun doit être très content de nous avoir formé pour qu'aujourd'hui nous-mêmes soyons à la tête d'écoles pratiquement à la même hauteur que l'IRIC. Je voudrais que dans 20 ans, l'INHEI soit une école qui rayonne au moins dans l'espace ouest africain. Parce qu'en Afrique de l'Ouest, il n'y a pas d'institution similaire à part au Nigeria.
Dans les pays francophones, les diplomates sont formés dans les Ecoles nationales d'administration. Le Burkina a tenté l'expérience d'avoir une école dédiée à la diplomatie de façon exclusive. Et si nous avons été pionniers, il faudrait qu'on mette les moyens pour attirer les autres à former leurs diplomates au Burkina Faso. Déjà, les diplomates de l'AES peuvent être bien formés ici en attendant de convaincre les autres pays de l'espace ouest africain.
Mais pour que cela puisse se faire, le plus grand défi c'est d'avoir une école diplomatique qui peut accueillir des étrangers, les héberger, les prendre en charge et avoir aussi un corps professoral d'un certain niveau qui peut accompagner la formation des diplomates et en faire des acteurs de la diplomatie africaine et mondiale.
Nous avons une très grande ambition mais en même temps nous avons des contraintes financières, de sécurité et de ressources humaines. Ce sont toutes ces contraintes que nous devons lever pour faire de l'INHEI une véritable école de diplomatie ouest africaine. Donc le défi que nous avons, c'est un défi de croissance, de grandeur et de rayonnement international.
S : Mais qu'est-ce que vous faites justement pour le rayonnement de l'Institut sur le plan sous régional et international ?
P.S. : Nous avons un certain nombre de projets car nous voulons devenir une école diplomatique de l'AES au service de l'intégration, du développement et de la paix. C'est important parce qu'une école de diplomatie doit être multiculturelle, multinationale et inter-étatique. Elle doit créer des ponts. A cet effet, si nous voulons être une école de l'AES, il faut qu'on puisse avoir des maliens et nigériens qui participent au Conseil d'administration. L'autre projet est celui des infrastructures.
Nous voulons d'abord achever nos chantiers en cours, notamment la réfection du bâtiment pédagogique et terminer la construction du bâtiment administratif, du Centre international des conférences, construire une cité pour héberger les étudiants venant de l'extérieur et avoir une maison des hôtes pour que les enseignants qui viendront dispenser les cours puissent être logés comme s'ils étaient dans des hôtels et avoir le nécessaire pour leur séjour.
Quand vous rentrez à l'Institut, vous vous rendez compte que nous sommes dans une nature sauvage. Il faut que nous sachions préserver cette nature pour avoir un écosystème particulier qui nous permette de croire en nos ambitions de concilier un environnement naturel et une éducation d'excellence en matière de diplomatie et de relations internationales.
Il nous faut également disposer d'infrastructures adaptées comme des laboratoires de langues. Le ministère des Affaires étrangères est en train de recruter des interprètes et traducteurs dans plusieurs langues comme l'anglais, le chinois, le russe, le turque, l'italien et bien d'autres. Si nous pouvons les recruter, il faudrait aussi qu'à un certain moment nous puissions les former.
C'est à dire qu'il faut que nous ayons les capacités d'accueillir ces professionnels en vue de renforcer leurs compétences et leur donner un contenu en rapport avec notre ambition diplomatique et notre politique étrangère pour qu'une fois qu'ils sont aux Affaires étrangères, ils soient des traducteurs au service de la politique étrangère du pays. Pour ce faire, il est essentiel que nous ayons des infrastructures adaptées.
Nous allons également entrer en contact avec les pays de ces langues pour voir comment ils peuvent nous appuyer pour que nous puissions disposer de laboratoires de langues d'un certain niveau. Imaginez que vous soyez en entretien avec des Chinois et que vous soyez obligés d'avoir des Chinois comme interprètes. N'oublions pas que lorsqu'on est interprète, on est aussi patriote. Il est donc important de disposer de traducteurs et d'interprètes burkinabè qui aiment le Burkina et connaissent la réalité du pays afin de l'accompagner à grandir à l'international. Ce projet est donc très essentiel pour nous.
Un institut comme le nôtre ne peut pas aussi être en dehors des ambitions et de la politique étrangère du pays. Et aujourd'hui, le pays est dans une dynamique de diversification des partenariats. Nous sommes aussi dans le même élan d'élargir nos partenariats. Je suis rentré récemment du Nigeria et de la Chine. Ces voyages entraient justement dans notre optique de diversification de partenaires. Parce que si on doit enseigner le russe, il faudrait que nous puissions être accompagnés par les russes pour avoir un laboratoire de langue et des outils d'enseignement du russe au Burkina.
Si nous devons continuer dans la diversification, il y a des organisations comme l'Union européenne avec lesquelles nous devons toujours continuer à travailler, de même que les américains, les canadiens, etc. Actuellement, le Maroc est un pays de référence en Afrique avec lequel nous pouvons avoir un partenariat solide dans le domaine de la formation diplomatique. Nous pensons également à l'Arabie saoudite, etc. Autant le pays est dans une dynamique de diversification des partenariats, autant nous, à notre niveau, devons être dans cet élan car la diversification va apporter une valeur ajoutée et améliorer la qualité de la formation diplomatique que nous voulons dans notre école.
S : Vous avez évoqué tantôt la politique de diversification des partenaires par le Burkina. Quelle appréciation le diplomate que vous êtes en fait-il ?
P.S. : Les mossis disent que si être seul est bon, être en nombre est encore mieux. Donc en termes de partenariat, la diversification est l'idéal. Parce que ce qu'un partenaire peut vous donner, l'autre peut ne pas pouvoir le faire. La diversification bonifie davantage notre action à l'international et nous rapporte plus. Il y a des partenaires qui sont forts dans la formation, d'autres dans la santé, les mines, etc.
Et puisque les besoins de l'Etat sont diversifiés, nous devons regarder en fonction de nos intérêts, ce que chaque partenaire peut nous apporter pour tisser des partenariats équitables où chacun gagne et des relations basées sur le respect de la souveraineté et de la dignité. Si ces préalables sont là je ne vois pas pourquoi on devrait s'inquiéter. Si un individu doit chercher plusieurs connaissances, pourquoi un Etat ne devrait pas chercher plusieurs relations ? C'est vraiment ce qu'il nous faut en tant que pays en voie de développement.
J'ai été dans un certain nombre de pays comme le Canada, les Etats-Unis, le Maroc, le Nigeria etc. Mais, j'ai remarqué que ce n'est pas la même dynamique économique dans tous les pays. Je suis rentré récemment de la Chine continentale et quand je prends Shanghai, par exemple, une ville de 24 millions d'habitants, la façon dont les habitants se conduisent en circulation est extraordinaire. Et c'est essentiel car tant que nous n'aurons pas une discipline par rapport à notre conduite, il sera difficile de nous développer.
S : Parlant justement de la Chine, comment le Burkina Faso peut-il tirer profit de la coopération avec ce pays ?
P.S. : Nous devons plutôt nous demander qu'est-ce que le Burkina peut offrir en rapport avec les intérêts de la Chine ? Parce qu'il y a dix actions qui ont été énumérées par le président chinois. Le Burkina doit regarder parmi les dix actions et voir quels sont ses projets majeurs dans le cadre de ces actions et qu'est-ce qu'il peut y gagner ! Parce que c'est un partenariat bilatéral où il faut tenir compte de ce que chaque partenaire peut gagner. Donc dans ce partenariat bilatéral, il faut d'abord que nous ayons des projets bien construits et solides.
Il est important d'avoir un programme économique, politique, culturel ou sanitaire qui s'aligne dans la vision de la Chine pour l'Afrique. Une fois que cela est fait, la Chine peut nous accompagner à avancer car elle se positionne aujourd'hui comme la deuxième puissance économique mondiale. Elle a la volonté et l'ambition de devenir la première puissance économique mondiale. Et pour devenir cette puissance économique mondiale, il faut que les africains avec lesquels elle est en partenariat soient des acteurs qui lui permettent d'atteindre son objectif.
Nous devons avoir cette vision de grandeur pour marcher avec les grands. Ce n'est pas la peine d'avoir une vision de mendiants parce que la Chine n'a pas besoin de mendiants. Elle a besoin d'acteurs qui peuvent l'accompagner à grandir davantage. L'international n'est pas une question de morale mais de rapport de force et d'intérêt.
La Chine a quatre grandes initiatives. Il y a l'Initiative La Ceinture et la route qui est une interconnexion de l'économie chinoise à celle mondiale. Il y a aussi la dimension civilisation mondiale que la Chine veut promouvoir. Mais dans cette dimension, qu'est-ce que le Burkina dans le dialogue des civilisations peut apporter à la Chine ? Notre pays a une culture ancienne que nous pouvons valoriser. Nos historiens ont déjà fait des travaux qui montrent que le Burkina est aussi un berceau des civilisations qui peut dialoguer avec un empire comme la Chine.
Il y a l'autre initiative qui est le développement mondial à travers laquelle la Chine s'inscrit comme un acteur d'accompagnement du développement mondial. Mais il faut savoir que la Chine ne va pas nous accompagner à nous développer, juste pour nous développer. Elle nous accompagne à nous développer pour contribuer à son propre développement.
Le dernier élément est la sécurité mondiale.
La situation dans laquelle se trouve notre pays nous interpelle tous et nous pouvons proposer des projets à des partenaires comme la Chine dans l'optique d'aider notre pays à retrouver la sécurité. Parce qu'il n'y a pas de développement de l'Afrique sans la sécurité et la paix. Et s'il n'y a pas de paix et de sécurité en Afrique, les investissements chinois en Afrique seront en péril. Par conséquent, la Chine a intérêt à accompagner le Burkina Faso et les pays de l'Afrique de l'Ouest à retrouver la paix et la sécurité.
S : Qu'est ce qui fait, selon vous, la différence entre le FOCAC et les autres initiatives comme la TICAD (Japon), Inde-Afrique, Etats-Unis-Afrique, etc ?
P.S. : Ce sont des initiatives plus ou moins similaires qui montrent déjà la lecture. Elles permettent de savoir déjà que l'Afrique a des opportunités et des atouts. Tous les pays qui pensent être des acteurs incontournables de la scène internationale savent qu'on ne peut pas laisser l'Afrique de côté. Il faut faire chemin avec elle. Les Africains également de leur côté doivent prendre conscience qu'ils sont importants et incontournables.
Ils sont assis sur des ressources et un potentiel inimaginable. Ils doivent donc être responsables et maîtres de leur destin. Maintenant, par rapport aux différences entre le FOCAC et les autres rencontres, quand vous prenez la TICAD, elle est organisée autour de l'Union africaine et centrée sur des chantiers de développement durable. C'est la Conférence de Tokyo sur le développement de l'Afrique. Les Japonais organisent la TICAD pour le développement de l'Afrique. C'est donc dire qu'ils se positionnent comme acteurs du développement de l'Afrique.
C'est un partenariat entre l'Union africaine et le Japon pour développer l'Afrique. C'est sur la base du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) que toutes ces initiatives ont été lancées et concoctées comme pour dire aux africains : « nous nous préoccupons de votre développement ». Il y a aussi des initiatives des Nations unies et de l'Union européenne pour le développement de l'Afrique. Mais là, on regarde l'Afrique comme un continent, un groupe. A la différence, les Chinois regardent chaque pays africain comme un partenaire à part entière.
C'est cela la nuance. Les Japonais, l'Union européenne, les Américains et autres regardent l'Afrique comme une globalité. Dans la dynamique de ces partenariats, il y a souvent du deux poids deux mesures où on fait prévaloir certaines valeurs au-delà de la réalité qui est que chacun est là pour son propre intérêt. Mais c'est aux africains d'être responsables et maîtres de leur destin parce que l'Afrique a des avantages comparatifs par rapport aux autres. Mais c'est aux africains de mettre en exergue ces atouts afin de tirer avantage des relations et partenariats avec les autres pays du monde.
S : Vous avez évoqué tantôt l'AES. L'INHEI a-t-il intégré ce nouvel « acteur » géopolitique dans ses programmes de formation ?
P.S. : Le 30 août 2024, nous avons animé un séminaire ici dont le thème était : « Confédération AES, nouvel acteur géopolitique ? ». Comme je l'ai dit au départ, nous sommes une école tournée vers le monde et vous comprenez que l'extérieur est dynamique. Les choses changent rapidement même dans notre sous-région. A partir de ce moment, il faut toujours actualiser les contenus, les programmes et prendre en compte toutes ces données.
Aujourd'hui, nous nous intéressons à comment cet acteur géopolitique peut rayonner à l'international à travers sa culture, son économie, etc. Si les trois Etats se sont mis ensemble, c'est qu'ils pensent pouvoir apporter une valeur ajoutée à la vie des populations du Sahel dans la lutte contre le terrorisme d'abord et dans le développement de façon globale.
S : Le Burkina est dans une dynamique de positionnement géopolitique. Quelle peut être la contribution de l'INHEI ?
P.S. : Si nous restons dans une dynamique d'accompagnement à travers la réflexion, la recherche-action, la formation des ressources humaines de qualité et la sensibilisation des populations dans le cadre de la culture de l'international, les choses peuvent s'améliorer. Le plus important, selon moi, est de rester dans nos missions et de faire notre travail de la manière la plus excellente possible. Si nous faisons notre travail, nous allons contribuer. Nous ne pouvons pas mesurer cette contribution parce que former les gens est un processus de long terme.
Peut-être que dans 15-20 ans, si vous partez à la session des Nations unies ou de l'Union africaine, vous verrez par exemple qu'un quart des diplômés sont issus de cette Ecole. En ce moment, nous pourrons dire que l'Ecole a un impact sur la diplomatie burkinabè. Nous avons également la responsabilité de réfléchir, d'orienter et proposer mais c'est l'acteur de terrain qui décide. Ce ne sont pas toutes les réflexions qui peuvent être mises en pratique. Mais, le plus important est que nous ne soyons jamais fatigués de réfléchir et proposer. Nous avons un rôle de réflexion et de proposition et nous devons l'assumer à tout moment.
S : Cette nouvelle forme de la diplomatie est-elle enseignée à l'INHEI ?
P.S. : L'enseignement à l'INHEI prend en compte plusieurs dimensions. Il y a les cours, les séminaires, les voyages et les mémoires qu'il faut rédiger. Actuellement, beaucoup de mémoires de nos étudiants touchent la question de l'AES. Ce qui veut dire que la nouvelle dynamique est prise en charge à travers les activités multiples que nous menons qui sont des activités pédagogiques, de réflexion, de sensibilisation, etc.
S : Quelle peut être la contribution des intellectuels et des chercheurs dans la compréhension de la nouvelle dynamique enclenchée par les trois chefs d'Etat de l'AES ?
P.S. : L'accompagnement des intellectuels est d'abord la réflexion. Un intellectuel, c'est quelqu'un qui réfléchit. Mais c'est aussi quelqu'un qui propose et qui se questionne. Quand le premier ministre dit par exemple qu'on va créer une compagnie maritime, c'est une vision. Mais, comment interroger cette vision pour qu'elle se concrétise ? C'est le rôle de l'intellectuel. J'ai l'impression aujourd'hui, à travers la dynamique, qu'il y a une peur du questionnement. Alors qu'il ne faut pas qu'on ait peur du questionnement.
Le plus important est que ce soit un questionnement pertinent, juste, qui fait avancer. L'intellectuel doit être quelqu'un qui questionne et qui trouve des solutions. Et même si la solution à première vue peut paraître utopique, il vaut mieux faire des propositions que d'être dans un espace où il n'y a pas de réflexion. Nous sommes dans une dynamique actuelle d'utopie où tout est possible. Il faut donc que la réflexion s'appuie sur cette utopie pour donner des traces d'actions parce qu'il ne suffit pas de rêver grand ! Il faut à un moment donné se réveiller et travailler. La réflexion est essentielle mais, elle doit aboutir à une action.
S : L'AES, ce n'est pas seulement les questions sécuritaires. Il y a aussi les questions de développement. En quoi la diplomatie peut-elle contribuer au développement endogène dans l'espace ?
P.S. : Le développement est essentiel. Il est vrai qu'au départ, l'AES a été créée pour être une force alternative et aider les trois Etats à collaborer sur le plan sécuritaire au regard de la situation qui prévaut. Mais en même temps, il faut continuer à vivre. Il faut développer les pays parce que même les raisons de l'insécurité sont aussi économiques. C'est donc dire qu'il faut absolument prendre en compte les questions de développement. Au regard des ambitions qui sont en train d'être énoncées, ce sont des idées qu'il faut rapidement passer à l'épreuve de l'action.
C'est pourquoi je trouve que c'est très important de savoir, par exemple, qu'il ait été mis en place à la présidence, un Bureau des grands projets et des actions qui permettent des contributions endogènes pour le développement. Lors du premier anniversaire de l'AES, le président malien a annoncé sur le plan économique la création d'un fond. Ce qui est appréciable car l'intégration économique de l'espace est très importante. Mettre tout ensemble, en vue de permettre à ce grand rêve d'un Sahel fort et développé de devenir une réalité.
S : On entend de plus en plus parler de diplomatie économique, de diplomatie de sécurité, de diplomatie climatique, etc. Pouvez-vous éclairer notre lanterne sur ces nouvelles formes de la diplomatie ?
P.S. : Au départ, la diplomatie se limitait aux relations entre Etats et dans les relations entre Etats, le plus visible est la dimension politique. Mais le monde est devenu complexe avec des domaines diversifiés et complexifiés. Dans cette complexification, il faut aussi que la diplomatie accompagne cette dimension.
Si on prend la diplomatie économique, il va de soi qu'un pays comme le Burkina puisse se lancer dans cette dynamique. La diplomatie économique c'est quoi ? C'est quand le pays décide, par exemple, d'être en veille. Mais la veille c'est quoi ? C'est le fait de voir par rapport au potentiel que nous avons sur le plan économique, quel type d'investisseur nous pouvons attirer. Il s'agit donc de veiller pour savoir quelles sont les opportunités qui sont ailleurs et dont nous pouvons tirer profit.
Il y a aussi la protection de l'information parce que quand vous êtes dans une dynamique de développement économique, il faut aussi savoir protéger certaines informations stratégiques et sensibles sur le plan économique. C'est pour cela qu'il y a de temps en temps des comportements qui sont plus ou moins protectionnistes. Et ce n'est pas seulement le propre des pays africains. La Chine se protège vis-à-vis des Etats-Unis, les Etats-Unis se protègent vis-à-vis de la Chine, les Européens se protègent vis-à-vis de la Chine et vis-à-vis des Etats-Unis.
C'est donc dire qu'il faut que cette question de la protection de l'information au niveau économique soit réelle.
Mais, il y a aussi la dimension du lobbying, parce que si vous ne faites pas de lobbying, vous n'allez pas avoir votre place dans le monde. L'influence est fondamentale. La diplomatie économique est celle qui permet aux acteurs économiques du Burkina d'aller vers le monde et aux acteurs économiques du monde de venir au Burkina. Le diplomate du Burkina doit travailler à l'internationalisation des entreprises burkinabè afin de permettre au pays de profiter des opportunités qu'offre le monde.
Il doit aussi faciliter des investissements directs extérieurs au Burkina. Il doit voir dans quel domaine le Burkina a besoin d'investisseurs et comment faire pour que des investisseurs étrangers puissent venir investir au Burkina. Au Burkina par exemple, quand un étudiant a le BAC, il rêve d'aller à l'international pour faire ses études. Mais nous pouvons avoir des collaborations avec des écoles de référence à l'international qui vont s'implanter au Burkina.
Au lieu que les étudiants burkinabè aillent là-bas se former, cela devient plus facile pour eux de bénéficier d'une formation de qualité sur place au Burkina. Et en même temps, cela permet aux burkinabè de ne pas dépenser des millions pour aller se former à l'extérieur, mais attirer l'extérieur au Burkina pour que les burkinabè puissent bénéficier d'une formation de qualité au Burkina. Parce que de toutes les façons, quand ils sont formés, c'est pour venir développer le Burkina.
Et à partir du moment où ils sont formés au Burkina, dans les réalités du Burkina, ils sont beaucoup plus utilisables au Burkina.
Par rapport à la diplomatie de la sécurité, un diplomate burkinabè doit faciliter l'action du pays dans le domaine de la lutte contre l'insécurité, le terrorisme, etc. Que ce soit au niveau bilatéral ou multilatéral, il doit voir quelles sont les initiatives qu'il peut prendre pour aider le Burkina à faire face à cette situation.
C'est cela la diplomatie de la sécurité. Que ce soit la question de l'armement, de l'expertise ou du renseignement, le diplomate burkinabè doit orienter les politiques à aller vers tel ou tel partenaire parce qu'il a un avantage comparatif dans tel ou tel domaine. Il y a des pays qui produisent des armes, mais qui ne sont pas forcément forts en renseignement. Vous avez aussi des pays qui sont forts en renseignement mais qui ne le sont pas en renforcement des capacités des acteurs qui doivent aller lutter. D'où l'intérêt de la diversification des partenariats dans le domaine de la sécurité.
Par rapport au climat également, la question climatique permet d'avoir un consensus mondial. Ce n'est pas autour du climat qu'on a beaucoup de divergences parce qu'on sait que le changement climatique touche tout le monde. Et à partir de ce moment, que ce soit les conférences au sommet ou d'autres initiatives locales ou internationales, la diplomatie climatique doit permettre à chaque pays de voir quelles sont les expériences des autres.
Les pays développés qui sont responsables des dérèglements climatiques doivent aussi être solidaires de ceux qui sont victimes.
Mais c'est dans le dialogue à travers la diplomatie climatique que les Etats peuvent trouver des consensus et des compromis. L'initiative panafricaine appelée la Grande Muraille verte s'inscrivait dans cette logique de lutter contre les changements climatiques.
Concernant la diplomatie digitale, aujourd'hui le monde est à la fois virtuel et réel. A partir de ce moment, il faut que les diplomates soient sensibilisés à savoir que la réplique du monde réel se trouve dans le virtuel afin d'éclairer les autorités en tenant compte de cette double dimension.