Une campagne électorale, c'est une affaire de gros sous. Tout comme lors des dernières législatives, il faut s'attendre à ce que des sommes colossales soient injectées par les deux principales forces politiques en lice qui sont engagées dans une course folle pour conquérir l'Hôtel du gouvernement.
Au regard de l'effet de l'inflation, qui a augmenté cumulativement d'environ 28,1 % depuis les élections générales du 7 novembre 2019, les fonds mobilisés par l'Alliance Lepep et l'Alliance du Changement devraient logiquement croître, au moins, proportionnellement à la hausse du coût de la vie.
Quand on parle de financement politique, on se heurte à une forme d'omerta. À Maurice, les partis politiques se taisent volontiers sur la liste de leurs généreux donateurs, qu'on appelle well-wishers dans le jargon politique. Jusqu'ici, toute tentative de la part des tenants du pouvoir d'amender la loi sur le financement politique a buté contre une pierre d'achoppement. La tentative du Premier ministre sortant de faire adopter en juillet dernier le Political Financing Bill, lequel faisait provision pour que (i) les limites des dépenses d'un parti soient rehaussées à Rs 1,5 million par circonscription et (ii) que le seuil des dépenses par candidat passe à Rs 1,5 million, s'est, comme l'on s'y attendait, soldée par un échec, en l'absence de consensus avec l'Opposition pour obtenir la majorité des trois quarts requis.
Ainsi, le texte de loi prévoyait qu'un parti alignant 60 candidats pourrait dépenser jusqu'à Rs 120 millions. Un chiffre beaucoup plus réaliste que les Rs 150 000 qu'un candidat d'un parti ou d'une alliance est autorisé à dépenser en vertu du Representation of People Act de 1958. Quoique le texte de loi sur le financement politique ait été présenté en catimini à l'Assemblée nationale sans une vraie consultation avec les partis politiques, il avait quand même le mérite de proposer un cadre pour réglementer les dons politiques émanant d'une entité privée et de fixer un seuil pour les dons en espèces.
Faute d'un texte de loi moderne sur le financement politique qu'aucun gouvernement n'a pu faire voter depuis notre indépendance, la présente campagne électorale sera une nouvelle fois placée sous le signe de l'opacité. Car, dans les faits, ce seront des centaines de millions, voire plus d'un milliard de roupies qui devraient être mobilisées pour ces législatives. L'esprit de militantisme de naguère qui faisait que des partisans se portaient volontaires pour fabriquer des oriflammes et coller des affiches a depuis longtemps disparu de nos mœurs. Aujourd'hui, tout se monnaye en espèces sonnantes et trébuchantes. Les banderoles, oriflammes, affiches, pamphlets, la location de voitures, de chaises et de tentes, les systèmes de sonorisation ou encore le financement des bases coûtent une petite fortune et font le bonheur d'un bon nombre de prestataires de services. Sans compter le salaire des milliers d'agents actifs pendant la campagne.
Dans ce contexte, certains chefs agents - l'on pense ici au carnet de Soopramanien Kistnen - pourraient se voir confier la responsabilité de tenir une comptabilité parallèle répertoriant les vraies dépenses de campagne.
Dans ce débat sur le financement politique, il est utile d'évoquer la question des caisses noires. Là encore, c'est un sujet tabou. Il n'y a rien de mal à ce que par conviction politique, les entreprises fassent des contributions financières aux partis. D'ailleurs, dans un communiqué publié la semaine dernière, Business Mauritius invite les entreprises concernées à faire preuve de transparence en respectant les principes édictés par le National Code of Corporate Governance.
Il est connu que par le passé, Dawood Rawat a activement financé le Parti travailliste alors que, plus récemment, Jean Michel Lee Shim a généreusement soutenu le Mouvement Socialiste Mauricien. Faute de déclarations officielles sur les montants réels apportés par ces donateurs, on ne peut qu'hypothétiquement avancer des chiffres. Par contre, l'affaire de la caisse noire d'Air Mauritius, qui a éclaté en 2001, avait permis de mettre au jour les dessous du mécanisme d'un fonds alimenté par des commissions spéciales créé par sir Harry Tirvengadum à la demande de feu sir Seewoosagur Ramgoolam au début des années 80 pour financer d'abord le journal Advance, puis le Parti travailliste.
L'on espère que l'existence de tels fonds nébuleux, pour ne pas dire souterrains, dont les détails sont gardés précieusement dans une comptabilité parallèle, n'est pas répandue. Dans tous les cas, ce n'est qu'en adoptant une loi sérieuse sur le financement politique qu'à l'avenir, le processus électoral sera rendu plus transparent et démocratique. En cela, on gagnerait à suivre les avancées des États-Unis sur le financement politique. Les Américains sont très décomplexés et ouverts sur la question.
Ainsi, il a été rapporté la semaine dernière que dans le cadre de l'élection présidentielle qui se tiendra le 5 novembre, la candidate Kamala Harris a été en mesure de lever en l'espace de trois mois plus de 1 milliard de dollars provenant de donateurs, un montant qui excède les 853 millions de dollars levés par Donald Trump depuis le début de l'année.