Rwanda: L'UE devrait exiger des preuves de la fin de la torture dans les prisons rwandaises

communiqué de presse

« Yordani, comme le Jourdain, la rivière. C'est là qu'ils mettent les prisonniers et les battent », a raconté un ancien prisonnier au Rwanda à Human Rights Watch. Dans le Nouveau Testament, Jean-Baptiste a été lavé de ses péchés dans le Jourdain. Au Rwanda, « Yordani » est décrit par d'anciens détenus comme un « lieu de peur », où les prisonniers sont placés de force dans un grand conteneur métallique rempli d'eau et soumis à des simulacres de noyade et des coups, manifestement en guise de punition.

« Ils nous plongeaient dedans habillés, puis ils nous faisaient sortir et nous battaient dans la boue. Ils nous forçaient à courir pieds nus et trempés dans la cour, et nous frappaient. Je n'ai pas les mots pour décrire ce que nous subissions », a expliqué un autre ancien prisonnier. « Des personnes sont mortes... Quand nous voyions quelqu'un sortir de là, ce n'était plus un être humain. »

Pendant des décennies, Human Rights Watch a documenté une culture profondément enracinée de torture et de mauvais traitements des détenus au Rwanda dans un contexte d'impunité quasi totale.

Notre nouveau rapport montre qu'il existe peut-être enfin un espoir de changement.

Mais pour qu'un changement advienne et pour lutter contre la nature systémique des abus, le gouvernement rwandais et ses partenaires comme l'Union européenne - qui a annoncé en janvier un « Programme justice et responsabilité » doté d'un budget de 19,5 millions d'euros, en partenariat avec le ministère rwandais de la Justice - devraient examiner la gravité des abus commis dans les centres de détention officiels et non officiels du pays.

Nos recherches, menées entre 2019 et 2024, ont révélé que des personnes détenues dans les prisons de Rubavu et de Nyarugenge et dans un centre de détention non officiel à Kigali connu sous le nom de « Kwa Gacinya » ont fait l'objet d'horribles tortures et mauvais traitements et, parfois, d'une détention illégale.

Nous avons constaté que même les institutions mandatées pour protéger les droits humains et prévenir de tels abus, telles que le système judiciaire et la Commission nationale des droits de la personne, n'ont pas ouvert d'enquêtes ni publié de rapports de manière transparente sur les allégations qui leur ont été présentées.

Cependant, le 5 avril dernier, la Haute Cour de Rubavu, dans la province de l'Ouest du pays, a reconnu Innocent Kayumba, ancien directeur des prisons de Rubavu et de Nyarugenge, coupable de l'agression et du meurtre d'un détenu à la prison de Rubavu en 2019 ; le tribunal l'a condamné à une peine de 15 ans d'emprisonnement et à une lourde amende.

Deux autres agents pénitentiaires et sept prisonniers, accusés d'avoir agi sur instructions, ont été reconnus coupables d'avoir battu et tué des prisonniers. Trois autres responsables du service correctionnel, dont l'ancien directeur de la prison de Rubavu, Ephrem Gahungu, et le directeur adjoint Augustin Uwayezu, ont été acquittés.

D'un côté, il s'agit là d'un rare exemple de redevabilité pour des abus commis par les autorités. Toutefois, les accusés ont tous été acquittés du crime de torture qui, en vertu de la loi rwandaise, est passible d'une peine plus lourde. De plus, plusieurs hauts responsables pénitentiaires ont été entièrement acquittés malgré les preuves apparemment accablantes à leur encontre, d'après les témoignages d'anciens détenus.

Le procès et nos recherches soulèvent d'importantes questions sur l'incapacité des institutions rwandaises à protéger les détenus des abus. En 2019, après avoir commis à Rubavu le meurtre pour lequel il fut ensuite jugé et condamné, Innocent Kayumba a été muté à Nyarugenge, où il a pu mettre en place les mêmes pratiques abusives dans cette deuxième prison.

Le procès n'a pas couvert les abus commis à la prison de Nyarugenge, ni remis en cause l'absence d'ouverture d'enquêtes par le système judiciaire et le service correctionnel sur les allégations de torture qui leur avaient pourtant été signalées.

Rôle de l'UE

Les projets de l'UE au Rwanda visent à y faire progresser l'administration de la justice, à améliorer « les mesures de réintégration sociale et économique » des prisonniers et à renforcer les mécanismes pour assurer la reddition des comptes.

Mais le risque de torture, de mauvais traitements et d'autres violations des droits humains n'est pas mentionné dans le plan d'action publié par la Commission européenne. La Commission nationale des droits de la personne figure parmi les partenaires bien qu'elle ne soit pas indépendante et nie régulièrement l'existence de la torture et des mauvais traitements.

Le gouvernement rwandais et ses bailleurs de fonds ont l'occasion de s'attaquer à la question de la torture.

Le gouvernement rwandais devrait coopérer avec les mécanismes internationaux portant sur la torture, soumettre son rapport d'État partie attendu depuis longtemps au Comité des Nations Unies contre la torture et permettre au Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de reprendre sans entrave ses visites des centres de détention.

Les partenaires internationaux du Rwanda devraient exiger des engagements réels concernant l'ouverture d'enquêtes sur la torture dans les prisons rwandaises.

Ces enquêtes devraient être menées avec l'assistance des experts de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP) et des Nations Unies sur la torture et les conditions de détention, et leurs conclusions devraient être rendues publiques.

Les partenaires du Rwanda devraient indiquer clairement que leur soutien au système judiciaire du pays est conditionné à la garantie qu'aucun détenu ne soit plus jamais soumis au traitement « Yordani ».

Clémentine de Montjoye, Chercheuse senior, division Afrique

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