Ile Maurice: Kugan Parapen, économiste, candidat de l'Alliance du changement au no 1 - « Nous sommes à l'aise sur les grands axes du programme économique de l'Alliance du changement »

interview

Kugan Parapen est catégorique. Seul un changement de gouvernement après le 10 novembre redonnera confiance dans la roupie. Au sein de l'Alliance du changement, il se charge, une fois au pouvoir, à redonner le pouvoir d'achat à la population pour mieux faire face à la cherté de la vie. Toutefois, il ne souhaite pas promettre du miracle économique car l'héritage économique pourrait être lourd. Il s'est expliqué à l'express-dimanche en dévoilant les grandes priorités du programme économique.

En tant que membre de Rezistans ek Alternativ (ReA) candidat de l'Alliance du changement au no 1, comment cela se passe sur un terrain inconnu avec les habitants de cette circonscription, votre investiture ayant fait l'objet de longues négociations avec les deux leaders de l'alliance ?

Très bien. Je peux dire qu'avec chaque jour qui passe, je sens qu'on s'achemine vers une victoire, face notamment à l'accueil populaire que j'ai reçu dans cette circonscription et du soutien de mes deux colistiers, Fabrice David et Ariane Navarre-Marie. Il y a visiblement une synergie entre les trois partis sur le terrain, doublée d'un désir de changement des habitants. On note l'expression d'une rage chez eux et l'attente du jour J pour régler leurs comptes avec le gouvernement sortant.

Il faut dire que cette masse de gens qu'on rencontre dans chaque coin et recoin de la circonscription ne demande pas la lune mais un changement pour mener une vie décente et pouvoir subvenir à leurs besoins quotidiens dans de meilleures conditions. Ils veulent, par exemple, des structures adéquates pour pouvoir vivre en paix, loin des fléaux sociaux. Dans les jours à venir, les trois candidats se concerteront pour élaborer un programme économique et social qui répond spécifique- ment aux attentes des habitants du no 1 avec des idées novatrices qui leur donneront des espoirs de vivre.

Entrons dans l'économie, une discipline que vous maîtrisez parfaitement et parlons de la cherté de la vie. Incontestablement, c'est de loin le principal thème de campagne de l'Alliance du changement. Dans les réunions et porte-à-porte, les principaux dirigeants consacrent beaucoup de temps à expliciter cette problématique. Pourquoi ?

Tout simplement parce qu'effectivement, c'est la principale préoccupation des gens. La cherté de la vie touche tous les segments de la population, voire toutes les classes sociales. Il y a un appauvrissement de la population tous azimuts. Évidemment, les plus pauvres le ressentent d'une manière plus aigüe. Il est clair que sur cette thématique, le gouvernement éprouve des difficultés à trouver des arguments pour nous contester et réplique avec des attaques personnelles et en sortant des arguments de campagne de 2014.

Est-ce qu'un début de réponse à cette baisse du pouvoir d'achat résulte de la crise sanitaire de 2020, qui a mis l'économie mondiale à genoux, dont Maurice, avec une contraction de 15 % de son économie ?

Je ne cache pas que la crise du Covid, couplée à la guerre russo-ukrainienne et les conflits au Moyen-Orient aient pu contribuer à fragiliser le coût de la vie des ménages. Mais il existe d'autres facteurs qui ont été à l'origine de l'effritement du pouvoir d'achat de la population.

Lesquels ?

Il y a eu une dépréciation délibérée et accélérée de la roupie. De 2019 à juin 2024, la monnaie locale s'est dépréciée chaque année de 6 % par rapport au dollar en particulier, plus de 30 %, si l'on accumule le taux en cinq ans. Parallèlement, il y a eu une inflation cumulée de presque 30 % durant la même période.

Je comprends que pendant la crise pandémique, il n'y avait aucune activité économique, ce qui a pu impacter sur le taux de change de la roupie. Mais par la suite, avec l'ouverture des frontières, il y a eu la reprise économique. Or, la dépréciation s'est poursuivie jusqu'à aujourd'hui, la roupie perdant plus de 30 % de sa valeur. Alors que chez notre voisin, les Seychelles, qui a connu les mêmes effets de la crise, sa roupie s'est au contraire appréciée de 30 % et se retrouve aujourd'hui au même niveau que 2019. Donc, il est faux de tout mettre tout sur le compte de la crise pandémique.

Vous maintenez donc que c'est la dépréciation délibérée de la roupie qui est à l'origine de cette misère sociale aujourd'hui ?

Quelque part oui. Car quand on regarde les mesures populistes annoncées pendant la campagne électorale de 2019 par le MSM, il coule de source qu'il n'y avait pas d'autres moyens de les financer qu'à travers une dépréciation de la roupie. Je vous rappellerai que lors du dernier exercice budgétaire du précédent gouvernement en juin 2019, le ministre des Finances d'alors, Pravind Jugnauth, avait transféré Rs 18 milliards des réserves de la Banque de Maurice au Trésor public. L'idée était de servir de ces milliards pour financer les promesses. Par la suite, avec l'avènement du Covid, le gouvernement sortant a eu l'excuse parfaite pour un holdup parfait en mettant le grappin sur une bonne partie des réserves.

Tous les économistes qui comprennent la politique monétaire diront que c'est carrément de la monétisation des réserves qui s'apparente généralement à l'assouplissement monétaire, le Quantitative Easing (QE). Or, on sait qu'on a recours à cet outil monétaire quand le pays est confronté à un crash économique comme cela a été le cas aux États-Unis en 2008 au moment de la crise financière.

Or, à Maurice , cela n'a pas été totalement le cas même s'il est vrai qu'on a eu la crise sanitaire en 2020 doublée d'une crise financière. Cependant, le pays a eu droit à une reprise après l'ouverture des frontières avec un flux d'argent entrant dans le pays et injecté dans l'économie en plus des Rs 60 milliards de la BOM. Ce qui a enflammé l'inflation dans le pays vu qu'on s'est retrouvé face à une situation où «too much money was chasing too few goods», le résultat d'une situation où la demande pour un produit ou service dépasse largement l'offre.

Ne pensez-vous pas que les nombreuses mesures de soutien et prestations sociales, comme la hausse des pensions, accordées par le gouvernement sortant durant son mandat, sont venues atténuer cette crise inflationniste ?

Le bon mot, c'est atténuer, car il y a eu effectivement une catch-up policy du ministre Padayachy avec une série de mesures économiques et sociales souvent populistes pour soulager les économiquement faibles. Mais il faut ouvrir une parenthèse ici pour souligner qu'au moment de la crise inflationniste avec la hausse vertigineuse des prix dans les supermarchés, les capitalistes se sont gavés, pour reprendre une expression chère au leader de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, avec des marges de profit inimaginables. Car il ne faut pas oublier que les plus gros bénéficiaires d'une roupie faible sont principalement les opérateurs économiques tournés vers l'exportation.

Par ailleurs, il est bon de faire ressortir que l'inflation alimentaire est beaucoup plus élevée dans le panier de la ménagère que celle frappant d'autres produits qui sont loin de préoccuper les gens au bas de l'échelle, comme les billets d'avion. Du coup, l'inflation ressentie par le petit peuple est beaucoup plus élevée que celle produite par Statistics Mauritius à travers ses estimations.

Maintenant que vous avez établi le constat, comment faire pour redonner son pouvoir d'achat à la population ? Est-ce que l'Alliance du changement a déjà la solution ?

Oui. Une des grandes leçons à tirer des deux mandats successifs du MSM de 2014 à 2024 est que le miracle économique promis n'a pas eu lieu. Au contraire, nous avons eu droit à un mirage économique. Cela dit, on ne va pas dire à la population que du jour au lendemain on va ramener le dollar à Rs 35. Ce serait faire preuve de démagogie de tenir un tel langage. En revanche, dans un premier temps, on va stabiliser la roupie à son niveau actuel et stopper sa dépréciation.

Vous allez me demander comment. Tout simplement en mettant fin à la spéculation autour de la roupie par des agents économiques et certains opérateurs. Il va de soi que la Banque centrale aura un rôle clé à jouer dans cette démarche. Elle devra talk big and act big pour convaincre les agents de cesser de spéculer sur la roupie. Elle devra ainsi prendre une position ferme et inspirer la confiance pour qu'à l'instar de la Fed, «we don't fight the BoM».

Est-ce que la confiance dont jouira la BoM sous un éventuel gouvernement de l'Alliance passera aussi par cette confiance retrouvée à l'égard de la roupie par la communauté des affaires ?

Forcément. Car ce qui se passe actuellement est que la spéculation autour de la roupie est venue nuire à la confiance que celle-ci aura dû susciter auprès des stakeholders. Ce qui m'amène à dire que prioritairement, il faudra attaquer le problème structurel qui ne va pas se régler en un jour. Il faudra prendre des mesures à moyen et long termes. Toutefois, si on peut, en se basant sur la structure existante, parvenir à limiter la dépréciation de 2 % à 3 % par an, ce sera un grand pas dans la bonne direction. Sur le long terme, il faudra adopter une politique économique qui permettra à la roupie de se renforcer progressivement.

Rétablir la confiance dans le monde des affaires ne sera pas un jeu d'enfant...

On n'aura pas cette confiance si le gouvernement sortant revient une nouvelle fois aux affaires. En revanche, un changement de régime redonnera de la confiance d'abord à notre monnaie locale et par ricochet à la finance, voire l'économie.

Que doit-on attendre du programme économique de votre bloc politique ? Sera-t-il une rupture de la politique économique menée depuis 2014 ?

Il va mettre un frein au populisme à outrance pratiqué par le MSM même s'il comprendra quelques mesures populistes. Il y aura aussi de bonnes surprises que je laisserai la population découvrir une fois le programme rendu public. Disons qu'au centre de ce programme, on retrouve trois objectifs de base : stabiliser la roupie ; favoriser l'émergence de nouveaux piliers économiques et revoir le mode de notre consommation tout en favorisant la production locale.

Dans l'éventualité d'une prise de pouvoir, les principaux dirigeants de l'Alliance du changement ont-ils déjà fixé un cap pour la mise en chantier de ces principales mesures ?

Il y a certaines mesures qu'on peut exécuter dès notre premier jour au pouvoir. Il y aura d'autres qui prendront plus de temps car il faudra jeter les bases. En même temps, on ne va pas promettre à la population qu'on va faire du miracle économique. On fera preuve de responsabilité face à cette nouvelle politique économique qui intègrera une certaine dose de vision à moyen et long termes pour régler les grands problèmes structurels.

S'il fallait résumer la gestion économique prônée depuis 2019 par le ministre sortant, comment la qualifieriez-vous ?

En un seul mot, catastrophique. Il a transformé l'économie en Titanic, un mot qui est à la mode actuellement. Je peux même aller plus loin en disant que le ministre Padayachy a détruit le socle économique. C'est une gestion qui manque de vision économique et quand le ministre souligne qu'il n'y a pas des problèmes structurels, il se disqualifie comme un Grand argentier. Il nous laisse en héritage ce qu'en finance, on appelle un twin-deficit syndrome, soit un pays avec un double déficit, celui de la balance commerciale et du déficit budgétaire.

Trop souvent, le ministre sortant se plaît à dire que le pays a atteint la croissance pré pandémique. Or, si l'on compare cette croissance en dollar, elle est anémique. Pire, il est difficile d'avoir une évaluation objective des principaux indicateurs économiques, vu que les statistiques sont manipulées. Qui peut avoir confiance dans les chiffres fournis par le ministre alors même que la crédibilité de Statistics Mauritius est aujourd'hui fortement entamée ? S'il faut un exemple, c'est le chiffre du PIB où tous les économistes, y compris moi, nous nous accordons à dire qu'il est surestimé avec pour conséquence un montant d'endettement faussé qui ne reflète pas totalement la réalité.

Une de nos priorités après le 10 novembre sera de dépoussiérer le ministère des Finances. Sans doute, il faut se préparer, après que l'on aura ouvert l'armoire de Renganaden Padayachy, à découvrir des squelettes. Il est trop tôt d'imaginer la taille de ces squelettes.

En même temps, ne pensez-vous pas que la population ne veut pas savoir si l'économie a été bien gérée ou pas, mais souhaite seulement savoir ce qu'elle aura dans sa poche à la fin du mois ?

Le gouvernement se focalise plus sur le nominal ; nous serons dans le réel. Dans cinq ans, on vous promet que le caddie sera rempli et même si les bénéficiaires de la pension ne toucheront pas Rs 40 000, ils vivront mieux car on aura mis fin à la spéculation sur la roupie qui aura retrouvé sa vraie valeur.

ReA se place comme un parti d'extrême-gauche sur l'échiquier politique. Comment les grands axes de votre programme économique se retrouveraient-ils au sein de celui déjà finalisé par les deux grands partis PTr /MMM. Seriez-vous disposé à faire des concessions sur certaines idées dans un éventuel gouvernement ?

Nous ne sommes pas un parti d'extrême-gauche, ce sont les médias qui nous ont classés ainsi. Nous sommes un parti éco-socialiste, qui ne prône pas la nationalisation, l'expropriation de terres ou est favorable à la taxation extrême, qui sont les caractéristiques d'un parti d'extrême-gauche. Il faut dire que l'économie de Maurice est ancrée dans une philosophie de droite. Le pays est toujours sous l'influence d'un modèle colonial basé encore sur l'exploitation des ressources et des êtres humains. Malgré le fait que nous disions que nous sommes un gouvernement socialiste, la réalité veut que ce soit toujours la classe capitaliste que s'en sort le mieux. De ce fait, je ne suis pas un extrémiste.

Maintenant, si certains pensent qu'œuvrer pour que quelqu'un puisse avoir une vie décente relève d'une politique d'extrême-gauche, je préfère les laisser à leur conscience. Pour notre part, si aujourd'hui on peut sortir d'une philosophie de droite pour bouger dans un premier temps vers le centre, ce sera déjà salutaire pour le pays et la classe des travailleurs.

Ainsi, sur les grands axes du programme économique de l'Alliance du changement, nous sommes à l'aise, qu'ils s'agissent des mesures pour réformer structurellement l'économie, éviter l'exode massive de jeunes vers l'étranger ou encore réconcilier l'économie avec la planète, surtout avec les défis du changement climatique. Certes, il faut que la population comprenne que ce ne sera pas un gouvernement de ReA. Nous avons un droit de regard sur les grandes orientations économiques de l'alliance et nous estimons pouvoir influencer certaines décisions stratégiques pour que nos idées soient également on board.

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