Ile Maurice: Movember blues

Dans l'agitation électorale qui précède le 10 novembre à Maurice, une nouvelle moustache semble pousser sur les lèvres de l'actualité : celle de Missie Moustass. Ce personnage mystérieux, qui s'infiltre dans les conversations privées comme un moustique dans une chambre fermée, fait couler beaucoup d'encre avec ses fuites. Ce mélange de curiosité, de voyeurisme et de manipulation grâce à l'intelligence artificielle a transformé le pays en un véritable théâtre où chaque mot volé devient arme, chaque phrase hors contexte, une bombe.

À l'origine, «Movember» symbolisait un mois de sensibilisation à la santé mentale des hommes, à la prévention du suicide et aux cancers masculins. Mais ici, dans notre île, ce mois semble se parer d'une autre moustache, plus perfide, celle des conversations privées déformées et divulguées. Missie Moustass, à l'instar des barbares modernes du numérique et des réseaux sociaux, s'est invité à la table des discussions politiques, semant doute et confusion.

Chacun y voit une conspiration.

Dans le camp du gouvernement, on crie au complot, on accuse Missie Moustass d'avoir dépassé toutes les bornes légales, et la police n'a pas tardé à réagir en fermant la page Facebook de ce trouble-fête. Mais du côté de l'opposition, c'est un tout autre son de cloche : «Nous sommes tous sous surveillance. C'est un choc pour la nation», s'écrient-ils, soulevant une vague de réprobation, tout en se demandant à qui profiterait ce déballage, et en affirmant que Sherry Singh, ancien patron de Mauritius Telecom, n'y est pour rien. Qui doit-on croire?

Dans cette affaire, les Mauriciens, malgré leur condamnation apparente de ces pratiques, se révèlent friands de ces indiscrétions, de vey zafer dimounn qui rappelle à quel point la curiosité peut être aussi séduisante qu'un poison. Et pourtant, ce penchant pour le voyeurisme pourrait bien nous mener à une autre impasse. Nos confrères français, eux, s'arrêtent au seuil de la chambre à coucher. Protégés par des lois strictes, ils observent ces dérives avec une distance prudente, comme l'a souligné l'historien Patrick Eveno, qui rappelle que la presse française, plus fragile économiquement, est aussi plus prudente dans la chasse aux scoops, à l'inverse de la presse britannique. L'affaire des écoutes illégales qui a secoué le royaume de Rupert Murdoch, elle, n'aurait probablement pas pu éclore en France.

Se fier à des extraits de conversations téléphoniques, sans en saisir l'intégralité, pourrait, par ailleurs, s'avérer un exercice périlleux. Ces fragments volés sont des épées à double tranchant. Sans le contexte, ils peuvent être mal interprétés, tordus, ou pire encore, utilisés de façon malveillante pour manipuler l'opinion publique. Car dans une conversation, tout est nuance. L'ironie, les sous-entendus, les mots dits sur le ton de la légèreté peuvent, hors contexte, devenir de lourdes accusations. Une phrase qui semble accablante à première vue pourrait n'être qu'une plaisanterie ou une hypothèse rapidement écartée au fil de l'échange.

Pire encore, ces conversations, déformées et simplifiées, deviennent de véritables armes politiques. Des morceaux de discussions sont extraits, sélectionnés, puis brandis comme des vérités absolues, laissant derrière eux le chaos de l'incompréhension. Manipuler l'opinion publique devient alors un jeu d'enfants, et les électeurs sont plongés dans un monde où la réalité se dissout dans un océan de rumeurs et de tromperies.

Mais au-delà du tumulte, il y a une autre réalité à ne pas négliger : celle de la sécurité intérieure. Si la surveillance téléphonique peut servir à traquer les criminels et les trafiquants de drogue, elle ne devrait jamais être détournée à des fins politiques ou personnelles. Comme l'a confié un haut responsable des télécommunications à Maurice, la mise en place de systèmes de surveillance a toujours été strictement encadrée, sans que les conversations privées ne tombent entre de mauvaises mains.

Et pourtant, nous voici, rasoir à la main, prêts à raser cette moustache de révélations douteuses qui nous mène à nous interroger : à qui profiteront ces fuites ? Aux partisans du changement ou à ceux qui veulent maintenir le statu quo ?

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