Ghana: «Magic Ghana», cercueils, tabourets, dessins... la magie artistique au pays

interview

Laissons la magie opérer... Eric Kpakpo, artiste et artisan spécialisé dans la réalisation de cercueils figuratifs, réinterprète les tabourets de pouvoir des chefs de l'ethnie Ga. Ainsi, il perpétue la métamorphose de la tradition ghanéenne devenue célèbre par le cercueil « Mercedes » de Kane Kwei ou les oeuvres de Ataa Oko, dont une quarantaine de dessins sont exposés pour la première fois dans une galerie d'art, entourés de photos prises par Regula Tschumi montrant un regard unique sur la vie quotidienne au Ghana. Entretien avec le galeriste André Magnin.

Magic Ghana, vous avez sélectionné les artistes et les oeuvres. Expliquez-nous la magie du Ghana.

Quand j'étais à Accra, il y a quelques mois, on se rappelait beaucoup d'histoires. Par exemple, le célèbre cercueil Mercedes, de Kane Kwei, qui est là, a été montré en 1989, à l'exposition Les Magiciens de la Terre qui a marqué l'histoire [et dont André Magnin a été co-commissaire, NDLR]. Deux mois avant le début de Magic Ghana, nous avons réussi à retrouver celui qui avait acheté ce cercueil, il y a 35 ans, et il nous l'a prêté ! Il y a une vingtaine d'années, j'ai rencontré Regula Tschumi au musée d'Art brut à Lausanne, qui, depuis, explore la beauté et la complexité de la culture ghanéenne.

Après, je suis retourné au Ghana avec Saâdane Afif, prix Marcel Duchamp en 2009, quand il préparait une oeuvre pour le Centre Pompidou [un cercueil « proverbial » du Ghana, en forme de Centre Pompidou, NDLR]. Je suis allé avec lui à Accra, et on avait commandé à Eric Kpakpo ce cercueil en forme du Centre Pompidou.

Entretemps, il y a une vingtaine d'années, Regula Tschumi avait rencontré l'artiste Ataa Oko (1919-2012), qu'elle a rencontré régulièrement, jusqu'à sa mort. À la fin de sa vie, Oko avait des doigts coupés, donc, il ne pouvait plus réaliser des cercueils. En revanche, à la demande de Regula, il s'est mis à dessiner, à partir de sa mémoire, tous les cercueils qu'il avait réalisés dans sa vie.

Ainsi, il a poursuivi son travail des contes, des légendes, des savoirs... Et je disais à Regula : tout ça, c'est magique ! Aujourd'hui, je fais cette exposition en écho aux Magiciens de la Terre de 1989. Il y a quelque chose de magique ! Toute cette histoire a mis 35 ans pour prendre place. C'est dingue.

Pourquoi les photos prises par l'ethnologue-photographe suisse Regula Tschumi sont-elles uniques ?

Cela fait 25 ans que Regula va régulièrement au Ghana. Elle a une très fine connaissance du contexte. On pourrait se promener dans Accra, sur le marché, etc., et jamais voir ce qu'elle a vu. Elle capte ces instants. Aucune photo n'est posée. Elle a attrapé ces instants au millimètre près. Par exemple, vous avez une femme qui porte une bassine sur la tête.

Et vous avez au mur un poisson qui est exactement à la hauteur de la bassine. Ça aussi, c'est presque magique. Vous avez vu la photographie avec toutes ces branches d'arbres, ces personnages dans l'eau... Rien n'est posé ! Graphiquement, cette photographie est très forte, très belle. C'est sa connaissance du contexte, sa connaissance des gens. Les gens la connaissent. Normalement, on ne prend pas des photos en Afrique comme ça, c'est quasiment impossible. Interdit. Elle arrive à le faire.

Ataa Oko, menuisier de formation, est devenu célèbre avec ses cercueils personnalisés (des cercueils en forme de crocodile, poisson, tomate...) qu'il a commencé à fabriquer dès 1945. Là, vous avez décidé d'exposer ses dessins qu'il a commencé à réaliser après sa rencontre en 2002 avec Regula Tschumi.

Regula m'avait parlé de tous ces dessins d'Ataa Oko. En fait, [ces motifs] figuraient sur les cercueils qu'il a réalisés toute sa vie. Après, on lui a fourni des crayons de couleur et du papier. Puis, lui, il ne s'est pas arrêté. Il a prolongé tout ce travail de dessinateur. Je l'ai vu travailler avec des crayons de couleur entre les doigts. C'était comme hacher.

Puis, à la fin, ça devient presque de la poésie. Il y a des esprits, des animaux, des pseudo-animaux, des contes, des légendes, des connaissances qu'il a de sa culture. Il les a dessinés comme ça, sur une petite table en bois devant chez lui. Je trouve ça d'une force... En fait, il n'a rien inventé, il n'a que donné des figures à des êtres, des êtres réels ou imaginaires.

Eric Kpakpo, né en 1979, avait travaillé avec Ataa Oko sur ces cercueils. Et vous présentez aujourd'hui des tabourets très spéciaux de Kpakpo. Il s'agit d'une réinterprétation artistique des tabourets de pouvoir des chefs de l'ethnie Ga. Considérez-vous Eric Kpakpo comme un héritier d'Ataa Oko ?

Je ne pense pas. Il n'y a pas d'archives sur les cercueils, puisque les gens qui les commandent se font enterrer dedans et puis les cercueils disparaissent. Donc, il n'y a pas d'archives. Regula Tschumi est allée au Ghana pendant une vingtaine d'années, elle a été invitée à des enterrements et pu filmer les différents cercueils. D'où ses livres.

Mais, je ne sais pas s'il y a un lien direct entre le travail d'Ataa Oko et de celui d'Eric Kpakpo. Tous les deux sont des artisans menuisiers, mais, parmi ces artisans, il y a des gens qui sont extrêmement créatifs tels que le jeune Eric. Nous lui avons commandé ces sièges, parce que, normalement, il les réalise sur la commande de chefs. Nous avons fait une sorte d'inventaire des sièges qu'il avait réalisé et on lui a demandé d'en refaire.

L'exposition commence avec des cercueils et finit avec des tabourets. Votre parcours nous mène de la mort vers la vie ?

Oui, tout à fait. Magic Ghana, c'est en fait tout ça. Tout ça vient d'artistes, d'artisans qui ont produit des sculptures « mortuaires », mais, en même temps, c'est complètement la vie. Même les cercueils, comme le cercueil Mercedes, si on ne l'ouvre pas, on ne peut pas imaginer que c'est un cercueil. J'ai assisté avec Regula à une cérémonie funéraire où tous les gens sont là, dansent, promènent le cercueil. C'est la fête. C'est une grande fête. Ce n'est pas du tout triste comme un enterrement.

Magic Ghana, exposition à la galerie Magnin-A, à Paris, jusqu'au 26 octobre 2024.

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