Gabon: A propos du débat constitutionnel, entretien avec Dr Octave Dioba Mickomba

22 Octobre 2024
interview

« Il n'y aura jamais de constitution parfaite, parce que la constitution est d'abord et avant tout un instrument de régulation du jeu politique ». Docteur en science politique, M. Octave Dioba Mickomba nous livre dans cet entretien, ses analyses sur le débat constitutionnel en cours dans notre pays, ainsi que d'autres sujets d'actualité.

Les débats sur la constitution semblent s'éterniser dans le pays, malgré la remise de la mouture finale par le Président de la Transition. Comment peut-on l'expliquer ?

Votre constat est réel. Les débats sur la Constitution sont des débats sans fin. Ils sont sans fin, parce que la Constitution est d'abord et avant tout un instrument de régulation du jeu politique. C'est une élaboration politique qui institutionnalise la compétition des forces politiques, c'est-à-dire, qu'elle traduit en langage juridique, une situation politique particulière. Elle ne peut pas être totalement neutre, et il n'y aura jamais de Constitution parfaite.

C'est donc normal que les débats sur les dispositions constitutionnelles occupent l'espace public, parce qu'il s'agit du texte qui régit les institutions et la vie politique du pays. De plus, la période transitionnelle comporte beaucoup de subtilités qui engendrent toujours des interrogations.

Il en a toujours été ainsi dans notre pays ! Souvenez-vous des vifs débats des premiers jours de l'indépendance, avec la loi constitutionnelle du 14 novembre 1960 qui consacre la première Constitution du Gabon indépendant.

Pouvez-vous revenir un moment sur le débat constitutionnel de cette période ?

L'histoire politique de notre pays nous renseigne que les premiers mois de l'Etat indépendant vont être marqués par des débats passionnés autour du projet constitutionnel du 04 novembre 1960 ; des débats dont l'intensité avait même perturbé la promulgation de ladite Constitution, le 14 novembre 1960. Il y'avait, d'un côté, Léon Mba et ses partisans qui défendaient un projet constitutionnel donnant des pouvoirs forts au Président de la République et, de l'autre côté, le groupe de Jean-Hilaire Aubame, Paul Indjendjet Gondjout, partisans des thèses parlementaires, qui insistaient sur la participation populaire au fonctionnement des institutions. Des débats intenses et passionnés vont donc marquer cette période, comme c'est le cas actuellement. D'ailleurs, moins de quatre mois plus tard, le pays s'est donné une nouvelle Constitution, le 21 février 1961.

Je vous ai dit qu'en dehors des principes généraux et la rigueur formaliste du droit, la Constitution est un construit politique. Chaque opérateur politique cherche donc à tirer profit au moment de son élaboration.

Est-ce que les articles contestés par certains compatriotes dans le texte constitutionnel actuel ne posent réellement pas problème ?

Plusieurs dispositions du texte actuel peuvent être discutées, c'est une réalité. C'est pourquoi, après les amendements du parlement de la Transition, un séminaire gouvernemental a encore été consacré à cet effet. Mais, de mon humble avis, ce n'est pas la qualité du texte qui pose problème. En matière de régulation de la vie politique, comme je l'ai dit précédemment, Il n'y aura jamais de texte parfait et accepté par tout le monde. Chaque camp, en fonction de son positionnement et des gains politiques espérés, cherche à faire passer ce qui l'arrange.

Ce qui importe, c'est que la Constitution puisse s'appuyer sur nos réalités locales, le vécu des Gabonais et leur besoin de vivre ensemble dans un pays démocratique. Voyez-vous, les pratiques démocratiques ont été galvaudées dans ce pays en fonction des intérêts des acteurs, malgré la constitution de 1991, convoquée par beaucoup d'entre eux aujourd'hui.

Une bonne partie d'acteurs politiques aiment convoquer la Constitution du 26 mars 1991. Qu'avait-elle de particulier ?

La Constitution du 26 mars 1991, qui marque la IVè République gabonaise, a été le fruit d'un consensus politique, après de longues tractations et de plusieurs compromis, au sortir de la conférence nationale souveraine de mars-avril 1990. Elle comportait beaucoup de données de la démocratie pluraliste. Elle n'était non plus parfaite. Beaucoup de dispositions contestées dans la mouture actuelle existaient déjà dans la constitution de 1991.

Qui oublie que cette Constitution a été combattue, et révisée à plusieurs reprises par les mêmes acteurs institutionnels, au gré de leurs intérêts politiques ! Souvenez-vous de la modification du 17 avril 2023 qui a fini par altérer considérablement les valeurs démocratiques, avec l'affaire du bulletin unique...

Tout est donc fonction des intérêts des acteurs. Ceux qui avaient soutenu la limite d'âge dans la Constitution de 1991, sont aujourd'hui, les pourfendeurs de cette disposition dans la mouture actuelle, parce qu'ils se sentent exclus de la compétition pour la magistrature suprême !

Parlant des conditions de l'élection à la magistrature suprême qui font tant de bruit autour du texte constitutionnel, quel est votre point de vue ?

Le problème n'est pas mon modeste point de vue. Ce qui importe c'est l'intérêt du Gabon, et surtout la protection de la souveraineté du peuple gabonais. C'est normal que les critères et les modalités de désignation du président de la République puissent constituer le centre du débat constitutionnel, parce que c'est la première institution du pays. Mais, on finit toujours par décider.

Dans l'élaboration d'une Constitution, les sujets qui opposent ne manquent pas. C'est pourquoi, il faut soumettre ces dispositions à la sanction du peuple souverain, sans chercher à agiter le spectre du chaos, comme cherchent à le faire certains.

Pour reprendre un éminent juriste de ce pays, le problème de la conformité du droit aux principes et aux valeurs démocratiques dans notre pays réside moins dans la conformité de la norme que dans son application par les acteurs de la vie politique et institutionnelle.

Vous avez publié dernièrement un article très apprécié sur l'élite intellectuelle gabonaise et le devoir de rendre intelligible les enjeux du moment transitionnel...

Effectivement ! Dans cet article, j'attirais l'attention de l'élite, particulièrement l'élite intellectuelle, sur sa responsabilité de rendre intelligible les enjeux de la période transitionnelle actuelle, qui regorge beaucoup de subtilités et des zones d'ombres dont le corps social ne perçoit pas toujours les tenants et les aboutissants.

En cette période transitionnelle, il est impératif que les citoyens soient suffisamment éclairés sur les jeux et les enjeux de l'heure. A cet effet, l'élite intellectuelle doit multiplier les tribunes et les interventions publiques pour faire circuler les savoirs, et être à la base d'une dynamique, afin que le corps social soit informé avec sérieux, pour que l'après transition, notamment les processus électoraux avenirs, soient véritablement une expression de la volonté générale d'un peuple éclairé et averti.

Si cet article a été beaucoup apprécié, comme vous le dites, je ne peux que me satisfaire et remercier tous ceux qui prennent un peu de leur temps pour lire mes publications.

Pour le politologue que vous êtes, comment analysez-vous la rentrée politique en force du Parti démocratique gabonais, ancien parti déchu ?

Le Parti démocratique gabonais a voulu faire une démonstration de force pour faire passer deux messages : sa bonne santé et le contrôle du terrain politique. D'un point de vue symbolique, ça compte ! Mais, cette sortie est contre-productive pour le CTRI qui court le risque de voir émerger un sentiment de méfiance au sein de la population ! Celle-ci pourrait percevoir des manœuvres de collusion entre les militaires et l'ancien parti au pouvoir, même si le communiqué n°067 est venu clarifier les choses, en s'insurgeant contre les motions de soutien et les utilisations politiciennes de l'image du chef de l'Etat.

Mais, malgré les images et les flonflons, le PDG qui a fait sa rentrée politique, le 12 octobre 2024, n'est plus le même parti que celui d'avant le 30 août 2023. Si nous procédons à une analyse rigoureuse du PDG en interne, vous allez vous rendre compte qu'il s'agit désormais d'un géant aux pieds d'argile ; un Parti affaibli, divisé en de multiples chapelles rivales déclarées ou non. Certains cadres de premier rang, qui proclament toujours leur appartenance au Parti, affichent clairement leur prise de distance, tandis que d'autres sont à la tête des associations et mouvements à visage politique !

Je peux même penser que les prochaines élections législatives et locales seront l'occasion de plusieurs autres déchirures et rivalités au sein du Parti, qui ne parviendra plus à s'unir comme avant, et être ce parti des masses... Sauf si le futur Président de la République, post transition, en devient le leader ou un membre influent.

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