Ile Maurice: Irada Zeynalova - «L'abandon du dollar a été provoqué par la politique des États-Unis et de leurs satellites européens»

interview

Dans cette interview, Irada Zeynalova, la nouvelle ambassadrice de la fédération de Russie à Maurice, nous parle des BRICS, de la dédollarisation de l'économie mondiale et des Chagos.

Le prochain sommet des BRICS 2024, à Kazan, devra confirmer «le droit volontaire des membres de la coalition BRICS à dédollariser les échanges commerciaux et financiers entre eux». C'est un sommet très important alors ?

Oui, très important. Les pays BRICS représentent plus d'un tiers du Produit intérieur brut (PIB) mondial en termes de parité de pouvoir d'achat (PPA) et environ un quart des exportations mondiales de marchandises. Ces chiffres ne peuvent que croître. Ils confirment le droit des monnaies nationales des pays BRICS à être traitées dans l'économie mondiale sur un pied d'égalité avec les monnaies du reste du monde.

Expliquez-nous comment se feront les échanges sans le dollar ou l'euro ?

À la suite du sommet de Johannesburg 2023, les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales des BRICS ont été chargés de travailler sur la question de l'utilisation des monnaies nationales, des instruments de paiement et des plateformes dans les transactions commerciales mutuelles qui échappent au contrôle des diktats occidentaux. Les agences concernées travaillent activement sur la question de l'unification des marchés financiers des pays BRICS et de l'introduction de nouveaux systèmes de règlement mutuel. Les résultats de ces travaux seront présentés lors du sommet. Il ne s'agit pas d'une tâche d'un jour ou même d'un an, mais d'une question stratégique, et tous les membres se sont engagés à progresser dans le renforcement de leur autonomie et leur souveraineté financière.

Pensez-vous que la dollarisation des échanges internationaux rende les États-Unis plus puissants qu'ils ne le sont en réalité ?

Les États-Unis ne produisent plus que 15 % des produits mondiaux. En utilisant le dollar pour des échanges avec des pays autres que les États-Unis, les pays contribuent à enrichir encore plus les USA. Il ne faut pas oublier que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), en prêtant des devises aux pays dans le besoin, imposent des conditions qui rendent ces derniers encore plus dépendants de ces institutions et des pays qui contrôlent celles-ci, notamment les États-Unis. Alors qu'avec un système d'échanges sans le dollar au sein des BRICS, aucune condition financière ou politique n'est attachée. En bref, les pays qui rejoignent les BRICS gagneront plus en liberté. N'oubliez pas que c'est le présent système du tout dollar qui permet aux États-Unis d'imposer des sanctions à gauche et à droite.

Comment est-on arrivé dans cette situation où les USA sont devenus plus une puissance financière qu'économique ?

Pour augmenter leurs profits, les entrepreneurs américains avaient délocalisé massivement leurs productions vers des pays comme la Chine où le coût de la main d'oeuvre est moindre. Ce faisant, ils y ont transféré aussi les technologies et le savoir-faire en production. Les États-Unis tentent maintenant de rapatrier leur production mais ils n'ont pas assez de main-d'oeuvre et leurs produits coûteront plus cher face aux nouveaux concurrents de l'Extrême-Orient.

La Russie a elle aussi fait brièvement l'expérience des «aides» du FMI, n'est-ce pas ?

Oui, c'était au début des années 1990, après la déconstruction de l'Union soviétique. Cela nous a pris peu temps pour découvrir que notre pays allait devoir produire plus, rien que pour rembourser les intérêts au FMI.

Les États-Unis accepteront-ils la dédollarisation des échanges ? N'exerceront-ils pas des pressions sur les pays qui veulent se joindre aux BRICS ?

L'abandon du dollar n'est pas notre initiative. Il a été provoqué par la politique des États-Unis et de leurs satellites européens, qui utilisent de plus en plus leur position dominante dans le système financier mondial comme un instrument de chantage et d'imposition de la volonté politique. Par conséquent, non seulement les pays BRICS, mais aussi un certain nombre d'autres États cherchent à réduire leur dépendance à l'égard du dollar américain. Le processus de dédollarisation rapproche la finance mondiale de la tendance générale du développement mondial - l'émergence de nouveaux centres d'influence et l'accroissement de leur rôle dans l'économie et la politique mondiales, dans le sens d'un ordre mondial multipolaire plus équitable.

La démarche des BRICS visant à promouvoir un ordre mondial polycentrique plus équitable et à lutter contre le monopole des États-Unis en matière de prise de décisions sur les questions d'ordre du jour mondial est rejetée par Washington. Toutefois, le mouvement vers la multi polarité est une réalité objective qui ne peut être stoppée par des actions unilatérales. Nous sommes soutenus en cela par les pays de la majorité mondiale, comme en témoigne le nombre croissant d'États désireux d'étendre leur coopération avec les BRICS - il y a déjà plus de trois douzaines de demandes de ce type.

Les échanges parmi les membres des BRICS se feront ils par le système SWIFT ?

Comme nous l'avons déjà mentionné, les agences compétentes sont activement engagées dans la question de l'interconnexion des marchés financiers des pays BRICS et de l'introduction de nouveaux systèmes de règlement mutuel. En particulier, un projet de plateforme multilatérale pour les paiements transfrontaliers permet tant un accès égal de tous les pays BRICS aux instruments financiers disponibles, avec un niveau élevé de protection des messages financiers transmis et des coûts minimaux, a été soumis aux partenaires pour examen.

Changeons de sujet. Que pense la Russie du deal entre le Royaume-Uni et Maurice sur les Chagos ?

Il faudra attendre de voir le traité pour mieux comprendre ce deal. Je n'ai vu aucun chiffre, aucune date, rien de concret dans la déclaration commune. La Russie a soutenu et soutiendra toujours les processus de décolonisation à travers le monde et en Afrique en particulier et cela sans aucune condition. Patrice Lumumba, par exemple, n'était ni un communiste ni un socialiste et pourtant l'Union soviétique l'a soutenu dans sa lutte pour l'indépendance du Congo. Je vous rappelle que notre pays a voté pour la souveraineté de Maurice sur les Chagos aux Nations unies.

Les pays occidentaux parlent de la menace chinoise dans l'océan Indien. Votre avis ?

Les États-Unis voient des ennemis partout. Auparavant, c'était la menace soviétique, puis la menace terroriste et des pirates et maintenant de la Chine... Pour comprendre l'affaire des Chagos, il faut voir plus grand avec la coalition QUAD (NdlR : regroupant les États Unis, le Japon, l'Australie et l'Inde face à ce qu'ils appellent la menace chinoise). Certes, l'histoire est remplie d'envie d'expansion mais je n'ai pas vu de menace chinoise à la paix dans le monde.

Mais l'Occident considère toujours la Russie comme un ennemi, même si la Russie n'est plus communiste. Pourquoi ?

Il faut le leur demander ! Je suppose que c'est le complexe militaro-industriel américain qui le veut pour justifier la production d'armes. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'ex-président Dwight Eisenhower qui l'avait dit en 1961. Depuis, ce héros de la Seconde Guerre a été effacé de l'histoire. Ou pour chercher des boucs émissaires pour leurs problèmes internes. Ou alors, pour contrôler les ressources naturelles comme le pétrole. Souvenez-vous de l'invasion américaine de l'Iraq au prétexte que Saddam Hussein avait des armes de destruction massive. On le sait maintenant, c'était pour mettre la main sur le pétrole irakien.

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