Elle fait partie de ces femmes qui évoluent dans un milieu professionnel dominé par les hommes. Et même si ce n'est pas toujours simple pour elle, cette peintre en bâtiment entend donner des couleurs à son métier.
Parfois, dame providence nous tire d'un tracé longtemps prévu. Et quand le destin doit s'accomplir, il réunit lui-même des variables en apparence insignifiantes et éparses pour les rendre irréversibles.
Nous sommes en 2016, Nadège N'Guessan Goran dite Rosa Côte d'Ivoire, jeune femme native de Moofoué, paisible village situé à quelques encablures de la ville de Tiassalé, se rend à Abidjan pour passer le concours d'instituteur adjoint organisé par le ministère de l'Éducation nationale.
Elle voudrait entrer au Centre d'animation et de formation pédagogique (Cafop) sans être particulièrement attirée par l'enseignement. Son quotidien n'est pas facile et il lui faut trouver un boulot au plus vite. Elle espère avec son Bepc, apporter sa contribution à une famille qui peine à faire bouillir la marmite.
Elle, la benjamine d'une famille modeste et nombreuse, a appris que pour s'en sortir, lorsqu'on ne tient de personne, il faut travailler beaucoup et ne compter que sur soi. Dans la longue file d'attente des prétendants au Cafop, Nadège rencontre un ami. Lequel lui donne une information qui va changer la trajectoire de sa vie. « Tu sais que dans le cadre du Projet emploi jeune et développement des compétences (Pejedec) on recherche des jeunes pour les former aux métiers de peintre », lui dit son ami.
Un appel destinal
Cette information sonnera dans sa tête comme un appel destinal. Nadège N'Guessan Goran sort du rang et se rend directement dans les bureaux du Pejedec. Après un entretien, elle est retenue et commence une formation de peintre en bâtiment. Comme portée par une force supérieure, elle apprend avec attention et assiduité les rudiments du métier dont elle ne connait rien. Ce n'est pas facile.
Tous les jours, il lui faut partir de Tiassalé aux aurores pour rejoindre Abidjan où elle poursuit son apprentissage. Et, Nadège ne rentre chez elle qu'après le crépuscule, percluse de fatigue, les mains durcies par le labeur, le ventre souvent vide et un appétit vorace de s'en sortir. Ses difficultés, elle ne les crie pas sur les toits. Elle les confie à Dieu. Chez les humbles, il y a souvent cette dignité qui les pousse à ne pas offrir leurs chagrins en spectacle.
Nadège a du mal à être ponctuelle. Un encadreur qui le remarque lui en demande les raisons. De sa voix timide, elle lui raconte qu'il lui faut tous les matins parcourir les 122 kilomètres qui séparent Tiassalé d'Abidjan. L'encadreur est ému et décide de lui apporter son aide. Ainsi, et jusqu'à la fin de la formation, c'est ce bon Samaritain qui paiera son transport.
Après trois mois d'apprentissage, un autre défi se présente à elle : l'insertion professionnelle. Dans ce milieu physiquement éprouvant et dominé par les hommes, il est difficile pour une jeune femme de gagner sa place. Alors, en attendant d'avoir l'occasion de prouver ce qu'elle vaut, Nadège enchaîne les petits boulots. Certains jours, elle est vendeuse de vivriers au marché de Tiassalé. Quelquefois, Nadège est ouvrière dans une usine de chaussures de la zone industrielle de Yopougon.
Une après-midi, non loin de l'entreprise qui l'emploie, elle se rapproche d'entrepreneurs syriens spécialisés dans la peinture de bâtiment pour leur proposer ses services. Elle se heurte à leur circonspection. « La peinture n'est pas un métier de femme. Il faut aller voir ailleurs », lui lance-t-on sans aménité. Mais Nadège n'est pas femme à se laisser décourager. Elle avale les couleuvres.
Quand on est issu d'une famille pauvre, frustrations et offenses font partie du lot quotidien. Avec l'abnégation de ceux qui sont convaincus de leur bonne étoile, elle fait le pied de grue, multiplie les sollicitations et on finit par lui accorder sa chance. Nadège donne le meilleur d'elle-même et épate ses nouveaux employeurs. Avec eux, elle va affiner sa technique et en apprendre d'autres. Son sérieux, son professionnalisme et sa dextérité à manier la spatule et le pinceau forcent le respect et l'imposent. Et lorsqu'il faut choisir les meilleurs employés pour aller travailler sur des chantiers à San Pedro, Daloa et surtout à Abidjan, son nom est en tête de liste.
À la fin de son contrat avec ses nouveaux employeurs, Nadège ira encore sur d'autres chantiers. Payée 2 500 ou 3 000 F Cfa par jour, elle travaille comme une forcenée. Et nourrit le secret de peaufiner son savoir-faire par une formation plus pointue. Sur internet, elle lira un jour qu'une école au Maroc offre la formation dont elle rêve. Centime après centime, et après plusieurs mois de privations et de sacrifices, elle réunit la somme nécessaire pour le voyage et les frais de scolarité.
Rabat, un nouveau défi
En 2019, elle s'envole pour Rabat la capitale marocaine. Au Royaume chérifien, Nadège va devoir s'acclimater. Le jour elle va aux cours et l'après-midi ainsi que les week-ends, elle travaille sur les chantiers pour payer sa formation et envoyer de l'argent à ses parents. Nadège vit chichement et apprend avec ferveur le mélange des peintures, la résine époxy, la pause d'enduit, l'échafaudage et même la décoration d'intérieur.
Éloignée des siens par la distance, mais proche d'eux par les réguliers coups de fils qu'elle leur passe, Nadège continue de travailler faisant fi des préjugés et des railleries. C'est dans la prière qu'elle trouve le réconfort et c'est dans les difficultés de sa famille qu'elle puise les ressources pour continuer à se battre pour atteindre ses objectifs.
Après deux ans de formation, une attestation en poche et une solide expérience, elle regagne la Côte d'Ivoire. D'autres difficultés se dressent devant elle. Il lui faut créer une entreprise or elle ne dispose pas de ressources financières nécessaires pour acquérir le matériel et payer des employés. Des contrats lui ont déjà échappé pour ces raisons. Mais Nadège fait contre mauvaise fortune bon coeur. « J'ai traversé tellement de difficultés dans la vie que je pense que bientôt, je m'en sortirai », se dit-elle encore avec conviction aujourd'hui.
Pour l'heure, lorsque certains contrats lui tombent sous la main, Nadège prépare les surfaces, passe de l'enduit, lessive, décape, ponce et la nuit tombée, elle dort sur les chantiers, sur des cartons.
Même si son quotidien n'est pas toujours simple, cette mère célibataire de 36 ans est portée par l'amour de son métier, une grande détermination et une force de caractère exceptionnelle. Pour partager sa passion, elle organise régulièrement des séances de formation à l'attention de jeunes femmes et hommes qui veulent faire de la peinture leur profession. « Je veux donner ce que j'ai reçu », dit-elle.
En espérant un clin d'oeil de la Providence ou d'une âme charitable, Nadège continue de repeindre une profession dite d'hommes qui méritait bien quelques couleurs.