Après avoir remporté le Grand prix au festival Cinéma du réel, le documentaire « Coconut Head Generation » sort ce mercredi 23 octobre dans les salles en France. Le réalisateur Alain Kassanda raconte l'histoire d'un ciné-club à l'université d'Ibadan, la plus ancienne de Nigeria, qui se transforme peu à peu en lieu de rassemblement et de discussion nourrissant ainsi la révolte d'étudiants dans la rue.
Coconut Head Generation est tout d'abord le fruit d'un hasard. Car le réalisateur Alain Kassanda est né à Kinshasa, au Congo, et quand il a 13 ans, sa famille part en France. C'est à cause de son amie qu'il se retrouve un jour à l'université d'Ibadan, dans le sud-ouest du Nigeria.
« Ma compagne est anthropologue. Elle a trouvé un poste à Ibadan. Et je l'ai suivie en tant que compagnon. J'étais homme au foyer pendant quatre ans. Et je suis passionné de cinéma. Avant de partir, j'étais programmateur d'une salle de cinéma. Quand je suis arrivé à Ibadan, j'ai rencontré un enseignant, un doctorant et un groupe d'étudiant. Ensemble, on a monté un ciné-club. Petit à petit, ce ciné-club a pris de l'ampleur, un nouveau groupe d'étudiants est arrivé, très politisé, très cinéphile. Et là, j'ai pris ma caméra et j'ai filmé ce qui se passait et ce qui se disait. Et comment ils ont organisé eux-mêmes le ciné-club. Le film est né comme ça. »
Renouveler l'imaginaire
Le documentaire de l'ancien programmateur du cinéma 39 Marches, à Sevran, en Seine-Saint-Denis, rappelle le regard très puissant et pointu du film Nous étudiants ! du réalisateur centrafricain Rafiki Fariala sur le campus de l'université de Bangui, en Centrafrique. Et comme lui, Alain Kassanda est convaincu que le cinéma peut contribuer à changer les choses dans une société. « Je montre la réalité étudiante au Nigeria. Il y a une volonté de rendre compte et de donner la parole à ceux qui vivent la situation. C'est une position fortement politique, parce que cela renouvelle les représentations et l'imaginaire qu'on a de ces endroits. »
« Coconut Head Generation », Grand prix du Cinéma du réel Derrière le nom du film se cache tout un univers et surtout la colère d'une génération. « Le titre vient d'une expression au Nigeria qui est une forme d'insulte. Coconut Head désigne quelqu'un qui a la tête creuse et qui est borné. Sauf que cette génération de jeunes Nigérians s'est réappropriée le stigmate pour revendiquer leur côté têtu et se bat pour un avenir meilleur, contre la génération ancienne qui accapare le pouvoir et qui les empêche de s'épanouir pleinement. »
Alain Kassanda a transformé l'hommage au ciné-club Thursday Film Series à un hommage général à la jeunesse engagée contre les violences policières et la répression du mouvement #endSARS qui avait provoqué 11 morts lors du massacre du péage de Lekki en 2020. « C'est l'aspect citoyen qui est important. C'est ce qui fait communauté. Et il y a une parole qui devient performative, parce que cela ne reste plus que dans l'enceinte de la salle, mais cela se trouve aussi dans la rue pour réclamer un avenir meilleur, une meilleure gouvernance, la fin des violences policières et ainsi de suite... »
Se réapproprier la narration
Pour le réalisateur, l'autre enjeu du film est de montrer des réalités peu connues en France sur ce pays d'Afrique occidentale, peuplé de 230 millions d'habitants.« Le Nigeria est le pays le plus peuplé du continent africain et c'est la première puissance économique. Qui sait que la devise du Nigeria est le naira ? Il y a une grande ignorance en France des enjeux politiques, économiques et sociaux. Le film permet de donner la parole à ceux qui y vivent. Ils se réapproprient la narration. »
Cette réappropriation de la narration se passe sur plusieurs niveaux. D'abord par une très grande diversité d'images, parfois filmées avec une caméra à l'épaule, mais parfois aussi issues d'archives, d'Instagram ou d'Internet. Mais cette réappropriation du récit est surtout incarnée par Tobi, l'un des étudiants du ciné-club, qui ne prend pas seulement la parole, mais aussi la caméra pendant l'absence d'Alain Kassanda.
« Quand j'ai filmé les étudiants de 2019, j'étais loin d'imaginer que, un an plus tard, il y aurait un mouvement social si important. Donc, finalement le film est le fruit des évènements tels que je les ai vécus et tels que je les ai documentés. Je n'étais pas au Nigeria lors d'une séance en 2020, donc Tobi a filmé les images des protestations au Nigeria. Ce film est une coconstruction entre moi, le cinéaste, et Tobi, protagoniste, mais aussi cinéaste dont les images nourrissent le film. C'est aussi ça qui est important dans ma démarche, c'est qu'il y a une notion d'égalité entre filmeur et filmés. On vit la même chose et on partage les mêmes envies, les mêmes aspirations. »