Vous savez presque tous que mon voisin et sa femme étaient comme un chien et un chat depuis quelques temps. Depuis le mois d'octobre, les tourtereaux d'antan semblent filer le bon coton dans un cocon de romance et il n'y a plus d'éclipse entre les deux moitiés de l'univers. Hier matin, mon voisin est venu se plaindre à ma porte. Il m'a demandé combien de jours comptait le mois d'octobre.
Je dis voisin, octobre c'est toujours trente-un jours et c'est d'ailleurs l'un des mois les plus longs ! Malgré la précision de ma réponse, il est resté perplexe et l'air inquiet, comme s'il avait perdu quelque chose ou si lui-même était perdu. Il est reparti en secouant la tête et en maugréant contre le temps, contre le calendrier peut-être ou mieux contre le mois d'octobre.
Mais qu'est-ce qu'il peut bien avoir à jeter l'opprobre sur octobre, à se reprocher, à reprocher à octobre ou bien à regretter le mois d'octobre ? Il rentra chez lui puis ressortit en trombe et vint me souffler à l'oreille qu'en fait le mois d'octobre est un mois rose et qu'il avait pris ses dispositions et ses responsabilités pour faire de ce mois un véritable rendez-vous du donner et du recevoir avec sa femme.
Quelqu'un m'avait dit que c'était en février que les coeurs battaient plus que d'habitude, parce que c'était le mois de l'amour. Mais mon voisin m'a dit qu'octobre a l'air sobre, mais c'est un mois noble. C'est le mois rose, celui dédié à la lutte contre le cancer du sein.
En fait, mon voisin avait pris un congé pour être plus proche de sa femme en ce mois rose d'octobre.
Il passait son temps à palper à tâtons des melons de saison et à sucer des bonbons de balcon pour s'assurer qu'ils sont sans boulon, sains et saufs, sans venin de cancer. Il s'était tellement adonné à l'exercice que sa bouche avait pris la forme d'une flûte samo. Mon voisin lui-même m'a confié que depuis le début du mois d'octobre, il est devenu sobre. Il ne fume plus. Il a même arrêté de boire de l'alcool.
J'ai dit voisin, on a dit de sucer. On n'a pas dit de boire comme au biberon. Il m'a simplement demandé si techniquement on pouvait vraiment sucer un bonbon sans avaler son jus. Quand j'ai regardé de près mon voisin, je l'ai trouvé quelque peu rajeuni et rayonnant. Il n'avait presque plus de rides au front.
Même sa calvitie semblait capituler sur son crâne désormais fertile. Il avait fait une mue presque complète et avait l'air de se régénérer dans le moule de ses vingt ans. Octobre n'est pas qu'un mois rose. C'est le mois qui soulage notre moi des émois de la vie.
Finalement, en luttant contre le cancer du sein par succion, les spécialistes de la santé de la femme ont contribué à lutter contre un autre cancer dans nos foyers : le manque d'attention, de tendresse et d'amour. Et comme l'appétit vient en mangeant, c'est en suçant parfois le bon bout que l'on réveille parfois l'amour assoupi.
Finalement, l'amour ne meurt jamais. Il se trouve dans les mamelles au goût de caramel qui chancellent sur les hauteurs sensuelles des reliefs de merveilles. L'amour ne se perd pas. Il n'y a pas de sentiment perdu, rien ne se perd, à force de sucer, on peut susciter, voire ressusciter ce qui n'avait plus droit de citer. Il suffit d'explorer le monde mystérieux des régions thoraciques de l'autre moitié du ciel.
Bref, l'antidote est là et on n'a pas besoin d'une grue pour soulever un sein et quand il est sain, il n'y a vraiment pas lieu de jouer au saint. Il faut apposer son seing sur le sein qui est le sien et s'assurer qu'il a le même goût et surtout qu'il ne contient pas de trace de sang.
Il faut les palper dans le sens de tâter, sans les taper dans le sens de maltraiter, parce que rien ne vaut un sein plein de santé. Parce qu'au bout de chaque sein, il y a toujours un homme qui a déjà tété et mordu au téton. Au bout de chaque sein, il y a même un président qui a déjà usé de ses dents de lait pour pomper le jus lacté de la mère nourricière.
Au nom de tous les seins du monde, dressés ou affaissés, bombés ou aplatis, je laisse un coup de succion tendre et sincère, afin que toute beauté soit dépourvue de cancer. A toutes ces femmes amputées qui marchent avec un ballant sein solitaire, sur la cicatrice de douleur, je laisse un baiser d'amour vrai pour panser cette plaie qui vous hante l'âme.
A toutes ces mères qui portent au bas du sein, la boule ennuyeuse de la tueuse silencieuse, je marque une croix pieuse et j'appelle à l'aide pour qu'elle soit prise en charge avant qu'il ne soit trop tard. Il faut vite faire quelque chose et tout faire d'ailleurs pour épargner la femme, parce que sans elle, la vie s'éteindrait.
Alors, ensemble disons « Non » au cancer du sein et soyons s'il le faut, de véritables soutien-gorge pour les femmes. Mieux, soyons des « vampires anti cancer » pour nos femmes ! Que chaque homme digne de ce nom s'attache au sein qui lui appartient et comme des sangsues lançons l'opération : « Mission succion » pour qu'enfin tous les seins du monde soient saisis et verrouillés avec amour, puis sucés avec passion jusqu'à ce que le cancer aille en enfer ! Contre le cancer du sein, suçons à l'unisson à la santé de nos femmes ! Oh, j'allais oublier, je vous laisse, c'est mon heure de sucer !