Juste après le décès de Mohamed Lahbib Pacha Bey le 11 février 1929, son cousin Ahmed, fils de Ali Bey et frère de Mohamed El Hedi Bey, avait bénéficié de l'allégeance des membres de la cour, des vizirs, des oulemas, des dignitaires et notables de Tunis et des commandants de l'armée en tant que 17e bey de la dynastie.
Depuis la date de la convention de La Marsa le 8 juin 1883 signée conjointement par Ali Pacha Bey et Paul Cambon, le résident général, la France qui se veut pays protecteur passe du régime protectoral au régime colonial. Depuis cette date, le rôle du bey est devenu figuratif. Son pouvoir s'est détérioré en faveur des autorités coloniales. Il règne mais ne gouverne pas.
Les beys non soumis aux ordres des autorités françaises ont connu une fin, pour le moins, houleuse. Ce fut le cas de Mohamed El Hedi et Mohamed Enasser.
Par contre, de l'avis de plusieurs historiens, Ahmed Pacha Bey était le bey idéal pour les colons français. Il régnait mais ne gouvernait pas, il n'était pas non plus populaire et ne s'intéressait qu'aux activités de la cour. Durant son règne, Ahmed Pacha Bey avait assisté aux funérailles successives de trois beys de camp :
- Le prince Mahmoud décédé en février 1939
- Le prince Taher fils de Mohamed El Hédi bey décédé en mars 1941
-Le prince Béchir fils de Mohamed El Hédi Bey décédé en avril 1942
Conjoncture économique défavorable
Le début du règne d'Ahmed Pacha Bey a été marqué par l'ampleur de la crise économique internationale. Quant à la Tunisie qui vivait uniquement de ses ressources agricoles, cette crise l'a terriblement affectée, surtout que, durant cette période, les conditions atmosphériques n'étaient pas du tout favorables. Les conditions agricoles étaient difficiles, suivies de pertes énormes de bétail et de l'épuisement des réserves des agriculteurs. Les habitants avaient souffert le martyre.
Face à cette situation désastreuse, le gouvernement a été contraint de prendre les mesures nécessaires pour trouver des solutions et réduire l'intensité de la crise.
Ahmed Pacha Bey en France
Afin de consolider les rapports et entretenir de bonnes relations diplomatiques avec le pays protecteur, Ahmed Pacha Bey s'était rendu à Paris où il a été reçu en grande pompe à l'Elysée par Gaston Doumergue, le président de la République française. Ce dernier avait accompagné son hôte pour visiter divers monuments historiques. Au cours de cette visite amicale, Ahmed Pacha Bey, accompagné de Marcel Peyrouton, le résident général, avait eu l'honneur de signer le livre d'or à l'Arc de Triomphe.
Visite du chef de l'Etat français
En avril 1931 et à l'occasion du 50e anniversaire du Protectorat français, Gaston Doumergue avait rendu visite au royaume.
Pour le côté français, il s'agissait de cinquante ans de mission salvatrice, de modernisation du pays et de saine administration.
A l'instar de ses prédécesseurs, Ahmed Pacha Bey avait reçu le président Doumergue au palais du Bardo, avec tous les honneurs dus à un grand chef d'Etat, d'autant plus qu'il s'agit d'un Etat protecteur.
Les visites multiples des chefs d'Etat français s'inscrivaient dans le cadre du maintien des relations diplomatiques entre la France, pays protecteur, et la cour beylicale.
Emergence des courants politique nationaux
Le règne d'Ahmed Pacha Bey II, qui fut court (du 11 février 1929 au 19 juin 1942), s'était caractérisé par l'émergence de courants politiques nationaux, émanant d'une jeunesse tunisienne éduquée et émancipée qui voulait revendiquer ses droits vis-à-vis des colons français.
Au courant de l'année 1934 et suite à la subdivision du courant politique de l'ancien parti destourien présidé par Abdelaziz Thaâlbi et l'émergence du parti néo-destour; depuis le congrès de Ksar Hlal (le 2 mars 1934), Tunis et les grandes villes avaient connu des perturbations dues au mécontentement des habitants. Les jeunes politiciens tunisiens revendiquaient leur droit sur la scène sociopolitique du pays.
Suite à l'arrestation des leaders du mouvement national, le 3 septembre 1934, des confrontations avaient eu lieu entre manifestants et agents de l'ordre; ces derniers avaient utilisé les armes à feu. Le bilan était lourd en pertes de vies humaines et de blessés.
Le gouvernement à majorité coloniale avait décidé l'interdiction de la publication des journaux nationaux et l'exil des leaders du parti destourien à l'extrême sud du pays à «Borj le boeuf». On les accusait d'être à l'origine des troubles de l'ordre public, ce qui n'avait pas empêché les habitants de résister et de manifester de nouveau pour exiger le maintien des doléances concernant l'application de certaines réformes politiques et stratégiques.
Au début de l'année 1936, Armand Guillon avait été désigné résident général en remplacement de Marcel Peyrouton. Ce résident était plus tolérant que son prédécesseur. Il a ordonné en mars 1936 la libération des leaders du néo-destour. Guillon avait entretenu avec ces leaders des relations politiques au nom du gouvernement et du front populaire de la France gauchiste. Cette relation n'avait pas abouti à un consensus, vu les mauvaises intentions des procolonialistes. Les manifestations et les protestations avaient repris de plus belle dans les villes avec un certain durcissement des positions. Les forces coloniales armées étaient intervenues de nouveau pour mater le courant de mécontentement.
Dans certaines régions, les confrontations entre manifestants et les forces coloniales s'étaient transformées en véritables batailles sanglantes. Ce fut le cas de Bizerte en janvier 1938 et Tunis le 9 avril de la même année. Dès lors, les autorités avaient décrété l'état de siège à Tunis, Sousse et tout le Cap Bon.
L'historien Hassen Hosni Abdelwaheb, qui était ministre de la Plume durant les années 50 du siècle dernier, attribue la réaction massive et le déferlement des citoyens tunisiens à leur degré de maturité et leur grande culture. Cette élite qui réclamait l'indépendance et la liberté s'opposait également à l'administration coloniale qui voulait offrir la nationalité française à quiconque voulait en bénéficier, car, par cette offre, les autorités gagneront plus de sympathisants.
Retombées de la Seconde Guerre mondiale
En plus de l'effervescence de la scène à l'intérieur du royaume de Tunisie, la situation extérieure à pareille époque s'illustrait aussi par les prémices d'une guerre mondiale. L'inquiétude se confirmait de jour en jour... En Europe, la situation s'aggravait de plus en plus. Les relations tendues entre les différents Etats se durcissaient pour aboutir à un point de non-retour : le 30 septembre 1939, la France et l'Angleterre déclaraient la guerre à l'Allemagne et à l'Italie.En juin 1940, des avions de guerre italiens avaient effectué des frappes aériennes sur Bizerte et Tunis.
En France, le maréchal Pétain, qui venait de prendre le pouvoir, proposa le 25 juin 1940 un cessez-le-feu avec l'Allemagne et l'Italie : événement heureux pour le royaume de Tunisie, déjà perdu dans le tourbillon de la Seconde Guerre mondiale.
Quant à Ahmed Bey, il décéda à l'âge de quatre-vingts ans le 19 juin 1942 dans son palais d'El Ebdellia, place du Saf Saf, La Marsa.
Sources- «Histoire de Tunisie» de Hassen Hosni Abdelwaheb- «L'héritage du trône chez les Husseïnites»- «Les beys de Tunis» de Mokhtar Bey* Allusion, au mouchir Ahmed Pacha Bey 1er (1837-1855)