Sans relâche, les combats fratricides se poursuivent et s'intensifient dans tout le Soudan, et notamment dans les Etats du Darfour du Nord et d'Al-Jazira, devenus, depuis quelques mois, les théâtres d'affrontements intercommunautaires opposants deux factions armées sous les ordres de deux généraux rivaux, Abdel-Fattah Al-Bourhane, et Mohamed Hamdan Daglo, pour ne pas les nommer.
Le bilan de cette lutte insensée pour le pouvoir dans ce pays qui rêvait, il y a quelques années, de liberté et de démocratie, est particulièrement atroce puisqu'au-delà des chiffres effroyables qui sont communiqués, ce sont des vies entières qui sont à jamais brisées. L'avenir de ce pays tourmenté est d'autant plus incertain que tous les appels au dialogue et au cessez-le-feu lancés aux protagonistes par les pays voisins et la communauté internationale, sont restés lettre morte.
Ils ont été plutôt suivis de bombardements intensifs, d'assassinats ciblés par des tireurs embusqués, et de violences inouïes qui tournent de plus en plus à l'épuration ethnique. Dans ce chaos généralisé, c'est la ville d'El Fasher et l'Etat d'Al-Jazira qui tiennent, ces derniers jours, la palme de l'atrocité, avec des images sinistres et apocalyptiques montrant des morts, et des mourants calcinés dans des maisons elles-mêmes en pleine consumation. Tout cela se passe quasiment à huis clos et sous le regard impuissant de l'Organisation des Nations unies, alors que le Soudan est aujourd'hui et plus que jamais une urgence humanitaire absolue.
Le Soudan risque d'attendre Godo s'il attend que la solution à la crise vienne de La Haye
Les présumés coupables sont pourtant connus, et ce sont les forces de soutien rapide (FSR) du Général Dagalo qui sont le plus souvent citées, notamment dans les attaques à caractère ethnique perpétrées ces dernières semaines. Mais comme une actualité en chasse une autre, on assiste, dans une indifférence de plus en plus grande, à l'escalade de la violence dans cette guerre en passe d'être oubliée, qui fait de moins en moins la manchette des journaux en raison du déclenchement de nouveaux conflits ou de la survenue de nouveaux drames humanitaires ailleurs dans le monde.
A l'allure où vont les choses, en tout cas, on peut se poser la question de savoir qui va sauver ce Soudan des uns contre les autres, défiguré par des groupes armés pleins de haine et de condescendance les uns vis-à-vis des autres.
Il ne faudra malheureusement pas compter sur les acteurs du drame pour le dépôt des armes, pas plus qu'il ne faut miser un kopeck sur les capacités des organisations régionales, africaines et internationales à juguler cette crise qui s'étend inexorablement dans le temps et dans l'espace, avec des risques majeurs de débordement sur les pays limitrophes.
Il ne reste peut-être plus que l'épée, non pas de Damoclès, mais de Karim Khan, le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) qui enquête depuis plusieurs mois sur de possibles crimes de guerre impliquant les forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide. Espérons que les foudres judiciaires seront beaucoup plus dissuasives que les menaces d'isolement et d'embargo proférées par la communauté internationale dont les ultras des deux camps se foutent comme de leurs premières chaussettes.
Mais le Soudan risque d'attendre Godo s'il attend que la solution à la crise vienne de La Haye, quand on sait qu'il faut d'abord délivrer aux éventuels suspects une citation à comparaitre, puis organiser des audiences de confirmation des charges avant de lancer des mandats d'arrêt qui pourraient se heurter au manque de coopération de certains Etats parties au statut de la CPI, comme ce à quoi on a assisté dans la décennie 2000, quand l'ancien président Omar El-Béchir et ses sbires étaient dans le viseur de la Cour.
En un mot comme en mille, on peut affirmer que tous les indicateurs de la paix sont au rouge au Soudan, et il faut un supplément d'âme et un sursaut salvateur aux acteurs de la tragédie pour dominer leurs ego et leurs pulsions meurtrières, afin de redonner à ce gigantesque pays du continent, la forme d'un Etat viable et unitaire. C'est sans doute plus facile de l'écrire sur papier, que de le faire accepter, et surtout appliquer sur le terrain.