Ile Maurice: Argent des Chagos - Quand Pravind Jugnauth brandit le «rent book»

Olivier Bancoult : «Nous réclamons une compensation ou une pension»

«Li pe fie dizef dan vant poul», affirment ses opposants. Pourtant, à presque chacune de ses sorties - que ce soit lors des réunions, des congrès ou autres meetings dans les différentes circonscriptions - Pravind Jugnauth met en avant l'argument de l'accord conclu sur les Chagos entre Maurice et le Royaume-Uni pour expliquer, en partie, comment seront financées les innombrables allocations promises à tout-va, dont Rs 5 000 aux enfants âgés entre 0 et 18 ans et Rs 2 000 aux femmes au foyer notamment. Cependant, il convient de souligner que le traité en ce sens se fait toujours attendre...

D'autres questions demeurent : combien le gouvernement mauricien percevra-t-il en «louant» la base militaire de Diego Garcia ? Cette question reste sans réponse précise à ce jour, bien que des proches du pouvoir avancent des chiffres faramineux. Et surtout, quand Maurice aura-t-elle droit à cette somme d'argent ? Nul ne le sait. Pourtant, le Premier ministre sortant ne manque pas une occasion de capitaliser sur cet argent durant sa campagne. Par exemple, lors d'un congrès à Vacoas, Pravind Jugnauth a déclaré : «Kouma eleksyon pe fini, mo tir rent book pou Diego Garcia, nou pou gagn par milyar tou sak lane. En tan ze lye mo pou don bann sif ; eski ou pou fer konfians Navin Ramgoolam pou zer sa bann milyar-la ?» Son partenaire en alliance, Xavier-Luc Duval, a également mentionné le fait que des hôtels seront construits sur l'archipel des Chagos, histoire de créer des opportunités économiques, dit-il.

Plus tôt dans la même journée, lors de la présentation de son manifeste électoral, le chef de file de l'Alliance Lepep a affirmé que ces mesures répondent aux attentes de chaque Mauricien, sans distinction. Concernant le financement de ses nombreuses promesses, dont une nouvelle apparaît presque à chaque fois qu'il effectue une sortie, Pravind Jugnauth a encore une fois évoqué l'accord passé avec les Britanniques sur le dossier Chagos. En attendant, selon la presse internationale, notamment RFI, un paiement rétroactif sur 56 ans est à l'étude, avec des estimations officieuses évoquant plus de 15 millions d'euros par an, soit quelque Rs 746,7 millions.

Et qu'en pensent les Chagossiens, à qui devrait revenir en toute logique cet argent ? Interrogé hier à ce propos, Olivier Bancoult, leader du Groupe Réfugiés Chagos, affirme qu'il restera «ferme» dans son combat. «La priorité pour nous demeure nos droits en tant que Chagossiens et il faut surtout que les injustices soient corrigées à notre égard notamment en mettant l'accent sur l'aspect réparation. Nous réclamons ainsi une compensation ou une pension. Mais également notre relogement sur nos îles. Komie pou gagne ek Chagos, kan pou gagne, pa enn priorite pou nou... Je ne me prononcerai pas sur cet aspect en particulier.»

En tout cas, pour connaître la somme exacte qui sera réceptionnée par l'État mauricien concernant les Chagos - si cela est le cas - il faudra attendre le traité. Rappelons que cet accord doit encore être finalisé par un traité entre le Royaume-Uni et Maurice, les deux parties promettant de le faire dans les plus brefs délais. Rappelons en outre que des ténors de l'opposition conservatrice britannique se sont insurgés contre l'accord entre les deux pays. L'ancien chef du Foreign Office James Cleverly, du parti Tory, l'avait jugé «faible, faible,faible»... Un autre candidat alors à la direction du parti conservateur, Robert Jenrick, avait dénoncé une «capitulation» du Royaume-Uni. Les critiques de l'accord estiment qu'il fait le jeu de la Chine qui cultive des liens étroits avec Maurice.

Flash-back

Après plus d'un demi-siècle de litige, le Royaume-Uni avait trouvé, jeudi 3 octobre, un «accord historique» avec Maurice sur la souveraineté de l'archipel des Chagos, qui lui permet de conserver sa base militaire commune avec les États-Unis sur l'île principale de Diego Garcia.

L'accord, trouvé à l'issue de deux ans de négociations entamées après une résolution pressante de l'ONU, avait aussitôt été salué par le président américain, Joe Biden. Cette base - au positionnement stratégique entre l'Europe, l'Inde et la Chine - joue «un rôle essentiel dans la sécurité nationale, régionale et mondiale», avait-t-il souligné, se réjouissant que l'accord permette de «garantir son bon fonctionnement au cours du siècle prochain».

Dans une déclaration commune des gouvernements britannique et mauricien, Londres reconnaissait la souveraineté de Maurice sur les Chagos. Mais «pendant une période initiale de quatre-vingt-dix-neuf ans», le Royaume-Uni sera «autorisé à exercer des droits souverains» sur Diego Garcia, «pour assurer la poursuite de l'exploitation de la base».

L'archipel des Chagos, composé d'une cinquantaine d'îles isolées au milieu de l'océan Indien, était au coeur d'un litige territorial depuis près de soixante ans. Il était administré depuis 1965 par Londres, qui y a installé une base militaire commune avec les États-Unis sur Diego Garcia. Maurice, qui a obtenu son indépendance en 1968, revendiquait le territoire des Chagos et demandait le retour de l'archipel dans son giron. Le Royaume-Uni avait expulsé environ 2 000 habitants des Chagos vers Maurice et les Seychelles pour faire place à sa base. Des Mauriciens originaires des Chagos accusaient le Royaume-Uni d'«occupation illégale».

La Cour internationale de Justice (CIJ) avait rendu, le 25 février 2019, un avis consultatif relatif aux aspects juridiques de la séparation par le Royaume-Uni de l'archipel des Chagos de Maurice. La CIJ avait conclu que le Royaume-Uni était tenu de mettre fin à son administration de cet archipel. En 2016, le Royaume-Uni avait prolongé jusqu'en 2036 un contrat sur l'utilisation de cette base militaire avec les États-Unis. Elle a notamment joué un rôle stratégique pendant la guerre froide puis dans les années 2000 lors des conflits en Irak et en Afghanistan. En 2023, Human Rights Watch a publié un rapport accusant le Royaume-Uni et les États-Unis de s'être rendus coupables de crimes contre l'humanité en déplaçant des populations indigènes sur l'archipel contesté, accusation rejetée «catégoriquement» par Londres.

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