Nairobi — Le COMESA devrait oeuvrer pour mettre fin aux atrocités, assurer la protection des civils et promouvoir la justice
Pour faire face aux crises dans l'est de la République Démocratique du Congo et au Soudan, les dirigeants africains devraient mettre en avant des solutions axées sur les droits humains lors du 23ème Sommet du Marché commun de l'Afrique orientale et australe (Common Market for Eastern and Southern Africa, COMESA) prévu à Bujumbura, au Burundi, le 31 octobre 2024, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Les participants au sommet devraient discuter des mesures à prendre pour mettre fin aux atrocités commises par le groupe armé M23 et les forces militaires rwandaises et les forces de sécurité congolaises et les milices alliées dans l'est du Congo, et promouvoir la responsabilisation. Ils devraient également soutenir le déploiement d'une mission au Soudan pour protéger les civils et mettre fin aux atrocités en cours.
« Le sommet du COMESA est une opportunité cruciale pour les dirigeants africains de s'attaquer aux crises qui affectent le Congo, le Soudan, ainsi qu'ailleurs dans la région, et de formuler des solutions claires et concrètes visant à la protection des civils », a déclaré Carine Kaneza Nantulya, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les participants devraient également discuter de la façon dont l'impunité a contribué aux abus ainsi que de la nécessité de traduire en justice les responsables pour mettre fin à ces atrocités. »
Le sommet marque le 30ème anniversaire du COMESA, la plus grande organisation économique régionale d'Afrique, avec 21 États membres, dont le Burundi, la RD Congo, l'Éthiopie, le Rwanda et le Soudan. Au sommet, le président du Burundi, Évariste Ndayishimiye, succèdera au président de la Zambie, Hakainde Hichilema, à la présidence du COMESA. Les objectifs du COMESA sont de solidifier l'intégration économique, prévenir les conflits et promouvoir le développement. Son programme pour le sommet inclut des discussions sur la paix, la sécurité et la gouvernance et les conflits à l'est du Congo, au Soudan et ailleurs dans la région.
Au Congo, le groupe armé M23, soutenu par le Rwanda, a commis de nombreux abus, y compris des meurtres de civils, des viols, des pillages et des destructions de biens. En 2024, l'armée rwandaise et le M23 ont bombardé sans discernement des camps de déplacés ainsi que d'autres zones à population dense près de Goma, dans le Nord-Kivu.
L'armée congolaise et des milices alliées ont augmenté les risques pour les personnes déplacées en déployant de l'artillerie lourde près des camps. Des soldats congolais et combattants alliés, dont une coalition de milices connue pour ses abus du nom de « Wazalendo » (« patriotes » en swahili), ont commis des meurtres, des viols et d'autres violences sexuelles, et ont arbitrairement détenu des personnes déplacées.
La récente annonce de la Cour pénale internationale (CPI) sur la réactivation des enquêtes en RD Congo, qui porteront en priorité sur les crimes commis dans la province du Nord-Kivu depuis janvier 2022, augmente la probabilité que justice soit faite pour les victimes, a déclaré Human Rights Watch. La reprise des enquêtes pourrait être l'occasion de remédier à l'absence de justice qui alimente les abus graves commis au Nord-Kivu, en Ituri et dans d'autres régions de la RD Congo. Les dirigeants du COMESA devraient discuter de la meilleure façon de soutenir l'enquête de la CPI.
Les dirigeants du sommet devraient également examiner le rôle joué par d'autres pays de la région, notamment l'Ouganda et le Burundi, récemment nommés dans un rapport par le Groupe d'experts des Nations Unies sur le Congo. Ils devraient appeler les gouvernements rwandais et congolais, ainsi que les pays voisins, à mettre fin à leur soutien militaire aux groupes armés qui commettent des abus, y compris le M23 et les Wazalendo, et à enquêter et poursuivre en justice de manière appropriée les commandants responsables d'abus graves.
Au Soudan, Human Rights Watch a documenté un nettoyage ethnique visant les populations Massalit et d'autres groupes non arabes dans la ville d'El Geneina, au Darfour occidental, perpétré par les Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF) et des milices alliées, des exécutions sommaires de détenus par les deux parties, ainsi que des violences sexuelles généralisées par les RSF à Khartoum. Les deux parties belligérantes utilisent de manière répétitive des armes explosives dans des zones peuplées, tuant et blessant des civils, et plus de 10 millions de personnes ont fui leurs maisons, provoquant la pire crise de déplacement interne au monde.
Un quart de la population soudanaise fait face à la famine, toutes les parties faisant obstacle ou bloquant l'aide humanitaire. Le besoin urgent de protéger les civils a été soulevé dans divers forums, dont le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l'Union africaine et l'ONU. Cependant, il n'y a pas encore de mesures concrètes prises pour le déploiement d'un mécanisme pour la protection des civils ou pour une enquête sur la situation des droits humains à El Fasher et dans d'autres zones du Darfour par la Commission africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (CADHP) en réponse à la demande du CPS le 14 juin.
Les dirigeants africains participant au sommet devraient exprimer publiquement leur soutien à l'enquête de la Commission de l'Union africaine en coordination avec la CADHP et demander que des recommandations sur des mesures concrètes pour la protection des civils soient faites de manière urgente au CPS.
Le sommet devrait mettre la pression sur les autorités soudanaises, les parties belligérantes et les gouvernements voisins pour qu'ils coopèrent avec la mission d'établissement des faits conjointe de la Commission Africaine, ainsi qu'avec la Mission internationale indépendante d'établissement des faits de l'ONU pour le Soudan, dont le mandat a récemment été renouvelé. Ils devraient également encourager les autorités soudanaises et congolaises à coopérer pleinement avec l'Envoyé spécial de l'UA pour la prévention du crime de génocide et des autres atrocités de masse, a déclaré Human Rights Watch.
Le COMESA a été créé au lendemain du génocide rwandais de 1994. Trente ans plus tard, le continent est toujours le théâtre de conflits armés récurrents et d'une détérioration des droits humains dans plusieurs régions.
Lors du sommet, les dirigeants africains devraient également aborder la question des abus continus des droits humains dans d'autres États membres tels que l'Éthiopie, où un conflit armé fait, depuis deux ans, des ravages dans le nord du pays, entraînant d'innombrables atrocités, y compris des crimes contre l'humanité.
Les forces gouvernementales continuent de commettre des abus en toute impunité, notamment dans la région d'Amhara ainsi que dans d'autres zones touchées par des conflits. Human Rights Watch a documenté de nombreuses violations des lois de guerre à Amhara, y compris des tueries de masse, l'utilisation apparente de drones par le gouvernement contre les civils, et des attaques contre des travailleurs humanitaires, des établissements de santé et des réfugiés.
Sur le lieu du sommet au Burundi, les groupes de la société civile et les médias indépendants ne peuvent pas fonctionner efficacement. Les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme travaillent sous menaces d'arrestation, de poursuites judiciaires et d'emprisonnement. Dans le cadre de son engagement pour le renforcement de la société civile et des médias, le COMESA devrait réaffirmer les droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique comme piliers de toute démocratie stable.
« Les valeurs fondamentales du COMESA incluent la promotion et la protection de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, ainsi que la reconnaissance et le respect de l'État de droit », a déclaré Carine Kaneza Nantulya. « Plus que jamais, les dirigeants africains doivent faire de ces valeurs une réalité pour tous les africains ».