Diffusé à la presse vendredi, les 80 minutes « Disco Afrika » (2024) de Luck Razanajaona pourrait marquer un tournant dans le cinéma malgache, à condition d'être partagé avec le grand public. Pour une première projection à Tamatave le 1er novembre, à Antananarivo les 8 et 15 novembre.
À chaque fois qu'un réalisateur malgache sort un film, il a droit à son lot de représentations à travers les festivals du monde entier, Maroc, Allemagne, Espagne, États-Unis, etc., et est donc garanti d'un standard international et dès lors à encenser sous le soleil malgache. Sinon, au risque de se faire qualifier d'inculte et de « traître à la cause ». Dans « Disco Afrika » de Luck Razanajaona, il y a bien sûr un peu de cela. Au-delà, il y a un effort réel mais pas encore assez constant, le budget sans doute y est pour quelque chose, de sortir un cinéma achevé, sans corruption et ayant pour centre l'homme. « Disco Afrika » suit les pas de Kwame, orpailleur rêveur d'abord, trafiquant novice, espion de syndicat pour finir conducteur de « Bajaj ».
Après que son meilleur ami s'est fait abattre sommairement en brousse par un gendarme payé pour faire place nette à un exploitant minier sans pitié, il se décide à remonter sur les traces de son père, un homme droit, meneur de grève et porté disparu. Partisan de la non-violence, Kwame retrouve sa mère à Tamatave. La ville le transforme rapidement en l'ombre de sa trajectoire. Sauf quand il écoute un disque, titré « Disco Afrika », du groupe de son père, un musicien notoire. Son innocence renaît, mais petit à petit Kwame a deux vies, la violence sociale et son cocon refuge. De par ce cinéma centré sur l'homme, le paradoxe esthétique du réalisateur se situe dans l'idée de faire du décor, le Grand Port et ses méandres, un archétype fictionnel au drame parfois étouffant.
Comme la scène où Kwame, en hommage au panafricaniste ghanéen, campé par Parista Sambo est abreuvé par les paroles rugueuses de Idi (Joe Clarence Lerova), un trafiquant de bois de rose cocaïnomane, du haut des conforts lumineux d'une terrasse de lounge surplombant une rue à « putes », où les silhouettes sont d'un bleu faiblard et vaporeux. Lieux et visions du monde se télescopent par la comparaison entre celui qui vend son âme et celle qui vend son corps pour le bifton. Luck Razanajaona jongle souvent en subtilité avec les paradoxes dans « Disco Afrika ». En musique, en peinture... et maintenant au cinéma, dans les tréfonds de l'âme malgache se cache souvent un blues. Pour le réalisateur « c'est un aboutissement », le projet a mûri pendant plus de dix ans. La réalisation a pris plus d'un mois, il y a eu les repérages, les castings...
Sur ce dernier point, la performance de Drwina Razafimahaleo en chef de syndicat, la profondeur de son jeu, la manière dont il fait jaillir son personnage... tout simplement de l'art. Celle d'Oza Jérôme aussi, à part une confusion apportée par une scène à la « Buena Vista Social Club » versant dans la docu-propagande, ce grand monsieur de la musique malgache propose un magnétisme rien qu'avec son regard promeneur, révélateur des tensions. Pour une approche « cinéma d'auteur », les Malgaches peuvent s'identifier à ce produit. Pour un drame social, sans le manichéisme redondant des productions bannières de masse, pour un récit de survie et d'émancipation à un niveau de technicité digne, « Disco Afrika » est un pas de danse de l'âme. Voilà pourquoi l'art malgache actuel se meut, logique de la marche du temps et des politiques, en art générationnel. Luck Razanajaona n'y échappe pas.