Plus que les enjeux politiques, la commune urbaine d'Antananarivo est un défi colossal en termes de gouvernance. Le futur maire aura à relever des challenges multidimensionnels, au risque de se casser les dents.
Un casse-tête. Il est indéniable que pour les candidats en lice et leurs écuries, la conquête de la mairie d'Antananarivo revêt des enjeux politiques importants. Suivant le bord politique, elle peut être une manière de consolider le pouvoir étatique, ou vu comme un tremplin pour briguer la présidence de la République.
Seulement, dans les débats, les promesses de changement et d'amélioration de la situation et de la vie des habitants, une réalité est occultée. Antananarivo représente un défi herculéen en termes de gouvernance. Les challenges sont économiques, structuraux, civiques et démographiques. L'argent est le nerf de la guerre. L'ancien maire Naina Andriantsitohaina, actuel ministre de l'Aménagement du territoire et de la décentralisation, l'a appris à ses dépens.
Dans une interview télévisée, en décembre 2022, l'ancien maire Andriantsitohaina a avoué que « les caisses de la commune sont à sec », en ajoutant, « je ne suis pas un magicien et mes collaborateurs non plus ». Ceci pour dire que sans argent, la commune urbaine d'Antananarivo est paralysée. Il a expliqué cette disette financière par un faible taux de recouvrement fiscal en raison de la crise sanitaire.
Feu Richard Ramanambitana, ancien Président de la délégation spéciale (PDS) de la capitale, a dû se résoudre à accepter le retour des kermesses et des stands de marchands quasi permanents sur l'avenue de l'indépendance afin de renflouer les caisses de la commune. L'ancienne mairesse Lalao Ravalomanana, elle aussi, a dû se résoudre à morceler les trottoirs du centre-ville afin d'y ériger des box commerciaux à louer.
Il faut systématiquement une perfusion avec les subventions étatiques ou des aides exceptionnelles de l'État pour donner de l'air à la CUA durant les périodes d'asphyxie financière. Cependant, les appuis étatiques sont souvent tributaires de critères politiques. En conséquence, la revendication qu'Antananarivo obtienne la prérogative de conclure des partenariats internationaux a la cote chez certains candidats.
Aux soucis financiers, s'ajoutent les défis structurels renforcés par l'incivisme et la densité démographique dans la capitale. Déjà que, financièrement, la commune a du mal à financer l'assainissement quotidien de la ville. Le grand nombre d'habitants et le non-respect du vivre-ensemble lui compliquent la tâche. Il n'y a qu'à voir les saletés laissées par les marchands, dans les rues, en fin de journée pour en avoir une idée.
Rigueur et intransigeance
Les tonnes de déchets en plastique bouchent les canaux d'évacuation. En 2024, les bords des rivières, des coins de rue, les coins des arbres et des poteaux servent toujours de vespasiennes à ciel ouvert. La commune a pourtant fait l'effort d'augmenter le nombre des toilettes publiques. Si bon nombre de citoyens les ont adoptées dans leur quotidien. D'autres en font fi et n'hésitent même pas à se soulager juste à côté des toilettes publiques.
Les constructions illicites rendent impossible l'application d'une quelconque norme d'urbanisme. Elles renforcent la promiscuité et favorisent l'insécurité sous différentes formes. Dans certains quartiers, les couloirs sont si étriqués qu'y avoir accès est un parcours du combattant pour les services d'urgence. Avec la promiscuité, les risques d'incendie de grande ampleur augmentent, par exemple.
Plusieurs constructions illicites, ou des constructions autorisées, du reste, obstruent des bouches d'évacuation des eaux usées et des eaux de pluie. Il y a les constructions au bord des nouvelles routes comme le boulevard de l'Europe qui ne respectent pas les normes d'urbanisme imposant une distance réglementaire par rapport à la chaussée afin de permettre l'évacuation de l'eau de pluie.
Il y a aussi les enjeux liés aux communes limitrophes d'Antananarivo. L'afflux des travailleurs gonfle la densité démographique dans la capitale. Pareillement pour la circulation. Outre les véhicules des particuliers, les Taxibe qui desservent les zones suburbaines décuplent l'effectif de ces transporteurs en commun qui sont parmi les principaux acteurs de l'anarchie dans les rues de la capitale. Pareillement pour les marchands de rues.
Une bonne partie des marchands de rues sont composés de résidents des communes autour de la capitale. Les Taxibe suburbains pleins à craquer de marchands avec leur marchandise dès le petit matin pour rejoindre le centre-ville d'Antananarivo le démontrent. Sans compter les vendeurs de fruits et légumes.
En somme, la ville des mille représente un challenge colossal pour le futur maire. La ville qui paraît ingouvernable dans la situation actuelle nécessite une approche et des solutions systémiques. Les démarches populistes peuvent faire gagner en capital sympathie. Seulement redresser la ville des mille nécessite une gouvernance rigoureuse et intransigeante.
Dans la plupart des cas précités, des décisions impopulaires s'imposent comme des démolitions ou l'intégration au forceps, des marchands de rues dans le cadre formel des marchés. En l'état actuel de la situation, un maire qui veut s'attirer la sympathie populaire n'est pas fait pour Antananarivo. Si le futur maire souhaite se servir d'Antananarivo comme d'une rampe de lancement politique, il ne pourra s'appuyer que sur le bilan de son mandat.