Madagascar: Les monopoles nécessaires

Cette Chronique date du 23 octobre 1998. Sous le titre "Les monopoles nécessaires de Razanamasy". Vingt-six ans après, rien n'aura changé dans les relations entre le Maire d'Antananarivo et certains conseillers municipaux. Entre le Maire d'Antananarivo et le Fanjakana. En 1998, comme en 2024, jamais Exécutif à Madagascar n'aura été autant chahuté que celui de la ville d'Antananarivo. Une Ville-Région, une Ville-Province, le dixième de la population de Madagascar, mais que les textes obsolètes sur une décentralisation de mauvaise volonté s'ingénient à priver des moyens de ses missions, qui excèdent ceux de n'importe laquelle des vingt-trois Régions.

«Ny arivo lahy tsy maty indray andro» = mille sujets ne meurent pas en un jour, proclame la devise de la ville d'Antananarivo. Mille fut longtemps un chiffre-seuil symbolique pour les Malgaches. Le symbole d'une prospérité, le chiffre du juste milieu également quand on considère que la Capitale Antananarivo hésite entre «La ville des Mille» et la «La ville du Centre», «ivo».

Mille sujets, mille avis : brisant enfin son mutisme, la Mairie d'Antananarivo organise depuis le 22 octobre 1998, trois ans après l'élection de Guy Willy Razanamasy, des journées portes ouvertes à l'adresse de citoyens trop longtemps abasourdis sous le flot des imprécations collégiales du Conseil Municipal.

Le Maire, dans une lettre de présentation, revendique la connaissance de l'ensemble des données, la maîtrise de la coordination et la responsabilité de la décision par un seul «maître de l'ouvrage». Ces mêmes principes furent professés par Gallieni, le 22 mai 1898, mais l'organisation administrative de la République malgache brouilla la lisibilité des pouvoirs en brisant des monopoles

nécessaires : monopole de l'image, monopole de la représentation, monopole de la personnalisation.

Si le Gouverneur est le Chef de sa Province, qu'on ne donne pas au Conseil provincial les moyens de lui disputer cette primauté. Si le Maire est le Chef de sa Commune, qu'on prive le Conseil municipal des moyens d'usurper cette prérogative. La restauration de l'appellation «Gouverneur» renoue avec une familiarité datant de «Ragôva», mélange d'intimité et de distance. La désincarnation du générique «Mairie» sous le sobriquet complexe de «Commune Urbaine» enlève à Razanamasy le support affectif pour personnaliser la ville d'Antananarivo.

Un président de Bureau exécutif est une fiction qui ne dépasse ni les articles ni les alinéas des lois, que nul n'est censé ignorer mais que personne n'est en mesure de consulter (NDLR : vingt-quatre ans après, le CNLEGIS a comblé cette lacune). Le Maire, par contre, acquiert de suite une existence affective car la démocratie ne signifie pas nécessairement la désacralisation de l'autorité. Ce «hasina» reposant sur les trois «toko» du mystère, de la distance et du respect, constitue un puissant levier pour mobiliser les foules que n'a pas encore trop corrompues la capacité intellectuelle d'abstraction. Les individus intellectualisés comprennent d'eux-mêmes toute la nécessité de pérenniser cette supercherie psychologique.

«La puissance d'expansion et, par conséquent, l'influence sur autrui, n'est que force : à la manière de la mettre en oeuvre, on voit si elle est aussi justice» (Frantz Despagnet, «Essai sur les protectorats», Librairie de la Société du Recueil Général des Lois et Arrêts, Paris, 1896, p.408). Le principal grief du Conseil municipal contre le Maire Guy Razanamasy tient en un mot : autoritarisme. Mais, si la tyrannie a pu dégager une nouvelle fois la Place du 13 mai, conquise de haute lutte sur l'indiscipline érigée en mode de vie, là où le consensus a régulièrement échoué, la finalité sociale ne justifiait-elle pas cet expédient bonapartiste ?

Les «grands desseins» que nourrit Guy Razanamasy se dévident à partir d'un premier diagnostic : «le risque de voir s'abâtardir la silhouette, la facture et l'homogénéité des quartiers traditionnels et disparaître les derniers témoignages d'une histoire inséparable de l'image de marque de notre Cité» (NDLR, vingt-quatre ans après, c'est toujours cette même préoccupation qui motive le concept «Ny Foko sy ny Tany»).

La sauvegarde de cette partie historique de la Capitale n'ira pas sans pleurs ni grincements de dents. La colline d'Antananarivo est entrée dans l'histoire, couronnée des deux palais de Manjakamiadana et d'Andafiavaratra. Les constructions ultérieures, qui prétendent disputer ce double monopole de l'image, usurpent la légitimité sur laquelle repose notre mémoire en tant que nation. Si la démocratie participative des citoyens d'Antananarivo est déjà trop lâche pour oublier son histoire, des manières dictatoriales s'imposeront à la mesure «haussmanienne de ces «grands desseins».

Le principal apport de Guy Razanamasy, une première fois à la tête d'Antananarivo entre 1989 et 1991, et une nouvelle fois depuis le 5 novembre 1995, se trouve, presque par inadvertance, dans sa lettre de

présentation : «il était nécessaire de prouver la possibilité d'un changement».

Un organe collégial aurait capitulé devant le fait accompli, tiraillé entre les zizanies propres à de telles institutions. Le monopole de la maîtrise de l'ouvrage, que le Conseil municipal traduit en tyrannie et dictature, aura imprimé cette dynamique : «la possibilité d'un changement». Et mille jours ne suffiront pas à parachever cette dynamique.

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