Burkina Faso: Insurrection populaire de 2014 - « L'insurrection vient d'être parachevée par le MPSR II », Imhotep Bayala

29 Octobre 2024
interview

2014 à 2024, cela fait déjà 10 ans que le peuple burkinabè a mis fin au règne de l'ex-Président Blaise Compaoré par une insurrection populaire. Des acteurs de cette insurrection, à l'image du coordonnateur national de l'association « Deux heures pour nous, deux heures pour kamita », Lianhoué Imhotep Bayala, revient sur sa contribution et les acquis sauvegardés par l'avènement du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR II).

Déjà 10 ans que l'insurrection populaire a eu lieu au Burkina. Quel bilan faites-vous ?

J'ai un sentiment de satisfaction pour le fait que c'était inespéré car, elle est issue d'un pouvoir antidémocratique, tortionnaire de plus de 27 ans et qui a eu en face une jeunesse d'un certain courage pour s'assumer. Elle nous a permis de nous débarrasser d'un système qui avait maintenu cloués dans la misère, dans la pauvreté, les Burkinabè.

Donc, les acquis de cette insurrection sont parvenus à chasser du pouvoir l'assassin de Thomas Sankara, celui qui a tué l'espoir burkinabè, l'espoir africain. L'insurrection a permis de conquérir des espaces de liberté qui n'étaient pas du tout accessibles. Il s'agit de la pensée de Thomas Sankara qui refait surface avec une telle puissance. Thomas Sankara avait été éteint et transformé en une sorte d'ordure publique.

Mais, le vent de l'insurrection a ramené Sankara dans l'espace public, alors qu'avec le règne de 27 ans, on avait assisté à une « désankararisation » de tout ce qui est le symbole de Thomas Sankara. Avec l'insurrection, on a pu « ré-sankariser » l'espace public avec non seulement sa figure partout, son discours idéologique, moral, politique mais surtout permettre de préconfigurer l'espace politique.

Les acquis de l'insurrection, immédiatement après la Transition du MPSR 1, ont été tous vendangés par une classe politique dont la méthode même de fonctionnement et de gestion de l'Etat est à 180 degrés des valeurs de l'insurrection. Tous les maux qu'ils ont conjurés en faisant l'insurrection ont refait brillamment surface dans l'espace public.

C'est une sorte de double poignard et d'humiliation des insurgés, parce que les tenants du pouvoir de l'époque avec leurs alliés de la société civile ont trouvé une sorte de pacte pour remettre en surface tous les crimes qui avaient été conjurés par l'insurrection. Et, tout cela pour récolter des prébendes, une postulation. La corruption a doublé. Les acteurs ont mis en place une éducation au pillage, au vol, au manque de courage pour dénoncer le colonialisme et tout le reste. Il y avait énormément d'impairs.

L'insurrection visait à donner de l'espoir à tout le monde, pas à constituer une petite clique de gens dont on change de façon magique le statut. La société civile était devenue comme une forme d'ascenseur social, une forme d'échelle magique qui va créer la race des entrepreneurs politiques. C'est ce qui a conduit au MPSR 1 et 2.

Ces acquis ont-ils été préservés avec le MPSR II ?

Ce qui reste de l'insurrection, c'est qu'à l'heure actuelle avec le MPSR 2, l'insurrection vient d'être parachevée. J'ai le sentiment que les mots d'ordre de l'insurrection sont pris en compte dans la gouvernance, dans l'attitude des acteurs qui gouvernent. La nature du personnel politique aujourd'hui est en phase avec ce qu'on devait avoir en 2014. J'ai l'impression qu'il y a une forme de réconciliation historique entre l'évènement qui s'est déroulé en 2014 et son parachèvement qui s'est fait le 30 septembre 2022. Que ce soit le contenu des politiques publiques, la consécration de l'espace public qui n'est plus le monopole de certains politiques ou de certains types d'OSC, mais un espace politique véritablement démocratique qui prend en compte toutes les périphéries.

Ce n'est plus cette prison de ces privilégiés d'acteurs politiques qui occupaient l'espace. Désormais, il y a une corrélation entre le MPSR 2 et l'insurrection populaire. C'est la foi de la population en la Révolution qui a amené fondamentalement à oser les sacrifices de 2014, donc l'insurrection. Aujourd'hui, il existe un lien d'intimité entre les deux événements socio-politiques et socio-historiques.

Quel est ce lien ?

L'insurrection de 2014 était un chapelet d'aspirations, le MPSR 2 aussi. Maintenant, sous la gouvernance du MPSR2, on a le sentiment que l'insurrection s'est déroulée hier, parce que ce qu'on désirait avec l'insurrection, est que la période post-insurrection soit portée par une dynamique comme celle qui a lieu actuellement.

En tant qu'acteur de la société civile, quelle a été votre contribution à cette insurrection ?

C'était déjà l'éducation, la conscientisation des masses pour les préparer à l'insurrection de 2014 en dénonçant le projet du Sénat et du référendum. On ne voulait plus de cette forme de démocratie pastèque où l'extérieur est tout à fait vert, mais l'intérieur bouillonnait de crimes de sang.

Donc, nous avons fait une éducation massive pour préparer la mentalité à des marches, des meetings, des concerts pédagogiques, des caravanes à l'intérieur de la ville et des meetings à l'université en vue d'interpeller les étudiants sur leur responsabilité à ne pas être des observateurs passifs, mais à être des acteurs. Dès que le Conseil des ministres a annoncé faire passer le projet de loi à l'Assemblée nationale, nous avons commencé notre résistance.

On a animé des foyers de résistance partout et la stratégie consistait à ouvrir plusieurs fronts de résistance sur toutes les ruelles, les voies principales, même la voie de l'actuel boulevard Thomas-Sankara. On a veillé le 28 octobre 2014, la date de vote de la loi. C'était autant de formes de résistance que nous avons menées. Cela nous a coûté des vies, des traumatismes psychologiques et des impacts corporels. Je fais partie de ceux qui sont impactés à vie, car depuis le coup d'Etat de septembre 2015, j'ai des impacts très graves qui m'empêchent aujourd'hui de courir. Nous sommes les plus heureux parce que nos vies ont été préservées.

Qu'est-ce que vous préconisez pour que ce lien insurrection et MPSR2 puisse être préservé ?

Je salue déjà les actions du MPSR2 parce que le MPSR1 voulait même effacer l'insurrection de l'histoire socio-politique et le MPSR2 est venu sauver l'insurrection comme étant une étape historique suffisamment importante. A chaque commémoration de la date d'anniversaire, le chef de l'Etat continue de déposer des gerbes de fleurs en mémoire de tous ceux qui se sont sacrifiés.

C'est déjà un acte important dans le protocole d'Etat qu'il faut préserver et en continuant de raviver la flamme du sacrifice suprême que les Burkinabè ont accepté de consentir. C'est un acte de compensation morale, psychologique. Marquer une halte pour reconnaître leur sacrifice permet d'étancher un peu la douleur des parents. Aussi, le MPSR 2 doit continuer sur la trajectoire actuelle afin de rétablir la justice pour tout le monde.

Que ce soit une justice réelle qui fonctionne avec égalité et équité pour tous les acteurs. Sur le plan de la fracture sociale, avec les différentes initiatives engagées, qu'on donne la chance aux Burkinabè de se sentir Burkinabè et avoir droit au bonheur. Avec le MPSR2, non seulement on s'est débarrassé du valet local, le point focal du colonialisme, mais aujourd'hui on s'est même débarrassé du colon.

Je les invite à continuer à approfondir ces mots d'ordre afin véritablement de donner sens à cette période que notre peuple a courageusement assumée. Car comme le disait Frantz Fanon : « Chaque génération dans une relative opacité doit découvrir sa mission, la trahir ou l'accomplir ». Et en 2014, nous avons accompli notre mission générationnelle et elle continue sous le MPSR2 à être consacrée.

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