Alors que son pays doit faire face aux conséquences des crises sécuritaires au Soudan et dans la région du lac Tchad, le ministre tchadien des Finances et du Budget, Tahir Hamid Nguilin, expose la portée de l'obtention par son pays de la première note financière de son histoire. Entretien.
Le 28 octobre, l'agence Standard & Poor's (S&P) a attribué au Tchad sa première note financière. Le pays est noté B- avec perspective stable, ce qui le place au même niveau que le Cameroun, l'Ouganda ou le Kenya.
Le ministre tchadien des Finances et du Budget, Tahir Hamid Nguilin, explique les enjeux de cette notation, aborde les dernières discussions de son pays avec le Fonds monétaire international (FMI), et revient aussi sur les implications des crises sécuritaires au Soudan et dans la région du lac Tchad, où une attaque terroriste a coûté la vie à une quarantaine de militaires.
RFI : Tahir Hamid Nguilin, pourquoi le Tchad a-t-il choisi d'être noté par l'agence américaine Standard & Poor's ?
Tahir Hamid Nguilin : C'est la première note du Tchad. Elle permet d'avoir une base plus fiable pour décrire la situation de notre pays et nos finances publiques, mais aussi de pouvoir les comparer avec celles d'autres États à partir de standards internationaux.
Cela va nous permettre de rassurer les investisseurs, les créanciers, les banques multilatérales et, plus largement, l'ensemble des financiers internationaux. C'est un point de départ pour un ensemble de démarches qui pourront être entreprises.
Vous espérez pouvoir lever des fonds plus facilement ?
Grâce à la notation, la dette émise par le Tchad sera plus liquide, et donc plus facilement mobilisable par les banques et les investisseurs qui la détiennent ou désirent en acheter. Donc évidemment, cela nous permettra de lever davantage de financements si nécessaire. Tout cela dans le cadre de notre plan national de développement qui est en train d'être finalisé.
Le Tchad va-t-il changer de politique en matière d'endettement ?
Notre politique sur la dette, pour l'essentiel, ne changera pas. Nous sommes un pays qui a majoritairement une dette concessionnelle, c'est-à-dire avec un faible taux d'intérêt, qui est devenue soutenable. Ceci après des efforts et un grand engagement en matière de mobilisation et de digitalisation de nos régies de recettes, d'une maîtrise plus poussée de nos dépenses. C'est aussi grâce aux efforts que nous avons entrepris dans le cadre commun du G20.
Tout cela a permis qu'aujourd'hui, nous soyons notés B- avec perspective stable par Standard & Poor's. Nous devons tout faire pour l'améliorer en maintenant la cadence des réformes, en diversifiant davantage notre économie, qui reçoit de plus en plus d'investissements directs étrangers. En zone Cemac, nous sommes le deuxième pays de réception en matière d'investissement direct étranger, et je pense que nous pouvons encore nous améliorer.
S&P met en avant votre dépendance aux revenus pétroliers...
Certes, mais S&P note aussi que nos recettes, du fait d'une certaine diversification, ont augmenté de 30% en 2021-2023. Notre économie était essentiellement dominée par le secteur primaire (industries extractives et agriculture), mais le poids du secteur secondaire est en train de devenir plus important. Nous avons également des efforts qui sont mis en oeuvre dans le cadre de l'industrialisation, soutenue par la montée en puissance de notre fourniture d'électricité. Des projets solaires sont en cours de déploiement.
Évidemment, l'élevage reste aussi l'un des grands secteurs d'avenir pour le Tchad, avec le développement avec Olam/Arise de zones économiques spéciales. Il y a un ensemble de projets concernant le lait de chamelle, le lait de vache et l'exportation de la viande. Des abattoirs autour de Ndjamena et dans le sud du pays sont déjà opérationnels.
Et il y a aussi beaucoup de valeur à tirer de la transformation de la gomme arabique. C'est une source d'amélioration des revenus des paysans, des éleveurs et un moyen de lutte contre la désertification. Il y a aussi des efforts à faire sur le sésame, l'arachide et le coton.
Vous revenez des Assemblées annuelles à Washington. Prévoyez-vous un nouveau programme avec le FMI ?
Contrairement à certaines idées reçues, nous sommes l'un des pays les moins endettés aujourd'hui. Pour l'essentiel, ce sont des dettes concessionnelles. Le Fonds monétaire international est l'un de nos grands partenaires et nous sommes d'accord sur l'essentiel de ses analyses, notamment sur ce que doit être le cadre macroéconomique du Tchad pour les trois-quatre prochaines années.
Nous discuterons éventuellement de la mise en place d'un nouveau programme plus robuste, engageant des réformes pour améliorer le climat des affaires, le capital humain, la diversification de notre économie, mais aussi l'augmentation de nos recettes.
La zone du lac Tchad a été le lieu, il y a quelques jours, d'une attaque meurtrière de Boko Haram. Quelles sont les conséquences de la présence de ce groupe terroriste dans la région ?
Toutes ces années, le Tchad s'est trouvé en première ligne, et parfois un peu seul, face à cette situation. Mais c'est un phénomène mondial. Cela devient un peu une zone oubliée. La communauté internationale devrait mieux s'en occuper. La communauté internationale pourrait faire mieux et donner beaucoup plus en termes de contributions diverses et multiformes.
Mais aussi en termes d'attention. Cette crise retarde le développement de la région du lac, et donc du pays, car c'est un des atouts du Tchad. Jusque dans les années 1980, la pêche y représentait le premier poste de recettes du budget national. Le lac doit redevenir une zone de prospérité.
Le Soudan voisin est touché par un conflit intense depuis plus d'un an. Cette crise pénalise-t-elle aussi votre pays ?
L'un des premiers impacts, c'est l'arrivée massive et continue des réfugiés, stoppée temporairement par les pluies. Les agences internationales, les Nations unies, la Banque mondiale interviennent, mais ce n'est pas suffisant. Seuls 30% des besoins sont couverts.
Donc cela pèse sur le pays, sur notre capacité à offrir des services sociaux. L'armée est obligée de se déployer, d'être en alerte, de protéger nos frontières. Ce sont des dépenses non prévues entièrement financées par le budget tchadien.
Le Tchad vient d'obtenir un prêt de 500 millions de dollars de la part des Émirats arabes unis. Comment cette somme va-t-elle être utilisée ?
Ce prêt, c'est d'abord un appui budgétaire qui vient suppléer les appuis de nos partenaires traditionnels qui ne sont pas arrivés parce qu'on était en période préélectorale. Donc c'est un prêt très concessionnel qui va entrer dans le circuit des dépenses normales. Cela va servir à financer des investissements pour tous les secteurs : la santé, l'éducation, l'enseignement supérieur, le désenclavement, la lutte contre les inondations.
Le Tchad et le Niger veulent relancer le projet de pipeline entre les deux pays ?
C'est un projet discuté en toute souveraineté entre le Tchad et le Niger et qui a tout son sens. Pour beaucoup, c'est le tracé idéal. Actuellement, le pétrole passe par le Bénin. Mais est-ce qu'il ne faut pas une deuxième sortie ? C'est toujours bien d'avoir des alternatives. En plus, le pétrole nigérien n'est qu'à 20 kilomètres de la frontière tchadienne. Ce dossier est traité par le ministère du Pétrole.
L'ancien gouverneur de la Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC), le Tchadien Mahamat Abbas Tolli, est le candidat officiel de la Cemac pour la présidence de la Banque africaine de développement (BAD). Mais, il semblerait que le Cameroun veuille présenter son propre candidat...
Non, nous n'avons pas connaissance du fait que le Cameroun a adoubé un autre candidat. Mahamat Abbas Tolli est le candidat de la Cemac, c'est le candidat du Tchad, du Cameroun et de tous les autres pays de la région.
Il n'y a donc pas de désaccord au sein de la région ?
Nous ne sommes pas au courant. Peut-être qu'il y a des gens qui essaient de placer un candidat, c'est humain, mais le Cameroun et le Tchad ont toujours voté ensemble.