Onze ans après l'enlèvement suivi de l'exécution de deux journalistes de Radio France internationale (RFI) à quelques encablures de la ville malienne de Kidal, les réactions d'indignation ne tarissent pas, et les amis et parents des victimes ne lâchent rien pour connaitre toute la vérité sur ces crimes parmi les plus retentissants perpétrés au Mali au début de la crise en cours. Pour mémoire, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, puisque c'est d'eux qu'il s'agit, ont été kidnappés, le 2 novembre 2013, devant la porte du domicile du leader de la rébellion touaregue Aambéry Ag Rhissa, puis conduits de force hors de la bourgade et dans un pick-up par leurs ravisseurs, avant d'être froidement exécutés par ces derniers.
Leurs corps inertes et criblés de balles ont été découverts quelques heures plus tard par une patrouille et des hélicoptères de l'armée française qui ont été immédiatement déployés sur zone. Mais les ravisseurs, quant à eux, ont réussi à disparaitre dans le cosmos, probablement à pieds puisque le véhicule qui les transportait est resté sur le lieu du crime, en raison d'une panne de moteur. Est-ce pour cela qu'ils ont trucidé leurs otages, pour faciliter leur fuite ? Qui sont ces exécutants, les commanditaires et les éventuels complices ?
Pourquoi les enquêtes se sont-ils jusqu'ici heurtées contre le mur du fameux « secret-défense », comme s'il s'agissait d'un crime d'Etat ? Autant d'interrogations auxquelles la Justice française, qui a ouvert depuis novembre 2013, une enquête pour des « faits d'enlèvement et séquestration suivis de meurtres en lien avec une entreprise terroriste », n'a pu répondre, à la grande consternation des familles Dupont et Verlon. Mystère donc et boule de gomme plusieurs années après la commission des faits, et l'espoir de retrouver les commanditaires et les exécutants s'évanouit, de jour en jour, dans le sable mouvant du septentrion malien.
En effet, tout ce que l'on sait, à ce jour, de ces deux assassinats qui ont ému le monde de la presse mais pas seulement, c'est que celui qui en est le suspect numéro un serait un cadre d'Aqmi du nom de Baye Ag Bakabo, neutralisé par l'armée française non loin du village sordidement célèbre d'Aguelock, en juin 2021. On sait aussi que Al- quaida a revendiqué le double assassinat, alors que cette nébuleuse terroriste avait quelques jours plus tôt, libéré des otages français qu'elle détenait depuis l'attaque du site d'Areva à Arlit, au Niger, en 2010.
Depuis, les langues se sont déliées et ils sont nombreux aujourd'hui à établir un lien de causalité entre le meurtre avec préméditation des envoyés spéciaux de RFI, et cette libération contre paiement de rançon qui aurait mal tourné du fait de la cupidité des intermédiaires et des couacs au sommet de l'Etat, sur fond de concurrence absurde. Il semble, en effet, que la France a consenti à remettre aux auteurs du rapt, via des barbouzes, une somme colossale qui avoisinerait les 20 millions d'euros, qui aurait été prélevée sur les fonds secrets alloués aux services de renseignement français. Certains complices des ravisseurs n'ayant pas reçu leur part du gâteau, auraient tout simplement étanché leur soif de vengeance sur les deux journalistes, qui étaient au mauvais endroit, au mauvais moment.
Si ce lien entre les deux événements venait à être prouvé, ce serait alors un désastre pour l'image de cette France qui a maintes fois répété tel un mantra, le credo selon lequel elle ne verse jamais de rançon pour libérer ses otages. C'est peut-être pour éviter de mettre à nu ces frasques et ces ratés que les autorités politiques et judiciaires de ce pays se hâtent lentement dans le traitement de ce dossier potentiellement explosif, malgré les appels tous azimuts à la manifestation de la vérité et de la justice.
Saura-t-on seulement un jour ce qui s'est passé ce 2 novembre 2013 pour que ces journalistes soient abattus à bout portant dans une zone où étaient présentes à la fois l'armée française et les troupes des Nations unies ? C'est possible, mais il va falloir s'armer de patience au regard des relations exécrables entre le Mali et la France, qui pourraient entraver toute coopération de l'ancienne colonie dans ce dossier, sans oublier que beaucoup de coupables et de complices ont eu le temps de disparaitre, sans avoir jamais été entendu par la Justice.