Les bandes sonores publiées hier, contenant des voix attribuées à divers acteurs juridiques et politiques de Maurice, mettent en lumière de troublantes allégations de corruption et d'ingérence dans des affaires judiciaires sensibles. Parmi ces dossiers, l'affaire de «sniffing» et l'enquête sur le meurtre de Soopramanien Kistnen occupent une place centrale, soulevant des interrogations sur l'intégrité du système judiciaire et la responsabilité des acteurs impliqués. Pas moins de cinq avocats et une avouée auxquels les voix sont attribuées dans ces bandes sonores se retrouvent au coeur de ce scandale.
Dans un communiqué émis vendredi, le Bar Council a d'ailleurs rappelé aux membres du barreau leur obligation de respecter scrupuleusement le code de déontologie. Les avocats, selon le conseil, doivent veiller à éviter tout acte susceptible de compromettre l'impartialité des procédures judiciaires ou d'enfreindre la règle 2.3 du code de déontologie. Cependant, l'organisme se retrouve limité par les dispositions de la Mauritius Bar Association Act et ne peut suspendre ou radier un membre que sur la base d'une décision de la Cour suprême concluant à une grave violation de l'éthique professionnelle.
Les bandes sonores impliquent certains avocats représentant des personnalités de premier plan, dont le Premier ministre sortant, ce qui rend la situation encore plus complexe. Une voix attribuée à Me Shamila Sonah-Ori, l'avouée de Pravind Jugnauth, au coeur de plusieurs discussions enregistrées, revient de manière récurrente. Elle aurait évoqué, selon des vidéos de Missie Moustass postées précédemment, des échanges liés à l'affaire de «sniffing», dans lesquels un technicien indien aurait confirmé que son intervention allait au-delà d'une simple inspection, qualifiant l'opération de «sizing-up», un terme équivoque désignant une évaluation plus poussée. Dans une conversation attribuée à Me Sonah-Ori avec le surintendant Rajaram, ce dernier aurait exprimé son souhait d'éviter que l'affaire «sniffing» ne refasse surface.
D'autres enregistrements révèlent des discussions impliquant Me Ravin Chetty, SC, également en lien avec Me Sonah-Ori, et des allusions à des stratagèmes mis en place pour contourner la protection légale de Sherry Singh. Dans une conversation, une voix attribuée à l'assistant commissaire de police (ACP) Heman Jangi se lamente sur le droit au silence exercé par Sherry Singh, ajoutant qu'il serait nécessaire de trouver un «moyen de le coincer». Me Raouf Gulbul, dans une autre bande sonore, aurait promis d'intervenir pour discuter de cette question avec Heman Jangi. Toujours dans cette perspective, Me Sonah-Ori aurait demandé au commissaire de police Anil Kumar Dip d'arrêter Sherry Singh si ce dernier tentait de quitter le pays, tout en insistant pour que certains membres influents se rencontrent afin de gérer cette affaire.
Une série d'enregistrements relie également ces controverses à d'autres personnalités de la sphère politique et judiciaire, dont le chef du service civil Nayen Koomar Ballah, autrefois représentant du bureau du Premier ministre (PMO) au conseil d'administration de Mauritius Telecom. Ce dernier aurait été invité par Me Sonah-Ori à maintenir Girish Guddoy disponible pour d'éventuelles enquêtes policières, avec pour objectif apparent de coordonner des actions visant à freiner les initiatives de Sherry Singh. Nous avons contacté Me Sonah-Ori pour obtenir sa version, mais sans succès. Son retour est attendu.
Des enregistrements incluent aussi des conversations attribuées à Meᣵ Samad Golamaully et Ashley Hurhangee, qui auraient mentionné des contacts avec des autorités internationales ainsi qu'un «groupe de journalistes et d'avocats étrangers» prétendument mobilisés pour influencer l'opinion publique et orchestrer un scénario où Sherry Singh serait incarcéré.
Par ailleurs, une voix attribuée au conseiller du PM, Zouberr Joomaye - dans une bande sonore postée hier - aurait sollicité l'avocat Dick Ng Sui (président de l'ICTA), pour réaliser une vidéo sur le meurtre de Soopramanien Kistnen, avec l'aide d'un autre homme de loi, en l'occurrence Me Ravi Rutnah. Un acte perçu comme une tentative de modeler le récit de cette affaire controversée. Dans un autre extrait, le Premier ministre Pravind Jugnauth discuterait de l'influence potentielle sur un magistrat.
Le Bar Council se dit conscient du tollé général suscité par ces révélations, bien que sa capacité d'action demeure juridiquement encadrée. Ces fuites révèlent en tout cas une profonde crise de confiance envers l'État de droit, exacerbée par des soupçons de partialité et de manipulation au sein du système judiciaire.