2 novembre 1834- 2 novembre 2024. Cela fait190 ans depuis que les 36 premiers «Hill coolies» sont arrivés. Ces travailleurs engagés du Bihar, ont débarqué du port de Calcutta à Port-Louis. L'historien chercheur Satyendra Peerthum nous guide à la rencontre des pionniers du «Great experiment» des Britanniques qu'était l'engagisme.
Ils étaient 36. Un premier groupe de Hill coolies ainsi appelés parce qu'ils venaient des régions montagneuses de l'Inde. Les documents officiels indiquent qu'ils avaient pour nom Bhoodhoo, Champah, Bhudhram, Juttoo, Choytun, Gungaram, Chota Muggoo, Dookhun, Sookhun, Callachaund et Lungoor, Subaram entre autres. Un premier groupe de travailleurs engagés entièrement masculin. Parmi eux, le sirdar Sooroop.
Tous ces noms, ces visages, ces parcours, l'historien-chercheur à l'Aapravasi Ghat Trust Fund, Satyendra Peerthum, leur rend hommage dans l'ouvrage de référence They came to Mauritian Shores: The Life-Stories and History of the Indentured Labourers in Mauritius (1826-1937). Un ouvrage publié en 2017 par l'AGTF, qui en est à sa cinquième réédition signale l'historien.
Pour mettre de l'humain sur les registres et documents officiels, cela lui a demandé sept ans de recherches à temps partiel, indique Satyendra Peerthum. Il s'est penché sur des documents conservés aux archives de l'immigration indienne du Mahatma Gandhi Institute, les Archives nationales, le bureau de l'état civil, la Bibliothèque nationale, le département du Registrar General, la Chambre d'Agriculture. Il a également consulté les archives de 36 familles mauriciennes, dont la sienne.
Les 36 premiers travailleurs engagés avait été recrutés par George C. Arbuthnot, co-propriétaire de la sucrerie d'Antoinette (aujourd'hui Phooliyar) dans le district de Rivière-du-Rempart. Dans son ouvrage, Satyendra Peerthum suit pas à pas «Sooroop ou Soroop Sirdar». Quand il pose le pied à Maurice, il a 40 ans. Il arrive de Chota Nagpur, anciennement au Bihar, aujourd'hui dans l'Etat du Jharkand. Il est d'abord engagé sur la sucrerie d'Antoinette jusque dans les années 1840 avant de devenir un entrepreneur, un petit propriétaire terrien et un planteur. «Il a été photographié à l'âge de 85 ans au Immigration Depot en 1879. Il est décédé en 1884 à l'âge de 90 ans», précise l'historien.
Satyendra Peerthum explique qu'à la fin des années 1830 et début 1840, la grande majorité des engagés venaient du Bengal et de Madras en transitant par les ports de Calcutta et de Madras. «Une poignée seulement sont arrivés du Bombay». Des milliers de travailleurs engagés sont venus de diverses régions de l'Inde comme Pondicherry, Cochin, Cuddalore, Karikal et Tranquebar. Les engagés sont venus d'États tels que le Bihar, l'Uttar Pradesh, le Jharkand, le Madhya Pradesh, le Rajasthan, le Pendjab, le Gujerat, le Maharastra, le Tamil Nadu entre autres, «reproduisant ainsi une grande diversité de traditions, croyances et pratiques à Maurice».
Des contractuels de Chine
Dans They came to Mauritian Shores: The Life-Stories and History of the Indentured Labourers in Mauritius (1826-1937), un ouvrage publié en 2017 par l'AGTF, l'historien Satyendra Peerthum parle également des engagés non-indiens. «Entre janvier 1826 et juillet 1834, des contractuels indiens et chinois ont été employés surtout comme domestiques, baby-sitter, ouvriers qualifiés et semi-qualifiés pour une période de deux à quatre ans. Ils venaient principalement de Calcutta, Bombay, Pondicherry, Madras, Singapour et Penang». L'auteur poursuit : «Il est estimé que 802 travailleurs engagés indiens et 398 engagés chinois ont été introduits à Maurice entre juin et octobre 1829. De ces 398 engagés chinois, 249 étaient des mécaniciens et des laboureurs pour le compte de monsieur Gaillardon de Thompson & Company».
Les femmes engagées
Selon l'historien, il est estimé que «106 500 femmes, soit près de 25% du nombre total de travailleurs engagés sont venues à Maurice entre 1826 et 1910». Il poursuit : entre 1834 et 1842, «quand l'engagisme était contrôlé par le privé, environ 1 014 femmes et jeunes filles sont arrivées sous contrat du Bengal, de Madras et de Bombay».
L'engagisme démarre avant 1834
Cet ouvrage apporte des précisions sur les débuts réels de l'engagisme. L'historien Satyendra Peerthum explique que l'arrivée des engagés ne date pas de 1834 mais de 1826. Il écrit : «entre 1826 et 1910, il est estimé que 462 801 travailleurs engagés indiens et non indiens sont venus à Maurice». L'auteur souligne que de janvier 1826 à décembre 1842, l'importation de la maind'oeuvre engagée est une «initiative privée contrôlée et financée par des planteurs franco-mauriciens et britanniques, des marchands, des libres de couleur, des planteurs et commerçants indiens». Selon lui, de janvier 1826 à juillet 1834, «1 751 travailleurs ont été engagés soit à titre individuel soit en groupe pour des contrats de cinq ans, la plupart sur les sucreries, certains à Port-Louis». L'historien précise que ce nombre représente «plus de la moitié du nombre total d'engagés introduits à l'île de La Réunion entre 1826 et 1832».
Le premier engagé
Retrouver le premier travailleur engagé. L'historien nous présente *«Mahamod ou Mohameth, qui est arrivé le 23 janvier 1826 à bord du navire The Elizabeth du port de Calcutta»& comme le premier engagé à Maurice. Il est arrivé en compagnie de ses deux fils Ali et Hamad. A son arrivée, Mahamod, qui venait du village de Birali au Bengale, dans les faubourgs de Calcutta avait 45 ans. Il a été recruté par le «Capitaine Gaston pour être domestique au service de monsieur Oliver, l'un des directeurs de la société Gaillardon, à Pointe-aux-Piments».
Dix ans après son arrivée, en 1836, Mahamod est «head servant» chez le Capitaine West. Trois ans plus tard, en 1839, il achète trois arpents de terre près de ce qui est aujourd'hui le village de Grand-Baie. Le petit planteur Mahamod achète un second lopin de terre de cinq arpents en 1846. Il a alors 65 ans. Peu après, il quitte le service du Capitaine West, se consacre à ses terres et à l'élevage avec ses deux fils. Il engage aussi des Old Immigrants, des engagés qui ont déjà complété un contrat de cinq ans. Mahamod vend sa production à la propriété de The Vale.
En 1856, Mahamod, ses deux fils et cinq petits-fils achètent 31 arpents de terre près de la propriété de The Vale «pour 1 250 piastres». C'est le capitaine West qui est l'unique garant de cette acquisition. Entre le milieu des années 1850 et 1870, «Mahamod et sa famille devient l'un des propriétaires les plus importants du district de Pamplemousses». Il décède en 1876 à l'âge de 95 ans près de la sucrerie de The Vale. «Le capitaine West, avec qui Mahamod a entretenu une amitié longue de 45 ans a écrit son obituaire. C'est un fait extrêmement rare durant la période de l'engagisme qu'un planteur britannique écrive un obituaire en mémoire d'un ancien engagé».