En Algérie, Ihsane El Kadi a été libéré le 1er novembre 2024 à la faveur d'une grâce présidentielle. Ce journaliste algérien, directeur d'un des derniers groupes de médias indépendants du pays, avait été emprisonné fin 2022. Il était poursuivi pour « financement étranger de son entreprise » dans le but « de se livrer à des activités susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l'État ». Abdelmadjid Tebboune l'a donc gracié à l'occasion du 70e anniversaire de la Guerre d'indépendance. Le journaliste entend désormais reprendre son métier.
RFI : Ihsane El Kadi, comment allez-vous ?
Ihsane El Kadi : Bien mieux, bien mieux depuis quatre jours que je suis sorti. Il fait très beau à Alger, il fait même un peu plus chaud que de normal. Beaucoup de monde à la maison, énormément d'amis, la grande famille, des moments merveilleux. Peut-être quand même la contrariété de ne pas voir tous les détenus d'opinion libérés en même temps que moi.
Comment se sont passées ces vingt-deux mois de détention ?
Il y a quand même maintenant dans la prison dans laquelle j'étais une tradition qui s'est instaurée depuis le Hirak de recevoir des détenus d'opinion. Et donc, il y a une aile qui est dédiée à ce type de détenus qui en règle générale ne se mélange pas avec les droits communs. Bon, il se trouve qu'à partir de la moitié de mon séjour, il n'y avait plus assez de détenus d'opinion dans mon aile, et donc ça a fini par se mélanger avec les droits communs. Mais de manière générale, ces traditions font que on réserve une forme d'immunité par rapport à certaines pratiques qui survivent dans les centres de détention en Algérie, qui sont tout à fait inacceptables et desquelles sont préservés les détenus d'opinion. Mais ils sont en prison.
Aujourd'hui, comment expliquez-vous votre libération ? La mobilisation internationale a-t-elle pesé, selon vous ?
Incontestablement ! De manière générale, sur la durée, une campagne de solidarité : on parle tout le temps d'un détenu dans un pays et on interpelle ses autorités tout le temps. C'est inévitablement impactant sur l'exécutif qui s'est rendu coupable d'un acte d'autorité et d'un abus. Et donc, moi, je considère qu'effectivement cette campagne m'a évidemment aidé et d'ailleurs j'en profite pour remercier toutes les personnes et les organismes qui ont contribué à cette campagne.
Qu'allez-vous faire maintenant ? Pensez-vous pouvoir reprendre votre travail de journaliste indépendant ?
Je ne sais pas faire autre chose que cela. Je pense que mes persécuteurs le savent, à mon avis. Ils ne le sauraient pas, ils auraient vraiment tort... Donc, la question qui se pose c'est comment ? Nous ne pouvons pas ne pas faire de l'information. Quand je dis « nous », nous sommes quand même une équipe, nous sommes un collectif et donc je pense que nous allons tenter de continuer de le faire. Après, comment ça se fera ? Nous voulons le faire dans le cadre de la loi. Il y a une nouvelle loi sur la presse depuis l'année 2022 qui, évidemment, donne toujours la haute main à l'administration et à l'exécutif pour décider de qui peut exercer, qui ne peut pas exercer, malheureusement.
Nous allons demander un agrément pour essayer de continuer à exercer notre métier. Il y a aujourd'hui une grosse crise, une défiance vis-à-vis des médias. Les médias ne peuvent rien raconter et l'épée de Damoclès est là tout le temps sur la tête des rédactions et des directeurs de publications. Le contexte de la presse en Algérie est apocalyptique. Moi qui ai vécu les années 1990 avec les attentats du terrorisme islamiste, je pense qu'on a plus perdu ces dernières années que pendant cette phase-là où, en dépit des pertes terribles et dramatiques, on a maintenu le cap et on a continué à rapporter ce qui se passait dans la société algérienne. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas.