Madagascar: Mamy Tiana Raberahona/Professeur en histoire des institutions et romancier - « Rainivoanjo, c'est le nom d'un monarque du Menabe »

interview

À partir de 1967, Rainivoanjo allait devenir l'ennemi public numéro un selon l'administration. Entre le bandit hyper-médiatisé et le héros populaire, le professeur en histoire des institutions Mamy Tiana Raberahona s'apprête à lui consacrer un roman prévu à trois cent pages. « Mon ami s'appelle Rainivoanjo », entre la fiction et le documentaire historique. Interview.

Midi Madagasikara : Tout d'abord, d'où vient ce pseudonyme de « Rainivoanjo » et dites nous-en un peu plus sur cette légende urbaine ?

Mamy Tiana Raberahona : « Rainivoanjo », ce serait le nom d'un monarque du Menabe, il fût décapité du temps de Gallieni. Un grand personnage que les colons ont décapité. Au temps où il était en activité, l'époque était en quête de héros. Par exemple, il y avait le lieutenant Randriamaromanana en 1947, ensuite Mbahiny le rugbyman... C'est pour cela que j'ai opté pour un roman. Selon moi, il a adopté le nom de Rainivoanjo en prison. Rainivoanjo a osé s'ériger contre le système bancal. Et il détestait en haut lieu les « karana ». Il y a une histoire dans ce sens mais elle n'a pas encore été confirmée. Son talent était de cambrioler les maisons. Et comme des « Magasins M » se trouvaient dans chaque quartier, c'étaient des proies faciles. Enfin, il adorait les voitures « DS 21 ».

M.M : À vous entendre, on sent un brin d'admiration...

M.T.R : Une certaine admiration, parce que même s'il représentait le méfait, la société avait en lui un repère. Il incarnait à la fois le bien et le mal. Puis, la manipulation de masse de la presse et des gouvernants y a joué pour beaucoup de choses. En 1972, le pays était déjà en crise, des diversions étaient créées. Sa légende était quelque part montée de toutes pièces, il était la victime idéale.

M.M : Dans la mémoire populaire, « Rainivoanjo » était un genre de Robin des Bois et un « skinwalker ». Était-ce justifié ?

M.T.R : Personnellement, je ne crois pas qu'il pouvait se transformer en animaux. J'ai fait des recherches sur ce qu'est un « héros ». Un héros ne prend une telle envergure que lorsque la presse et l'administration créent le personnage. Du point de vue du peuple, nous l'avons élevé en héros parce que la presse l'a toujours mis en avant, en Une. Il y a un lieu à Anosizato où il cachait ses butins. Selon des témoignages recueillis, tout le monde pouvait y prendre ce dont il avait besoin, une sorte d'autorisation passive de la part de Rainivoanjo.

M.M : Quelque part, étaient-ce l'époque et les tensions sociales latentes qui voulaient cela ?

M.T.R : À son époque, il y avait ce qu'on appelait le « rafitra miangatra », pour ainsi dire un système bancal. Le peuple a vu en lui une personne courageuse qui a osé corriger ce système. Il ne faut pas oublier que c'était durant la période du « miady saranga ». « Zalé » qui a été déformé maintenant par « baomanga », Rainivoanjo a donc représenté une sorte de rébellion.

Midi Madagasikara : Comment d'un cambrioleur, il est devenu un « as du vol » et ce sans jamais avoir tué ?

M.T.R : En 1967 ou 1968, son premier délit de vol de cochon lui a valu un emprisonnement ferme. Une injustice à ses yeux, vu que c'était son premier délit qui méritait largement une peine sursitaire. C'était tout de même sévère. Ce genre de chose aboutit à créer un vrai bandit une fois la peine achevée. La prison devient une pépinière de criminels. Celle-ci ne tient plus le rôle de lieu de correction afin que les marginaux puissent réintégrer la société.

M.M : Pourquoi donc avoir écrit sur ce personnage qualifié de hors-la-loi ?

M.T.R : Aujourd'hui, notre société manque cruellement de repères. D'après moi, « Mon ami s'appelle Rainivoanjo » s'inscrit dans une mémoire collective. Et il n'y a pas seulement Rainivoanjo. Par exemple, durant mes cours, les élèves me demandent c'est quoi « mai 72 », les jeunes n'en savent rien. Il faut nourrir leur culture, surtout concernant notre pays. Voilà pourquoi, ce livre n'est ni à la charge ni à la décharge de Rainivoanjo.

M.M : Jusqu'à finir par devenir un « héros » d'une chanson de Mahaleo...

M.T.R : Son petit frère m'a dit que du temps où leur mère était encore de ce monde, dès que la chanson de Mahaleo « Rainivoanjo » passait à la radio, elle demandait qu'on l'éteigne. C'était vraiment douloureux. Il est finalement mort abattu, pourtant il a été loin d'être un criminel, il n'a jamais pris la vie de quelqu'un. Dans ce livre se trouvent beaucoup de révélations. Il a eu une progéniture, et était aussi un homme à femmes, la vie de cavale l'exigeait sans doute. Certaines de ses amantes le trahissaient. Né à Anosipatrana, il a été enseveli à Antsahadinta.

M.M : Il n'était donc pas un criminel à pouvoir se hisser au rang d'ennemi public numéro un. Connaissait-il déjà son destin en prenant le nom de « Rainivoanjo », le monarque du Menabe tué par les colons ?

M.T.R : Je me suis effectivement posé la question : La société d'antan était-elle vraiment exemplaire pour que des cambrioleurs méritent d'être abattu ? Le livre ouvre aussi la discussion sur ce débat de société et questionne sur la définition d'un ennemi public numéro un.

M.M : Pour le roman, sûrement attendu par toute une génération, quand est-il prévu sortir ?

M.T.R : Le roman était prévu sortir en 2022, une sorte de portrait croisé entre garde pénitencier, un personnage fictif et un personnage réel, Rainivoanjo. Tous les faits sont réels, les propos de gendarmes, de pénitenciers... et il est également basé sur des documents écrits. Des négociations sont en cours, il paraîtra en France prochainement. La raison est simple, ici à Madagascar, les droits d'auteur ne sont pas protégés. Des gens peuvent vendre impunément ton roman au format .pdf sur les réseaux sociaux. Bien sûr, je voudrais qu'il sorte ici, au pays.

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