Il est pour le moins étonnant qu'après l'organisation d'une douzaine d'élections générales depuis l'Indépendance du pays, certains dirigeants politiques n'arrivent pas à comprendre qu'en démocratie, l'alternance au sommet de l'État doit se faire dans le plus grand respect des institutions, loin du déballage public de la vie privée des uns et des comptes bancaires des autres. Cela, alors même que l'électorat mauricien, qui compte plus d'un million de votants, aurait dû avoir droit à un débat civilisé entre le Premier ministre sortant Pravind Jugnauth et son challenger immédiat, Navin Ramgoolam, autour des sujets qui ont marqué le dernier mandat. Qui vont de la cherté de la vie à la prolifération de la drogue, en passant par la démocratie, l'exode des jeunes, l'autosuffisance alimentaire ou le réchauffement climatique, entre autres.
Au lieu d'un exercice démocratique qui donnerait de l'étoffe à nos principaux leaders, on assiste en cette fin de campagne à une rare violence verbale où tous les coups semblent permis. Entre Missie Moustass volant la vedette aux candidats sur les réseaux sociaux en révélant les excès, voire les dérives d'un régime sortant et les dérapages communaux de certains apparatchiks des partis ou encore les tentatives à peine voilées de jeter en pâture l'intimité des adversaires politiques, on aura tout vu et entendu. Et bien souvent contre les voeux de l'électorat, tout au moins d'une partie, qui aurait souhaité qu'on respecte son intelligence et sa maturité politique.
Il est vrai que d'une campagne à l'autre, l'appel à des sentiments primaires, voire sectaires, est souvent utilisé comme une arme pour développer un réflexe de repli identitaire chez l'autre, qui craint de voir ses acquis et autres privilèges menacés. Le recours à une telle démarche, abondamment véhiculée sur les réseaux sociaux ces jours-ci, ne peut que contribuer à ébranler cette unité nationale. La référence à l'hymne national par certains, dont le député sortant du PTr et candidat de l'Alliance du changement à Port-Louis, Shakeel Mohamed, se veut être un puissant rappel à l'unité du pays autour de cette population «arc-en-ciel».
Il faut sans doute s'attendre au pire au cours des prochains jours. Les politiciens expérimentés et les agents aguerris sur le terrain s'accordent à dire que tout peut se jouer dans cette dernière ligne droite et que l'espoir est encore permis, pour l'un comme pour l'autre bloc, quant à combler le retard et coiffer l'adversaire au poteau. En même temps, il faut s'attendre aussi à ce que certains franchissent un nouveau palier dans l'intensité de la campagne pour calomnier les adversaires : des attaques sous la ceinture, le passé des uns déterré et balancé au visage ou encore des allégations fabriquées à la dernière minute pouvant influencer l'issue d'une élection.
Boîte de pandore
L'attaque frontale du leader du MSM contre Navin Ramgoolam dimanche, en balançant publiquement et devant des milliers de sympathisants acquis à la cause de son alliance électorale, de l'existence d'un compte bancaire à Singapour et de ses transactions bancaires en dollars américains, assistée en cela par la MBC, soulèvent certaines interrogations. Elles portent sur la question que le commun des mortels peut légitimement se poser sur le secret bancaire.
Le leader du PTr a nié en bloc hier l'existence de ce compte ainsi que celle d'une propriété en Angleterre. On ne connaît pas la provenance des renseignements de Pravind Jugnauth sur ce «compte». Seraient-ils le résultat d'un «audit trail» suivant l'enquête d'une institution d'investigation locale ? Dans tous les cas, on peut raisonnablement se demander si de telles informations, sous le couvert du secret bancaire, qu'elles soient démenties ou pas, devraient être étalées en public ? Et qu'en est-il de l'investisseur étranger qui suit ce feuilleton de loin, «far from the madding crowd» ? Il doit certainement se demander si les institutions clés du pays peuvent toujours garantir le secret bancaire de ses transactions dans la juridiction mauricienne... !
Le leader de l'Alliance Lepep, qui croyait mettre son rival politique K.-O. avec ces allégations, doit aujourd'hui comprendre qu'il a ouvert la boîte de Pandore. Des surprises en surgiront, qu'il aura à gérer délicatement. Comme le relevé d'un compte domicilié à Dubaï d'une personnalité proche de son entourage. Les réseaux sociaux y donnent des détails qui ne peuvent évidemment être confirmés pour l'instant.
En attendant, faut-il attendre d'autres cadeaux électoraux ? Acculé par l'opinion locale et internationale après la suspension des réseaux sociaux pendant 24 heures le 1er novembre face aux risques, selon le PM, d'une cyberattaque terroriste sur son bureau, le gouvernement sortant a tenté de faire oublier ce triste épisode en sortant son chéquier. Il annonce le paiement d'un 14e mois en décembre 2024 aux employés des secteurs privé et public ainsi qu'aux bénéficiaires de la pension de vieillesse couplée à une baisse de la TVA de 15 % à 10 % sur les produits de grande consommation. Ces nouvelles mesures viennent accréditer la thèse, largement soutenue par certains observateurs, que toute cette redistribution d'allocations à tous les segments de la population n'aurait probablement pas engrangé des dividendes politiques sur le terrain.
Dire que cette ultime promesse de 14e mois, déjà proposée par Xavier-Luc Duval, en tant que leader de l'opposition, durant la dernière séance parlementaire, n'a pas eu d'effet positif et créé un «feel-good factor» chez une frange de l'électorat, ce serait ignorer une réalité. D'où la parade trouvée par les principaux dirigeants de l'Alliance du changement pour contrer l'offensive de l'annonce de Pravind Jugnauth. «Nous serons au pouvoir après le 10 novembre et nous paierons le 14e mois à la fin de cette année», a affirmé en choeur hier le tandem Ramgoolam Bérenger. Un «one-off», comme a proposé le Premier ministre sortant.
Jusqu'où ira cette surenchère ? Est-ce que le leader de l'Alliance Lepep a d'autres cartes à sortir de son chapeau pour faire la différence alors que le Jour J approche ? Navin Ramgoolam et Pravind Jugnauth surfent sur le succès populaire de leur rassemblement de dimanche pour galvaniser les troupes, convaincre les indécis ainsi que cette masse silencieuse que chacun cherche à avoir à ses côtés. Entre-temps, les Moustass Leaks apportent toujours leur lot de révélations sur les réseaux sociaux et pourraient être, selon certains observateurs, le «game changer», le 11 novembre.