Ile Maurice: Une élection (qui s'offre) aux enchères

Nos élections ressemblent de plus en plus à une vente aux enchères, où les promesses politiques s'échangent comme des offres pour attirer les différentes franges d'électeurs. Après la surenchère autour de la pension universelle, (Rs 20 000 pour l'Alliance Lepep contre Rs 21 500 pour l'Alliance du changement), la dernière trouvaille : la promesse d'un 14e mois de salaire comme bonus de fin d'année 2024.

Lancée par le gouvernement sortant, cette mesure a d'abord été qualifiée de «désespérée» par l'opposition, qui l'a ensuite reprise, hier, sans gêne aucune, pour tenter d'égaliser la mise. Mais en jouant au plus offrant, politiciens et partis semblent perdre de vue la mission première de la politique : la vision et le bien commun.

Cette frénésie autour du 14e mois a immédiatement fait débat. Pour l'opposition, c'était d'abord une mesure insoutenable économiquement. Pourtant, face à son impact sur l'opinion publique, elle a vite changé de ton, intégrant à son tour cette promesse dans son programme... verbal. La question se pose alors : l'opposition est-elle elle-même tombée dans le piège du populisme, qu'elle dénonce pourtant ? Ce revirement soudain n'illustre-t-il pas la faiblesse d'une politique sans vision ?

Certes, promettre un 14e mois peut paraître alléchant, surtout dans un contexte de crise économique où les ménages sont confrontés à des hausses constantes du coût de la vie. Mais les avertissements sont nombreux. Dans le secteur privé, l'on avertit que ces promesses de hausse de salaire alimentent l'inflation, augmentent les coûts de production et nuisent à la compétitivité des entreprises mauriciennes, en particulier les PME.

Là où l'engagement politique se mesure d'ordinaire à la solidité d'un programme et à une vision de long terme, ces promesses de 14e mois révèlent tardivement au contraire un manque de stratégie claire. Elles montrent que, pour beaucoup de politiciens, l'enjeu n'est plus de bâtir un avenir pour Maurice, mais de gagner l'élection en surfant sur les désirs immédiats de l'électorat. Dans cette course aux enchères, la politique devient un jeu de séduction, un simple marché où le plus offrant l'emporte. Mais à quel prix ? Le gouvernement évoque les «Diego Dollars» alors que l'opposition, incapable comme en 1996 de connaître l'état des finances publiques, est obligée de «copy/paste» ?

Pour nombre de leaders syndicaux, cette annonce par les deux principaux blocs aurait dû être faite bien plus tôt pour permettre aux entreprises de s'y préparer, et non lancée à la veille des élections. Dans le camp gouvernemental, l'on répond que si l'annonce avait été faite plus tôt, l'opposition l'aurait copiée... ce qui n'est pas faux. Dans les faits.

Hormis les politiciens des deux grands blocs qui ne peuvent plus se désolidariser des paroles sacrées ou sucrées de leur leader, des bien-pensants, soucieux de l'économie, plaident pour des compensations ciblées en réponse au coût de la vie, plutôt que pour un 14e mois qui risque de déstabiliser les PME. Le timing de cette promesse est révélateur d'une politique de l'instant, où l'impact électoral est privilégié sur le pragmatisme économique.

Derrière cette enchère politique, on retrouve un malaise plus profond : celui de l'absence de vision et de responsabilité. Les partis, incapables de proposer un projet cohérent pour le pays, se contentent de manipuler des symboles populistes, comme le 14e mois, pour galvaniser les masses, surtout les indécis. Ce phénomène n'est pas propre à Maurice ; il est symptomatique d'un populisme croissant, où les politiciens cherchent à plaire à tout prix, sans se soucier des conséquences à long terme. C'est un jeu dangereux qui révèle la fragilité de nos démocraties, prêtes à tout pour satisfaire les caprices d'une opinion publique impatiente.

La montée du populisme, nourrie par les inégalités économiques et un désenchantement démocratique, transforme la politique en une simple transaction. Les électeurs, face à des politiciens qui changent constamment de position, perdent confiance. Cette situation rappelle ce que l'on observe à l'international, où le populisme a prospéré sur la base de l'insatisfaction des citoyens face à des élites perçues comme déconnectées. Dans un monde globalisé, les promesses populistes risquent de fragiliser encore plus les économies insulaires comme celle de Maurice.

Face à ces enjeux, la politique mauricienne semble devoir redéfinir ses priorités. Au lieu de céder aux enchères électoralistes, il est urgent de proposer des solutions durables aux défis économiques et sociaux du pays. Les partis doivent se rappeler que la politique ne consiste pas à offrir le plus grand nombre de cadeaux en période électorale, mais à bâtir un projet de société qui réponde aux besoins réels des citoyens.

La course aux promesses, symbolisée par cette enchère autour du 14e mois, est le signe d'une crise de la vision politique. Maurice mérite mieux. Il a besoin de leaders capables de prendre des décisions courageuses et responsables, même si elles ne plaisent pas immédiatement.

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