Burkina Faso: Enseignement bilingue au pays - Une approche éducative toujours à la recherche de ses marques

6 Novembre 2024

L'enseignement bilingue est une approche éducative qui utilise, en complémentarité, les langues nationales et le français. Son expérimentation a vu le jour au Burkina Faso en 1994 avec l'ouverture de deux écoles, dans les villages de Nomgana et de Goué, département de Loumbila, à une vingtaine de kilomètres à l'Est de Ouagadougou, la capitale. L'enseignement était dispensé en mooré et français. Plus tard, cette approche a eu une phase d'extension géographique et linguistique pour couvrir huit autres langues nationales et 28 provinces sur les 45 que compte le pays. En 30 ans de mise en oeuvre, l'école bilingue burkinabè peine à retrouver ses marques.

Ecole primaire bilingue Lafiabougou B de Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du Burkina Faso. Logé dans une vaste cour avec d'autres écoles classiques, le bâtiment présente un aspect vétuste. En cette matinée du 2 avril 2024, l'empreinte du temps est bien visible sur l'infrastructure scolaire. L'état du bâtiment contraste avec celui des autres écoles qui sont flambant neufs. Mais cette situation préoccupe peu les enseignants qui officient dans cette école primaire bilingue. Déterminés et animés par l'amour d'enseigner, ils font de leur mieux pour transmettre le savoir à ces élèves qui sont victimes de railleries de leurs camarades d'en face, logés dans des salles de classes neuves dotées d'électricité et de ventilateurs.

La directrice de l'école bilingue de Lafiabougou B, Maïmouna Banhoro, est dans le domaine depuis 16 ans. Elle a quitté l'enseignement classique pour l'enseignement bilingue en 2018. Dans cette école, les effectifs par classe sont en moyenne de 60 élèves pour un total

d'environ 400 élèves par an. Neuf enseignants y enseignent. Parmi eux, cinq ont bénéficié d'une formation pour l'enseignement bilingue. Les quatre autres sont des suppléants, détaille Mme Banhoro.

Pour le Chef de circonscription d'éducation de base (CCEB) Bobo IV, Sangouanssira Oumar Bernard Sanou, la politique actuelle consiste à sensibiliser la communauté éducative à la pertinence des écoles bilingues où l'assimilation des connaissances est simplifiée grâce au recours de la langue maternelle de l'enfant. Mieux, il est aussi présenté le parcours scolaire moins long que le système classique (5 ans au lieu de 6 ans), la comparaison des performances avec le système classique est aussi faite.

Comme soutien pour le développement et la promotion des programmes bilingues dans les écoles primaires, notamment en ce qui concerne les ressources pédagogiques et le matériel

didactique, le CCEB indique qu'ils sont à la charge de la commune. Quant au CCEB Bobo VI, Vin Seydou Traoré, l'objectif de cette politique est de favoriser la réussite scolaire des élèves en renforçant leur compréhension et leur maîtrise des deux langues. Elle vise également à promouvoir la diversité linguistique et culturelle du pays en encourageant le respect et la valorisation des différentes langues parlées au Burkina Faso.

Cette politique d'éducation bilingue est mise en oeuvre dans de nombreuses écoles primaires à travers le pays. Elle est soutenue par le gouvernement burkinabè et différentes organisations internationales, telles que l'UNESCO, qui reconnaissent l'importance de promouvoir une éducation inclusive et diversifiée pour tous les enfants.

Une efficacité prouvée

L'efficacité des programmes bilingues dans les écoles primaires et la qualité de l'enseignement dispensé ont été prouvées. « Notre école bilingue subit les mêmes épreuves que les écoles classiques. Seulement certaines épreuves sont faites en langue. Pour assurer la qualité du système, la CEB a un encadreur pédagogique dans le domaine

qui supervise les activités pédagogiques », argue M. Traoré. Pour l'école Kua B, la CEB soutient le développement et la promotion des programmes bilingues dans les écoles primaires en offrant une formation aux enseignants, en développant des ressources pédagogiques adaptées, en distribuant du matériel didactique et en assurant un suivi régulier pour garantir la qualité de l'enseignement bilingue.

Même son de cloche pour la CEB Bobo VI. A Kua B, des initiatives sont en cours pour renforcer l'éducation bilingue dans les écoles primaires afin de répondre aux besoins des communautés linguistiques minoritaires ou autochtones. « Au niveau de notre CEB, nous projetons d'impliquer les leaders religieux et coutumiers sur la pertinence des écoles bilingues, valoriser les meilleurs apprenants lors des journées d'excellence organisées par la CEB. Nous ferons également des communications à l'intention du personnel de la CEB pour expliquer davantage la philosophie des écoles bilingues », explique le CCEB Traoré.

A Lafiabougou, la CEB envisage de mettre en place des programmes de formation continue pour les enseignants afin de renforcer leurs compétences en enseignement bilingue. Elle prévoit également de travailler en collaboration avec les communautés linguistiques minoritaires ou autochtones pour développer du matériel pédagogique adapté à leurs besoins spécifiques.

De plus, la province envisage de mettre en place des partenariats avec des organismes internationaux spécialisés dans l'éducation bilingue pour bénéficier de leur expertise et de leurs ressources. Elle prévoit aussi d'organiser des événements et des activités culturelles pour promouvoir l'apprentissage des langues minoritaires ou autochtones dans les écoles primaires.

Nécessité d'adaptation

Les élèves apprécient ce qu'ils apprennent dans les écoles bilingues. Les anciens élèves qui sont passés par le bilinguisme, affirment qu'il a été utile dans la suite de leur cursus scolaire. Les enseignants témoignent que le bilinguisme est une bonne initiative. Désiré Kafando de Lafiabougou B, suggère la mise en place d'une bibliothèque avec des manuels en langues nationales. Il plaide aussi pour le retour des activités manuelles dans les écoles et la création de collèges multilingues.

Pour Assétou Karambiri, enseignante à Kua B, il faut adapter le programme à l'âge mental des apprenants, former le personnel enseignant et faire des recyclages, suivre les apprenants à la maison, sensibiliser les partenaires à mieux comprendre la portée de l'enseignement bilingue et former les parents à l'alphabétisation pour leur permettre d'accompagner leurs enfants.

Elle pense que l'impact du contexte socio-culturel sur l'expérience d'apprentissage des élèves dans un environnement bilingue s'avère positif du moment où les thèmes d'apprentissage abordés en lecture et en causerie-débat, sont en lien avec la vie sociale de l'apprenant et constituent même les sujets de sensibilisation. Mme Karambiri suggère de renforcer davantage l'expérience d'apprentissage bilingue pour les élèves à l'avenir, d'améliorer la formation du personnel, de prévoir la formation continue et de rendre disponible le matériel didactique adéquat.

Ancien directeur d'école bilingue, Aboubacar Sanou, explique avoir dirigé l'école pendant 19 années. « C'était un de mes premiers postes. L'école n'a toujours pas été une école

bilingue. C'était une école classique et c'est en 2006 qu'elle a été transformée en école bilingue », explique-t-il. Avant qu'elle ne devienne une école bilingue, il raconte que l'effectif total était de 800 élèves. Depuis qu'elle a été transformée en école bilingue, le système n'a pas été compris parce que les gens pensaient que les élèves apprenaient uniquement le dioula. En fait, le dioula est utilisé comme un médium.

« Quand vous prenez le CP1, nous avons 90% de dioula, au fur et à mesure qu'on avance, le français prend le prima, lorsque nous sommes en 5e année, on a 10% de dioula et 90% de français parce que les enfants doivent être préparés pour les examens », relate l'ancien directeur. Pour lui, les élèves subissent les mêmes épreuves que les autres écoles et à l'examen. L'enfant peut décider de composer en français ou en dioula. Les principaux défis actuels sont la sensibilisation des parents, la fourniture de matériels aux enseignants.

« Le fait de savoir que nos langues nationales ont acquis le statut de langues officielles, va nous soulager. Ce sont seulement l'école de Lafiabougou et de Kua B qui ont servi d'expérimentation. On voulait la généralisation », note-t-il. En dépit leur implication personnelle pour convaincre les parents à inscrire leurs enfants à l'école bilingue, la sensibilisation n'a pas encore produit l'effet escompté.

L'école bilingue pionnière

Créée en 1994 dans le village de Nomgana, l'école rencontre de nos jours des difficultés. Selon le CCEB de Nomgana, Jean Christophe Zongo, la politique consiste essentiellement à suivre et encadrer les enseignants dans les écoles dans le respect de la pratique des didactiques. « Au niveau des écoles, il y a un certain nombre de principes qu'ils doivent suivre. Nous sortons sur le terrain pour voir si ces principes sont suivis.

Les enseignants qui ont des difficultés sont ciblés et nous leur apportons le soutien nécessaire », avance le CCEB. Il explique qu'il y a les moyens didactiques, des livres que l'enseignement bilingue utilise spécifiquement à travers les manuels et les guides. Tout est fait en sorte que ces moyens soient utilisés. Elle est également journalière ou hebdomadaire. Les défis rencontrés par les écoles bilingues de la CEB sont inhérents au recrutement et à la formation des enseignants.

Loumbila dispose de neuf écoles bilingues et les enseignants qui sont dans le système depuis la création ont entre 15 et 20 ans d'expérience. A propos des mesures prises pour évaluer l'efficacité des programmes bilingues dans les écoles primaires et garantir la qualité de l'enseignement dispensé, M. Zongo a confié que les évaluations sont provinciales. Les épreuves de la 1re à la 5e année sont harmonisées. Selon le directeur de l'école bilingue Nomgana B, Rasmané Sawadogo, l'établissement compte sept enseignants formés et d'autres en cours de formation pour cinq classes.

« Cette année nous avons 129 élèves pour cinq classes. L'an passé, ils étaient 124 élèves avec en moyenne 25 élèves par classe. C'est Paul Taryam qui faisait fonctionner les écoles bilingues. Depuis que Solidar Suisse a rétrocédé la gestion à l'Etat », raconte-t-il. Il trouve

que l'effectif est faible par rapport aux estimations de départ parce que toutes les écoles de Nomgana sont bilingues. Les préoccupations auxquelles il faut trouver des solutions sont la formation des enseignants qu'il faut revoir et le retour des travaux manuels comme l'agriculture, le jardinage et le tissage.

Dans la même veine, les enseignantes Sandrine Ouédraogo et Marceline Bougma, soutiennent que l'éducation bilingue a changé par rapport à ses débuts et le principe de l'apprentissage doit être revu. Les élèves doivent apprendre des calculs dès l'âge de 6 ans, alors que l'âge mental n'est pas adapté. Elles souhaitent que l'Etat revoie le système de l'éducation bilingue en ajoutant une 6e classe au lieu de 5. Elles pensent qu'une bonne formation des enseignants sera très bénéfique. « Après le CEP, au niveau du collège, tout change alors que l'Etat devrait continuer avec des collèges bilingues.

On ne tient plus compte des réalités actuelles pour faire avancer les choses. Il devait y avoir des examens en langues pour permettre aux élèves de s'en sortir ». Le curriculum de l'éducation bilingue a comme particularité de couvrir le contenu du programme des écoles classiques en cinq ans au lieu de six. C'est ainsi qu'en première année la langue nationale, comme médium d'enseignement, occupe 90% du programme et le français, comme matière 10%. La part de la langue nationale comme médium devient 80% en deuxième année, puis 50% en troisième année, 20% en quatrième année et enfin 10% en 5e année.

Dès la 3e année le français devient progressivement médium d'enseignement avec la langue nationale et atteint 90% en 5e année. A ce jour huit langues nationales sont utilisées dans l'éducation bilingue en complémentarité avec le français : le mooré, le dioula, le fulfulde, le lyélé, le gulmancema, le dagara, le bissa et le nuni. En plus du programme officiel, le programme de l'éducation bilingue comprend des activités pratiques et manuelles ainsi que des activités culturelles graduées selon l'âge des élèves.

Des difficultés

Pour la directrice de l'école bilingue de Lafiabougou B, Maïmouna Banhoro, l'enseignement bilingue est confronté à de nombreux défis. Le manque de recyclage dans l'éducation en langue et de formation des enseignants, l'abandon des activités comme le tissage, le jardinage, l'élevage sont, entre autres difficultés qu'elle énumère. La directrice déplore le fait que l'école n'est pas accompagnée pour mener ces activités pourtant « importantes ».

Le manque de suivi des élèves par leurs parents, l'indisponibilité de documents en langues nationales et la non-réhabilitation des salles de classe sont aussi des maux qui minent l'enseignement bilingue.

Roselyne Aline Roberte Sanou précise que les ressources disponibles sont insuffisantes. « Les APE n'arrivent pas à couvrir les besoins essentiels de l'école comme la fourniture des maîtres, le paiement des factures d'électricité et d'eau, la cantine, alors que son enseignement demande plus de matériels de travail contrairement aux écoles classiques », détaille Mme Sanou.

Elle exprime donc la nécessité de sensibiliser les parents d'élèves et invite l'Etat à doter les écoles bilingues de moyens financiers et de matériels pour son bon fonctionnement. Pour le CCEB Bobo IV, Sangouanssira Oumar Bernard Sanou, le personnel de l'école bilingue de sa CEB est constitué d'agents publics. Leur formation est donc assurée par le ministère en charge de l'éducation nationale. Dans ce cas, leur formation continue devrait être une priorité, selon M. Sanou.

Vin Seydou Traoré pour sa part déplore la pénurie d'enseignants bilingues qualifiés, le manque de formation suffisante des enseignants bilingues et la gestion de la diversité linguistique des élèves. Autant de préoccupations qui se présentent aux enseignants qui doivent adapter leur enseignement à ces différents niveaux et maintenir un environnement bilingue stimulant. D'où la nécessité de mettre l'accent non seulement sur la disponibilité des enseignants mais aussi sur leur formation continue.

Des réformes et initiatives

La Direction générale de l'accès à l'éducation formelle (DGAEF), un démembrement du ministère en charge de l'éducation nationale, oeuvre pour que tout enfant en âge d'être scolarisé puisse avoir accès à l'éducation. Selon son chef de service du développement de l'éducation bilingue et multilingue, Gandaogo Damiba, l'éducation bilingue fonctionne avec 278 écoles et 3 collèges multilingues spécifiques. Sur le terrain, d'après ses dires, le nombre d'enseignants avoisine le millier avec 45 000 apprenants.

A cause de la situation sécuritaire dans certaines zones, le responsable du bureau des statistiques et plaidoyer, Lassané Alexandre Sawadogo, confirme la clôture de certaines écoles bilingues. « Par rapport à la fonctionnalité, les écoles bilingues souffrent », dit-il. Depuis que l'Etat a pris en charge les écoles bilingues, indique l'inspecteur de l'enseignement primaire et responsable du bureau formation, Aimé Gouba, les écoles bilingues sont reléguées au second plan et abandonnées par l'Etat, alors que, soutient-il, qui dit éducation bilingue dit langue nationale.

Vues les difficultés que rencontrent l'éducation bilingue actuellement, des principaux défis auxquels elles font face se rapportent au manque de formation des enseignants, de manuels didactiques et d'accompa-gnement. M. Damiba, pense que les communautés et les intellectuels doivent s'approprier le bilingue. A l'entendre, théoriquement la dynamique actuelle doit être favorable. Pour Lassané Alexandre Sawadogo, il faut lutter contre la méconnaissance des écoles bilingues et favoriser le soutien de la part de l'Etat.

Des perspectives

« Pour parer à ces difficultés, l'Etat avait signé et validé un acte pour harmoniser et faire une formule unique des manuels didactiques bilingues mais jusqu'à présent il reste la mise en oeuvre », affirme le responsable du bureau des statistiques et plaidoyer. Quant au chef de service du développement de l'éducation bilingue et multilingue, tous les enseignants qui sortent des écoles de formation doivent être déjà outillés au bilinguisme.

Il plaide aussi pour que le gouvernement mette les moyens nécessaires pour la réussite du bilinguisme et en plus des écoles primaires, qu'il y ait des collèges bilingues pour faciliter la continuité.

Expérience éducative avantageuse, l'enseignement bilingue mérite une attention particulière des premières autorités et de tous les acteurs du système éducatif. Véritable vecteur pour la promotion des valeurs endogènes, il y a lieu de le réhabiliter conséquemment. C'est dans cette perspective que l'érection des langues nationales en langues officielles aura pleinement son sens.

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