Sénégal: Daniel Sarr, Directeur général de Orbus Digital Services - «Avec le digital, nous assistons à un renversement complet de paradigme »

interview

Repenser entièrement l'expérience bancaire pour qu'elle soit plus inclusive, plus efficace et plus centrée sur le client, c'est l'ambition de Orbus Digital Services (Ods). Son Directeur général, Daniel Sarr a dans l'interview accordée au Journal de l'économie sénégalaise (Lejecos), donné l'exemple de Kakao Bank en Corée du Sud, qui a réussi une révolution dans ce pays dans le secteur bancaire en misant sur l'intelligence artificielle et la digitalisation. Une innovation qu'il est en train d'introduire au Sénégal. Déjà Ods a appuyé cinq banques au Sénégal avec la solution Osign.

Comment l'intelligence artificielle et la digitalisation transforment-elles le paysage des services financiers à l'échelle mondiale ?

Aujourd'hui au Sénégal, la plupart des clients entrent dans une banque, font la queue pendant des heures pour effectuer une simple transaction. Une telle scène semble presque archaïque dans un pays comme la Corée du Sud. En effet, l'IA et la digitalisation y ont métamorphosé le secteur bancaire d'une manière telle, que même les plus visionnaires d'entre nous n'auraient pu imaginer.

Pour illustrer cette transformation radicale, permettez-moi de vous raconter l'histoire fascinante de Kakao Bank en Corée du Sud, un pays à l'avant-garde de l'innovation bancaire. En juillet 2017, cette banque mobile a été lancée par le groupe Kakao promoteur d'une solution de messagerie instantanée concurrente locale de WhatsApp, bouleversant ainsi complètement le paysage bancaire traditionnel. En seulement 24 heures, elle a attiré plus de 300 000 clients.

En deux semaines, ce chiffre a dépassé les deux millions, avec des dépôts d'épargne de 1 000 milliards de wons (environ 930 millions de dollars) et des prêts de 770 milliards de wons (701 millions de dollars). Aujourd'hui, Kakao Bank est en passe d'atteindre 10 millions de clients, dans un pays qui compte à peine plus de 50 millions d'habitants, dont 25 millions d'actifs.

Ce succès fulgurant n'est pas le fruit du hasard. Il résulte d'une approche centrée sur le client, rendue possible par l'IA et la digitalisation. Kakao Bank a repensé entièrement l'expérience bancaire en se posant une question simple mais cruciale : "Quel est le véritable objectif d'une entreprise bancaire ?" Leur réponse : connaître le client mieux que quiconque, et lui offrir des services sur mesure.

L'IA joue un rôle central dans cette révolution. Imaginez un assistant bancaire IA personnalisé, qui analyse en temps réel vos habitudes financières, vous alerte des opportunités d'investissement et vous suggère même des stratégies d'optimisation de vos flux de trésorerie. Ce n'est pas de la science-fiction, c'est la réalité quotidienne des clients de Kakao Bank, et d'autres institutions financières innovantes à travers le monde.

En arrière-plan, des algorithmes d'IA scrutent des millions de transactions à la seconde, détectant et prévenant les fraudes avant même qu'elles ne se produisent. C'est comme avoir un gardien infatigable, toujours vigilant, protégeant chaque centime de vos économies.

La personnalisation a atteint un niveau tel, que les banques peuvent désormais prédire les besoins de leurs clients, avant même que ceux-ci n'en prennent conscience. Imaginez recevoir une offre de prêt précisément au moment où vous commencez à envisager l'achat d'une maison, avec des conditions parfaitement adaptées à votre situation financière. C'est la réalité d'aujourd'hui pour de nombreux clients de banques digitales en Asie et ailleurs.

Cette transformation va bien au-delà de l'intégration des dernières technologies. Elle redéfinit fondamentalement la relation entre les banques et leurs clients. Les institutions financières ne sont plus de simples gardiens de l'argent, mais deviennent de véritables partenaires financiers, capables d'accompagner chaque aspect de la vie financière de leurs clients.

De plus, cette révolution digitale permet une réduction drastique des coûts opérationnels. Kakao Bank, par exemple, a pu éliminer les dépenses liées aux agences physiques et aux back-offices, qui peuvent représenter jusqu'à 60% des dépenses des banques traditionnelles. Ces économies sont ensuite répercutées sur les clients, sous forme de meilleurs taux et de services améliorés, créant ainsi un cercle vertueux d'innovation et de satisfaction client.

L'impact de cette transformation est profond. Elle crée un écosystème financier plus inclusif, plus réactif et infiniment plus intelligent. Des millions de personnes, autrefois exclues du système bancaire traditionnel, ont maintenant accès à des services financiers sophistiqués, directement depuis leur smartphone.

En observant ces avancées remarquables en Asie, particulièrement en Corée du Sud, nous pouvons entrevoir l'avenir du secteur bancaire mondial. C'est un avenir où la technologie et l'humain se complètent parfaitement, où chaque interaction bancaire est personnalisée, sécurisée et instantanée. Et c'est cet avenir que nous nous efforçons de construire chez Ods pour les acteurs audacieux du marché, en adaptant ces innovations aux réalités et aux besoins spécifiques du marché africain.

Est-ce que vous êtes en train de dire qu'au-delà de la révolution technologique, la véritable rupture est celle de l'expérience client ?

Absolument, et c'est là le coeur de la transformation que nous observons. Pendant des décennies, les banques ont bâti leurs services et leurs procédures autour de la gestion des risques et du respect des exigences de conformité. Tout cela s'est fait au détriment de l'expérience client.

Imaginez un instant que vous entriez dans un restaurant où le menu a été conçu non pas pour satisfaire votre palais, mais pour faciliter le travail en cuisine et respecter les normes d'hygiène. Absurde, n'est-ce pas ? C'est pourtant ainsi que fonctionnent les banques traditionnelles.

Avec le digital, nous assistons à un renversement complet de paradigme. Les services sont désormais construits sur mesure autour des besoins des clients, dont les données sont méticuleusement scrutées et mesurées. C'est comme si, pour reprendre notre analogie culinaire, le chef connaissait non seulement vos préférences alimentaires, mais aussi votre humeur du jour et adaptait son menu en conséquence, tout en respectant bien sûr les normes de sécurité alimentaire. C'est cette anticipation, cette compréhension profonde du client, qui constitue la véritable rupture.

En fin de compte, la technologie n'est qu'un moyen. La vraie révolution, c'est de remettre le client au centre de l'équation bancaire, tout en maintenant, voire en renforçant, la sécurité et la conformité grâce à l'intelligence artificielle. C'est ce changement de perspective qui transforme radicalement le paysage bancaire mondial.

Quels sont les défis et les opportunités spécifiques au secteur bancaire sénégalais dans ce contexte de transformation digitale ?

Le Sénégal se trouve à un carrefour fascinant de l'histoire bancaire. Imaginez un instant une danseuse de ballet, avec tous les codes du genre, tentant d'exécuter une chorégraphie de mbalax. C'est un peu l'image du secteur bancaire sénégalais aujourd'hui : un mélange intrigant entre tradition et modernité, entre l'héritage d'un système bancaire conventionnel, et l'immense potentiel d'une population jeune et technophile.

Contrairement à ce que nous avons vu avec Kakao Bank en Corée, nous sommes encore loin d'une révolution centrée sur l'expérience client au Sénégal. Les seuls acteurs qui investissent véritablement ce créneau sont les fintechs, mais elles se limitent pour l'heure aux systèmes de paiement. C'est comme si nous avions des danseurs de breakdance ultra-talentueux, mais cantonnés à une seule piste de danse puisque la barrière à l'entrée pour devenir une banque nécessite des capitaux importants.

Dans ce domaine des paiements, la concurrence fait rage. La multiplicité des acteurs et les faibles marges créent un véritable bouillon de culture pour l'innovation. C'est fascinant de voir comment la pression concurrentielle pousse ces entreprises à se surpasser continuellement.

Mais qu'en est-il des banques traditionnelles ? Eh bien, imaginez un paquebot tentant de se transformer en pirogue. Les investissements sont principalement orientés vers l'excellence opérationnelle, avec des gains marginaux en termes d'expérience client. On transpose les processus existants sur des supports digitaux, et c'est déjà un grand pas. C'est comme passer du vinyle au CD, mais sans encore explorer les possibilités du streaming.

Cependant, nous ne sous-estimons pas nos institutions financières. La prise de conscience est bien réelle. J'ai eu l'occasion d'assister à un panel sur la transformation du secteur financier le 19 septembre 2024, dans le cadre de la rentrée numérique organisée par GAINDE 2000. J'ai été impressionné par la compréhension des enjeux et la reconnaissance des efforts à fournir pour transformer l'expérience client. C'est comme si nos danseurs de ballet commençaient à apprendre les bases du mbalax, tout en cherchant à créer leur propre style unique.

Sur le terrain, les défis restent palpables. J'ai visité des agences bancaires où les ordinateurs côtoient encore les registres papier, symbole d'une transition en cours mais inachevée. Au-delà des investissements dans le digital, la formation du personnel reste un enjeu crucial. Je me souviens d'une directrice d'agence me confiant son appréhension face à ces nouvelles technologies, tout en reconnaissant leur potentiel transformateur. C'est cette dualité qui caractérise notre secteur bancaire aujourd'hui.

Par ailleurs, l'inclusion financière est peut-être le plus grand défi et la plus belle opportunité du secteur bancaire. Avec notre faible taux de bancarisation, c'est un territoire vierge qui s'offre aux institutions. Lors de mes déplacements à travers le pays, j'ai été témoin de l'impact transformateur des services financiers mobiles dans des villages reculés. Des communautés entières, autrefois exclues du système financier, participent désormais à l'économie formelle, grâce à leurs téléphones portables. C'est comme si nous étions en train de construire des autoroutes financières, là où il n'y avait que des sentiers poussiéreux.

Le cadre réglementaire évolue, et c'est crucial. J'ai eu l'occasion d'échanger avec des régulateurs, dans le cadre du Conabafi, au sujet de la révision du règlement 15 sur les moyens de paiements. Ils travaillent d'arrache-pied pour créer un environnement propice à l'innovation, tout en protégeant les consommateurs. C'est un équilibre délicat, mais essentiel pour l'avenir du secteur.

En fin de compte, le secteur bancaire sénégalais est comme un artiste en pleine métamorphose, cherchant à créer une oeuvre unique qui mêle tradition et innovation, inclusion et protection, technologie et humanité. C'est un défi de taille, mais aussi une opportunité extraordinaire de redéfinir ce que signifie être une banque au 21ème siècle, en Afrique et pour l'Afrique.

Comment Ods contribue-t-il à cette transformation du secteur bancaire au Sénégal et plus largement en Afrique ?

Chez Ods, nous ne nous contentons pas d'observer cette transformation, nous aidons les banques à avancer dans leur volonté d'accélérer la digitalisation. Nous collaborons également avec les fintechs pour intégrer nos solutions de manière transparente dans leur offre de services. Notre vision d'une "Afrique intelligente et sans papier" n'est pas qu'un slogan, mais une mission que nous vivons chaque jour.

Laissez-moi vous raconter une anecdote qui illustre parfaitement notre approche. En 2021, nous avions organisé notre premier atelier d'échange sur l'intégration de la signature électronique dans le secteur bancaire. Nous avons eu l'honneur d'avoir des contributions remarquables de représentants de la Bceao, de la Commission nationale de cryptologie (Cnc), de la Commission de protection des données personnelles (Cdp), devant une salle remplie de participants de l'Apbefs, de Dsi, de directeurs juridiques et de la conformité des banques de la place. Au début, l'atmosphère était chargée de scepticisme, mais à la fin des échanges, ces mêmes participants débordaient d'enthousiasme. Certains étaient impatients de mettre en pratique ces nouvelles possibilités. C'est ce genre de transformation que nous cherchons à catalyser. Et je suis fier de dire que depuis, nous avons accompagné cinq banques au Sénégal dans l'amélioration de leurs expériences clients et employés grâce à la signature électronique.

Nos plateformes innovantes sont conçues pour répondre aux défis spécifiques du continent. Prenons l'exemple de nos solutions de chatbot basées sur l'IA. Après un apprentissage relativement court, ces IA peuvent répondre à toutes les questions des clients, avec une intégration directe dans un portail digital, que nous proposons aux banques pour dématérialiser les formalités. C'est comme avoir un conseiller bancaire virtuel, disponible 24h/24, 7j/7, capable de fournir tous les formulaires disponibles en agence, et de vous permettre de les soumettre en ligne. Cela permet d'alléger considérablement la pression sur les conseillers clientèle humains, leur permettant de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée.

C'est cela, la transformation digitale en action. Et chez Ods, nous sommes fiers d'en être l'un des catalyseurs. Nous ne nous contentons pas de vendre des solutions technologiques. Nous sommes des artisans du changement, travaillant main dans la main avec les acteurs du secteur bancaire, pour façonner l'avenir des services financiers en Afrique.

Notre approche ne se limite pas à la technologie. Nous sommes convaincus que la véritable transformation passe par l'humain. C'est pourquoi nous mettons l'accent sur la formation, l'accompagnement et le partage de connaissances. Nous ne voulons pas simplement digitaliser les processus existants, mais repenser entièrement l'expérience bancaire pour qu'elle soit plus inclusive, plus efficace et plus centrée sur le client.

Pouvez-vous nous parler plus en détail de votre solution phare pour le secteur bancaire, Osign?

Osign est né d'une frustration partagée par de nombreux cadres et clients : les formalités papiers interminables. Laissez-moi vous raconter une anecdote qui illustre parfaitement pourquoi Osign est devenu si crucial. Pendant la pandémie de Covid-19, j'ai rencontré le directeur général d'une importante société industrielle. Il m'a montré une pile impressionnante de parapheurs, remplis de contrats, de lettres et de factures en attente. Avec un air mi- amusé, mi- désespéré, il m'a confié que ces montagnes de papier avaient probablement contribué à sa précédente infection au virus. C'est à ce moment précis que j'ai su que nous devions agir, et agir vite, pour dématérialiser ces flux de travail aux circuits de signature complexes.

Osign n'est pas qu'une simple solution de parapheur électronique. C'est une véritable révolution dans la manière dont les entreprises interagissent avec leurs clients. Imaginez un monde où l'ouverture d'un compte bancaire ou la demande de prêt ne nécessite plus de se déplacer, ni de signer une montagne de papiers. C'est comme si nous avions transformé une course d'obstacles en une promenade de santé. C'est ce monde que nous construisons avec Osign.

Avec notre solution, un client peut désormais apposer sa signature en quelques clics pour n'importe quel type de formalités, de n'importe où et à n'importe quel moment. Ce gain de temps et d'efficacité a un potentiel véritablement transformateur pour la gestion des procédures administratives dans le secteur bancaire.

Mais ne vous y trompez pas, la simplicité d'utilisation n'implique pas un compromis sur la sécurité. Au contraire, la sécurité est au coeur même d'Osign. Nous avons collaboré étroitement avec des experts en cybersécurité et des juristes, pour garantir que chaque signature est aussi sûre et légalement valable qu'une signature manuscrite. C'est comme avoir un notaire digital disponible 24h/24, 7j/7, qui validerait chacune de vos signatures.

L'adoption d'Osign par les banques a eu des bénéfices en cascade. Non seulement les processus internes sont devenus plus rapides, mais l'expérience client s'est considérablement améliorée. Une de nos banques clientes nous a rapporté une généralisation de l'utilisation d'Osign en interne, motivée par les gains de productivité et l'augmentation de la satisfaction client.

Ce qui me rend particulièrement fier, c'est la flexibilité d'Osign. Que vous soyez une grande banque panafricaine, avec des milliers d'employés ou une institution de microfinance, Osign s'adapte à vos besoins spécifiques. C'est cette adaptabilité qui en fait une solution véritablement africaine pour des défis africains.

En fin de compte, Osign incarne parfaitement notre mission chez Ods : faire en sorte que chaque Africain, qu'il soit dans une grande ville bouillonnante ou dans un village reculé, puisse bénéficier de services financiers de classe mondiale, accessibles du bout des doigts. C'est comme si nous construisions un pont numérique entre le monde financier moderne et chaque coin du continent.

C'est un défi ambitieux, certes, mais c'est précisément ce qui nous motive chaque jour à repousser les limites de l'innovation. Avec Osign, nous ne nous contentons pas de digitaliser des processus existants, nous réinventons complètement la façon dont les services financiers sont fournis et consommés en Afrique.

Chaque signature électronique apposée via Osign est un pas de plus vers notre vision d'une Afrique intelligente et sans papier. C'est plus qu'une solution technologique, c'est un catalyseur de changement, un outil d'émancipation, qui permet aux entreprises et aux individus de se libérer des contraintes administratives pour se concentrer sur ce qui compte vraiment : la création de valeur et le développement économique de notre continent.

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