Mozambique: Le mouvement de l'opposition «s'essouffle» et «se divise», selon le CNRS

La situation est toujours tendue au Mozambique, avec au moins 33 personnes tuées depuis le début de la crise post-électorale. La journée du 7 novembre, à l'appel du candidat de l'opposition à la présidentielle Venâncio Mondlane, devait marquer le pic de la contestation, mais le mouvement n'a pas gagné en ampleur. Le soutien à l'opposant désormais en exil serait en plein essoufflement, selon Michel Cahen, directeur de recherche émérite du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Sciences Po-Bordeaux et spécialiste du Mozambique.

RFI : La journée du jeudi 7 novembre devait être le point d'orgue de la contestation de la victoire du Frelimo, parti au pouvoir depuis près de 50 ans. Finalement, ce n'est pas ce qu'il s'est passé. Comment voyez-vous la suite dans le bras de fer entre le pouvoir et l'opposition ?

Michel Cahen : Vous m'auriez posé la question il y a encore trois jours, je vous aurais dit que Venâncio Mondlane sortirait de la crise avec un statut politique très augmenté. Là, j'en suis moins sûr. Effectivement, la journée du jeudi 7 novembre aurait dû être le point d'orgue, avec une manifestation de 4 millions de personnes venant de la capitale et des différentes provinces. Mais les mesures prises par le gouvernement - coupures d'Internet, coupure de transports, etc - ont beaucoup limité les mouvements.

Les photos que l'on voit des manifestations à Maputo, ce sont les photos dans ce que l'on appelle la « ville de ciment » - où il y a les immeubles en ciment -, c'est-à-dire le centre-ville. Mais tous les immenses bidonvilles qu'il y a à la périphérie ont été complètement bouclés, car il y a grève. Personne ne travaille et les gens n'ont pas pu se rendre dans le centre-ville.

Le nombre de manifestants est bien sûr une indication que le mouvement s'essouffle, mais ce n'est pas forcément l'indication principale. Le point faible principal du mouvement, c'est que Venâncio Mondlane n'est pas là. Soit le gouvernement l'a empêché d'y assister, soit celui-ci, sachant qu'il risque sa vie, est resté à l'étranger. Il y a déjà eu deux assassinats dans son entourage très proche. Il est certain que son absence de ses propres manifestations donne une mauvaise indication. Il appelle ses partisans à y manifester, mais lui n'y va pas.

Le mouvement de contestation est-il sur le déclin ?

On voit déjà que le mouvement pro-Venâncio Mondlane est en train de se diviser. Mondlane souhaitait que cela continue, mais le parti politique sur lequel il s'est appuyé pour les élections législatives, Podemos, n'appelait pas à la manifestation. La Renamo et le Mouvement démocratique du Mozambique (MDM) n'ont d'ailleurs rien fait non plus. Il y a une certaine division dans l'opposition et il semblerait que, même si les mouvements peuvent encore continuer quelque temps, on soit sur le déclin de la mobilisation.

On ne connaît pas exactement le nombre de morts. On parle de 27 morts et de centaines de blessés [le bilan a été revu à la hausse depuis l'interview, atteignant désormais au moins 33 décès, NDLR], mais je pense que ce chiffre est très sous-évalué, car il y a beaucoup de petites bourgades à l'intérieur du pays où il y a eu des manifestations, mais où il n'y a eu aucun journaliste ou aucun militant d'ONG pour documenter les morts.

Cela dit, même si le chiffre de 27 morts est sous-évalué, je suis soulagé car je m'attendais à un bain de sang. Le régime du Frelimo est prêt à tout pour garder le pouvoir. Cela fait 50 ans qu'ils sont au pouvoir, les mêmes familles sont au pouvoir depuis 50 ans et, en 2026, devraient commencer à arriver les royalties des énormes réserves de gaz qui ont été découvertes dans le nord du pays. Ce n'est pas à deux ans de l'arrivée de l'argent que le Frelimo va abandonner le pouvoir.

Je pense que le Frelimo va réussir à garder le pouvoir et que, un par un, les pays de la communauté internationale vont accepter les résultats, dans la mesure où ils sont habitués à travailler avec le Frelimo et que l'opposition représente toujours un saut dans l'inconnu.

Est-ce que Venâncio Mondlane pourrait rentrer pour assumer son nouveau rôle d'opposant ? Et est-ce que les autorités peuvent le laisser rentrer ?

Est-ce que Venâncio Mondlane lui-même va vouloir rentrer dans son pays ? D'un point de vue politique, il doit absolument rentrer dans son pays, même s'il n'y a plus de manifestations, pour pouvoir dire et faire savoir qu'il est là, qu'il est prêt à aller en prison, qu'il va affronter les tribunaux, qu'il a des avocats, etc.

Est-ce que le pouvoir a intérêt à le laisser rentrer ? C'est possible aussi. Si Venâncio Mondlane rentre dans son pays, il aura le statut de leader du principal parti d'opposition. Au Mozambique, c'est un vrai statut. Le leader du principal parti d'opposition a des avantages en nature très importants : une belle maison, voiture avec chauffeur, un budget, etc. Je ne dis pas que Venâncio Mondlane est corrompu ou qu'il aime l'argent, mais il est tout seul. Avoir ces moyens matériels serait très important pour lui pour continuer son combat politique.

Il est donc possible que, d'une part, le Frelimo ait intérêt à le laisser rentrer pour le calmer, pour l'amadouer, pour l'intégrer dans le système grâce à ce statut de leader du principal parti d'opposition. Et que, d'autre part, lui, politiquement, ait intérêt à rentrer. Maintenant, s'il y a vraiment de lourdes indications concordantes que, s'il rentre, il sera assassiné comme ses deux compagnons de route récemment, on comprend qu'il ne rentre pas.

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