Afrique du Nord: Découverte d'une ancienne société agricole au Maroc - Un éclairage sur le rôle central de l'Afrique du Nord-Ouest dans l'histoire, le commerce et la culture

analyse

Une nouvelle découverte d'une ancienne société agricole à Oued Beht au Maroc comble une lacune historique vieille de plusieurs siècles. Elle révèle qu'il y a 5 000 ans, le Maghreb (Afrique du Nord-Ouest) était loin d'être un territoire isolé. Il faisait au contraire partie intégrante de la vie en Méditerranée, une région nichée entre l'Afrique du Nord, l'Asie du Sud-Ouest et l'Europe du Sud.

Au fil du temps, la Méditerranée a servi de berceau à des sociétés interconnectées qui se sont influencées les unes les autres par le biais du commerce, des migrations et des échanges d'idées. Bien que le Maghreb soit largement reconnu pour les développements de l'âge moyen de la pierre et de l'âge du fer (d'il y a 300 000 ans au premier millénaire avant notre ère), son rôle dans la période allant de 4000 avant notre ère à 1000 avant notre ère est resté une énigme. Jusqu'à présent.

Les archéologues Cyprian Broodbank, Giulio Lucarini et Youssef Bokbot sont les chefs de l'équipe internationale qui a fait la découverte. Ils sont codirecteurs du projet archéologique Oued Beht au Maroc. Leur étude multidisciplinaire a enfin mis en lumière le rôle central de l'Afrique dans l'évolution socioculturelle des débuts de la Méditerranée, à une époque marquée par des changements dynamiques. Nous nous sommes entretenus avec eux.

Qu'est-ce que l'étude a permis de découvrir ?

Les travaux de l'équipe à Oued Beht ont mis au jour le complexe agricole le plus étendu et le plus ancien connu en Afrique du Nord en dehors de la vallée du Nil. Situé dans le nord du Maroc, entre la côte et les montagnes du Moyen Atlas, Oued Beht occupe une position unique qui favorise à la fois l'agriculture et le commerce. Son terrain varié, avec des vallées fluviales entrecoupant des collines et des plaines ondulantes, offre un sol fertile idéal pour les premières activités agricoles.

Les découvertes suggèrent qu'entre 3400 et 2900 avant notre ère, une société agricole à grande échelle a prospéré dans cette région. Nous avons été frappés par l'ampleur de la colonie. Sa taille est comparable à celle des premiers niveaux de la ville légendaire de Troie, située dans l'actuelle Turquie.

Oued Beht a livré des restes de plantes et d'animaux domestiqués, de la poterie - y compris des types peints - des haches polies et des pierres ébréchées. La découverte de fosses de stockage profondes, une caractéristique précédemment trouvée dans des sites d'Ibérie à la même époque, est particulièrement remarquable.

Ces objets contenaient probablement une variété de grains et ont pu être utilisés pour stocker les excédents de nourriture. Cela a permis de gérer les ressources pendant les périodes de pénurie. L'abondance de tessons de poterie et de fragments d'objets en pierre dans ces fosses suggère qu'elles ont également été utilisées comme dépotoirs dans leur dernière phase d'utilisation. Ces fosses caractéristiques, ainsi que les découvertes de poteries peintes, d'oeufs d'autruche et d'ivoire faites sur des sites du sud de l'Espagne à la même époque, indiquent clairement l'existence de liens entre le Maghreb et la Méditerranée au sens large.

Le matériel de Oued Beht indique clairement que l'Afrique du Nord-Ouest n'était pas isolée mais jouait un rôle actif dans les réseaux méditerranéens.

Cette période a donné lieu à des progrès dans l'organisation sociale, à des innovations technologiques et à de vastes réseaux commerciaux qui ont permis d'interconnecter diverses cultures dans tout le bassin méditerranéen.

Comment la découverte a-t-elle été faite ?

Oued Beht a été identifié pour la première fois en tant que site archéologique dans les années 1930. Des travaux de construction coloniaux français ont permis de découvrir un nombre remarquable de haches en pierre polie. Cependant, le site n'a pas fait l'objet de recherches approfondies avant ce siècle. Il y a près de dix ans, une équipe franco-marocaine, co-dirigée par l'un d'entre nous (Youssef Bokbot), y a mené des recherches stratigraphiques, dont les résultats n'ont pas été publiés.

La récente « redécouverte » d'Oued Beht par le Projet archéologique d'Oued Beht est le fruit d'une approche collaborative et multidisciplinaire. Au cours de plusieurs saisons de travail sur le terrain, l'équipe a combiné des techniques d'investigation traditionnelles avec des technologies modernes telles que la photogrammétrie par drone. Il s'agit de la science qui consiste à prendre des mesures à partir de photographies. Elle a permis une cartographie détaillée, facilitant l'identification et la compréhension de structures et d'éléments de surface spécifiques.

L'étude intensive de la surface par une équipe de marcheurs espacés de 10 mètres a été fondamentale pour comprendre la configuration et l'étendue des matériaux de toutes les périodes sur l'ensemble du site.

Après des fouilles de pointe, qui ont permis de récupérer et de documenter très soigneusement chaque unité de dépôt ancien, la datation au carbone 14 a fourni des informations chronologiques précises. Des analyses botaniques et faunistiques ont permis de reconstituer l'environnement et les pratiques alimentaires des habitants de la région. L'ensemble de ces méthodes offre une vision globale du comportement humain et des activités sur le site.

L'analyse botanique indique que la culture de l'orge et du blé, des pois et des légumineuses était probablement au coeur de leur régime alimentaire, aux côtés du pistachier et de l'olivier sauvages. Les vestiges fauniques, y compris les animaux domestiqués comme les bovins, les ovins, les caprins et les porcins, indiquent une composante pastorale. Les structures d'habitation sont difficiles à reconstituer avec précision, car aucune fondation claire n'a été identifiée jusqu'à présent.

Nous cherchons encore à savoir si Oued Beht a servi de grand village ou d'autre forme de lieu de rassemblement pour les communautés de toute la région. La présence de fosses de stockage et de preuves de surplus agricoles suggère que ses habitants, s'il y en avait, auraient pu organiser les ressources et la main-d'oeuvre.

Les preuves d'échanges commerciaux avec d'autres régions pourraient également impliquer des rôles spécialisés au sein de la communauté. Toutefois, nos recherches n'en étant qu'à leurs débuts, de futures investigations seront essentielles pour confirmer ces premières hypothèses.

Pourquoi cette découverte est-elle si importante ?

Historiquement, l'archéologie nord-africaine s'est concentrée sur l'Égypte - ou, si l'on englobe le reste de l'Afrique méditerranéenne, principalement sur les périodes phénicienne, grecque, romaine et islamique. Ces découvertes ont dominé les récits des premières sociétés africaines. Elles laissent souvent dans l'ombre des périodes antérieures ou des régions telles que le Maghreb.

Les découvertes faites à Oued Beht modifient donc notre compréhension de la préhistoire de la Méditerranée. Avec des preuves concrètes d'une société prospère et complexe, le Maghreb prend sa place en tant qu'acteur clé dans le développement de la région.

Mais Oued Beht modifie également notre perception de l'interconnexion du monde méditerranéen à cette époque. Il ne s'agissait pas d'une influence à sens unique du nord vers le sud. Le Maghreb a façonné des développements plus larges dans l'ensemble de la région.

Cette découverte pourrait également avoir des répercussions sur la compréhension du rôle historique du Sahara dans les transformations culturelles et sociales. Le changement climatique a transformé le Sahara, autrefois plus vert, en un désert et a probablement poussé les populations vers des zones agricoles plus viables, comme la vallée de l'Oued Beht. Cela a finalement facilité les échanges entre les continents.

D'après cette étude, le Maghreb n'a pas été un simple récepteur passif d'idées et d'innovations venues d'ailleurs. Il a été un berceau de complexité agricole et sociale à part entière. Il a contribué au développement des sociétés de part et d'autre de la Méditerranée.

Giulio Lucarini, Senior Researcher, Institute of Heritage Science, National Research Council (CNR)

Cyprian Broodbank, Disney Professor of Archaeology, Director, McDonald Institute for Archaeological Research, University of Cambridge

Youssef Bokbot, Senior researcher, Institut national des Sciences de l'Archéologie et du Patrimoine in Rabat

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