Afrique de l'Est: Les visions du développement ont évolué en Afrique - une étude explore la manière dont le Rwanda et l'Éthiopie ont tenté de façonner l'avenir

Grand Barrage de la Renaissance éthiopienne
analyse

Les défis économiques contemporains de l'Afrique semblent entraîner le continent dans une nouvelle ère de développement. Du COVID-19 à l'inflation due aux conflits, de nombreux pays d'Afrique sont confrontés à des défis économiques majeurs. Ces crises récentes viennent s'ajouter à l'augmentation de la dette à long terme, en particulier le choc des prix des matières premières de 2014.

Ces circonstances ont servi de toile de fond aux récents conflits, coups d'État et changements de régime. Mais ces crises contemporaines font suite à une période de développement relativement réussi impulsé par les Etats au cours des deux premières décennies du 21e siècle, marquée par un vif engouement pour les nouveaux "lions africains" et l'émergence du discours de "l'Afrique en plein essor".

Deux exemples se distinguent comme emblématiques de cette époque : la vision du Rwanda de devenir un hub financier et de services à l'image de Dubaï, et les ambitions de l'Éthiopie visant à développer son secteur manufacturier et ses infrastructures.

De nombreux écrits ont abordé les facteurs internationaux à l'origine de cette ère de développement dirigé par l'État. L'accent a été mis sur l'extension du financement privé et la croissance de « nouveaux » bailleurs de fonds tels que la Chine, l'Inde et le Brésil. Mais ces perspectives négligent souvent des questions importantes. Qu'est-ce qui a inspiré les ambitieux plans nationaux africains au cours des deux dernières décennies ? Quelles hypothèses ont été formulées sur les mécanismes du développement et sur la forme qu'il devrait prendre ?

Dans une nouvelle recherche publiée dans un numéro spécial d'une revue, nous analysons ces visions modernisatrices. Nous décortiquons leurs différences et leurs points communs à l'aide de cas provenant de plusieurs pays.

Nous mettons l'accent sur la compréhension des idées, des croyances et des normes qui façonnent les plans de développement. Ces perspectives sont souvent négligées dans l'étude de l'Afrique. Les chercheurs supposent souvent que les élites dirigeantes se préoccupent avant tout de leur pouvoir matériel ou de l'enrichissement personnel. Nous soutenons, au contraire, que des idées et des croyances sous-tendent ces objectifs et le contenu des plans de développement.

Les recherches présentées dans ce numéro spécial portent sur l'Angola, l'Érythrée et la Tanzanie, mais dans cet article, nous présenterons notre analyse de l'Éthiopie et du Rwanda.

Le développement moderniste du 20e siècle

De nombreux éléments du développement de ce siècle ressemblent à la résurgence du « haut modernisme » du 20e siècle. Il s'agit d'un terme inventé par l'universitaire James Scott pour décrire les programmes de développement économique autoritaires, dirigés par l'État et imposés d'en haut. Ces initiatives visaient à transformer la vie des populations et les paysages supposés « arriérés » et « traditionnels » en alternatives efficaces, modernes et rationnelles grâce aux infrastructures et la technologie.

Les grands barrages en sont probablement les exemples les plus emblématiques. Historiquement, ils étaient considérés comme des projets phares de la modernisation, capables de dompter la nature et de mobiliser la technologie - que ce soit l'électricité ou l'irrigation - pour bâtir des économies modernes et former une nouvelle classe de travailleurs. Le barrage d'Akosombo au Ghana en est un exemple marquant

Mais la construction de barrages a marqué une pause entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2000, lorsque la Banque mondiale et d'autres bailleurs de fonds importants se sont retirés. Les projets de barrages ont été considérés comme ayant des coûts sociaux et économiques trop élevés et comme n'étant pas performants. Ces impacts négatifs ont également suscité d'importantes protestations.

Le cas du Rwanda

Le modèle rwandais repose sur une structure de pouvoir concentrée de type léniniste. La puissance repose non seulement sur l'État, mais aussi sur le parti, avec ses entreprises et fonds d'investissement affiliés, exerçant une influence omniprésente. Le Rwanda a également relancé des projets datant du milieu du siècle dernier, tels que des barrages et un corridor ferroviaire est-africain. L'électricité y a été jugée cruciale, avec pour résultat une augmentation rapide, mais trop ambitieuse, de la capacité énergétique, multipliée par cinq en 15 ans.

Cependant, cette période récente ne reproduit pas simplement les années 1960 : elle intègre des éléments nouveaux. Une esthétique inspirée de Dubaï est au coeur de la transformation de la capitale, Kigali, avec pour objectif d'en faire un centre de services d'entreprise moderne, doté de gratte-ciel, de centres de conférence, de centres commerciaux et d'un nouvel aéroport international. Ce modèle remplace l'obsession du 20e siècle pour les sites industriels et le béton brut.

Plutôt que de s'appuyer uniquement sur des programmes dirigés par l'État comme au 20e siècle, le Rwanda a intégré des réformes favorables au marché. Le pays valorise l'initiative privée, dispose d'une bourse et encourage l'investissement. L'essor de l'électricité a d'ailleurs été largement porté par des entreprises privées, et le Rwanda se classe régulièrement parmi les meilleurs pays en matière facilité de faire des affaires. Créer une entreprise y prend des heures, et non des semaines, grâce à une bureaucratie réglementaire réactive.

Dans certains cas, des réformes « néolibérales » ont été mises en place, avec l'introduction de l'entreprise privée et de l'investissement dans des secteurs auparavant contrôlés par l'État. Le Rwanda a favorisé l'investissement et l'entrepreneuriat privés tout en mettant en place des réformes fiscales avantageuses pour les entreprises. Le secteur privé a joué un rôle majeur dans l'essor du pays, notamment en contribuant à la construction de plus de 40 microcentrales hydroélectriques en 15 ans.

Des techniques de gestion publique modernes, axées sur les incitations individuelles et les objectifs du service public, ont également été adoptées.

Le cas de l'Éthiopie

L'Éthiopie a mis l'accent sur les investissements dans de grandes plantations agricoles et des parcs industriels. Le résultat évoque les efforts de modernisation du 20e siècle. Un boom infrastructurel à grande échelle et une stratégie d'industrialisation visant à valoriser les produits agricoles allaient transformer la structure de l'économie. Le Grand barrage de la renaissance éthiopienne, le chemin de fer Addis-Abeba-Djibouti et d'autres mégaprojets sont devenus les symboles de cette vision. L'objectif était de maintenir le contrôle de l'État sur les secteurs stratégiques de l'économie (électricité, eau, télécommunications et aviation, entre autres), tout en construisant une base industrielle capable d'absorber l'excédent de main-d'oeuvre agricole.

À cela s'ajoutaient des investissements dans l'éducation et la santé. En 2016, l'Éthiopie avait le troisième ratio le plus élevé d'investissements publics par rapport au PIB, mais aussi l'un des taux de croissance économique les plus rapides au monde.

Contrairement au Rwanda, cette idéologie n'a pas survécu. Des progrès ont été réalisés en matière de santé, d'éducation et de revenus, mais les tensions politiques se sont accrues. Au milieu des années 2010, la réalité matérielle des moyens de subsistance de la population ne pouvait plus correspondre aux promesses évoquées par le parti au pouvoir. La dissidence n'était pas tolérée et a conduit à des manifestations, émeutes de masse , et finalement à la disparition du parti. Depuis 2018, on assiste à un changement radical d'idéologie et de vision, avec une ouverture à la libéralisation et un abandon de l'industrialisation au profit du secteur des services.

Continuité et changement

Dans l'ensemble, notre analyse met en lumière une combinaison de continuité et de changement durant cette période. Elle marque le triomphe d'une "gauche africaine", avec des géants historiques comme le Chama Cha Mapinduzi de Tanzanie ou le Frelimo du Mozambique, rejoints par de nouveaux partis révolutionnaires également inspirés par le marxisme.

Bien que la référence au communisme ou au socialisme ne soit pas explicitement utilisée, une conviction persiste selon laquelle des plans imposés d'en haut et les mégainfrastructures peuvent propulser les peuples vers un avenir « éclairé ». Les barrières économiques structurelles sont considérées comme surmontables grâce à la technologie et à l'ingénierie.

Parallèlement, on ne peut échapper au langage de l'establishment de Davos sur la suprématie des marchés, l'importance des investissements étrangers et les promesses de lutte contre le changement climatique et la pauvreté. Cela montre à quel point ces modernisateurs illibéraux sont liés à l'élaboration des politiques internationales.

Notre publication conceptualise ce modèle de continuité et de changement sous la forme d'un manifeste en 10 points des « modernisateurs illibéraux ». Bien qu'il existe des différences considérables entre les pays, nous soutenons que ces partis hégémoniques au pouvoir partageaient des objectifs communs de transformation de la société par le biais d'un programme défini par l'élite.

En fin de compte, le schéma de continuité et de changement démontre l'importance de l'analyse des idées, des croyances et des valeurs. En Afrique, comme ailleurs, les élites ne sont pas seulement intéressées par le pouvoir, elles sont aussi influencées par des idées sur le développement.

Barnaby Joseph Dye, Lecturer, King's College London

Biruk Terrefe, Lecturer & Postdoctoral Researcher, Bayreuth University

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