Aujourd'hui, les urnes vont parler et la clameur qui en naîtra s'élèvera peut-être jusqu'au petit matin, tel un écho dans le silence des quartiers endormis. Notre île se retrouve, une fois encore, partagée, clivée, morcelée par des lignes de fractures qui, si elles perdurent, fragiliseront davantage notre édifice commun.
Et en attendant que les élus soient proclamés, il nous faudrait sans trop attendre réfléchir à cette tâche urgente : raccommoder le pays, recoller les éclats épars, pour qu'ensemble nous puissions relever les défis d'aujourd'hui et de demain, qu'ils soient économiques, écologiques ou sociaux.
Le premier discours de celui qui héritera du pouvoir devrait être celui d'un rassembleur, d'un bâtisseur de ponts et non d'un briseur de chaînes ou d'un recouvreur de coffresforts. Ce propos conciliant devra trancher avec les harangues guerrières et les clivages exacerbés d'une campagne aussi courte que fulgurante, où chacun a survécu plus qu'il n'a convaincu.
En 2019, quand les résultats proclamèrent leur verdict, un exploit inespéré émergea pour le leader du MSM. Malgré les nuages de scandales ayant terni sa route, il réussit à ancrer sa légitimité, fort du pouvoir transmis par son père, que d'aucuns jugeaient usurpé. Sans le soutien du patriarche, Pravind Jugnauth sut surmonter, d'un côté, le tandem Ramgoolam-Duval, et de l'autre, l'indomptable Paul Bérenger, élevant le MSM au sommet comme jamais auparavant. Une «success story» politique, flamboyante et unique.
Mais, cinq ans plus tard, après deux mandats de l'Alliance Lepep, quelques fuites et des controverses à répétition, qu'en reste-t-il ? En novembre 2019, fort de sa victoire, Pravind Jugnauth choisit de renouveler son équipe, anticipant un mandat long et stable, tandis que les figures de Ramgoolam et de Bérenger voyaient leur aura se ternir aux yeux de leurs fidèles, qui doutaient désormais de la pérennité de leurs «liders maximo». Pourtant, la bête politique ne renonce jamais aisément et on savait que les deux chefs vieillissants ne déposeraient pas leur manteau de sitôt. La preuve !
Il convient de rappeler la stratégie judicieuse du MSM en 2019 : des élections fixées le 7 novembre, avant la condamnation attendue de Prakash Maunthrooa, pilier rural, et avant le non-lieu accordé à Navin Ramgoolam. Ces événements, chacun décisif, auraient assurément pesé lourd dans la balance, mais en faveur, sans doute, de l'alliance PTr-PMSD et du MMM.
Au scrutin 2019, Paul Bérenger retrouvait une certaine ferveur, sa position en tête du n° 19 contrastant avec celle de son ancien lieutenant, Ivan Collendavelloo, relégué à une modeste troisième place. Au lendemain de la défaite, le regard du leader mauve ne trahissait nul découragement ; au contraire, un sourire mystérieux flottait sur ses lèvres, laissant planer l'idée d'une improbable alliance avec le MSM, désormais abri d'anciens camarades du MMM passés ministres, comme Collendavelloo, Ganoo, Obeegadoo et Ramano. Qui n'est jamais venue, puis il avait choisi, après leur divorce, de recoller les morceaux avec Navin Ramgoolam et de retenter l'avenir à deux avant d'avoir deux autres partenaires.
Quand, cette fois-ci, Ramgoolam et Bérenger comprendront, enfin, que l'horloge de leur règne approche inexorablement de son terme, Pravind Jugnauth pourrait bien se retrouver seul sur l'échiquier, à moins que les héritiers de ces deux dynasties politiques ne soient propulsés en avant sans plus attendre, peu importe l'issue du scrutin. La complexité des problèmes à régler dans notre pays requiert la compréhension et l'action de tous les hommes et femmes de bonne volonté - la sagesse des aînés et l'impétuosité des jeunes.