Sénégal: Rap féminin - Briser le plafond de verre

Le rap sénégalais, surnommé "rap galsen", a commencé à se féminiser à la fin des années 1990, une précocité en dépit de laquelle bon nombre de rappeuses peinent à émerger sur la scène internationale, malgré tous les efforts qu'elles déploient.

L'absence de visibilité ou les difficultés de décrocher des grands contrats dans la World music sont parmi les raisons avancées pour expliquer une telle situation.

Certains acteurs sont en effet convaincus que cette situation ne résulte ni d'un manque de talent, ni d'un faible niveau artistique ni encore moins de l'absence de bons textes de rap.

Pourtant, le Sénégal était autrefois connu comme l'un des pays africains de référence du hip hop, dès l'émergence de ce genre musical dans les années 90. Mais, aujourd'hui, il peine à voir ses filles briller sur la scène nationale et internationale.

Un constat qui pousse certains acteurs de la musique à parler de manque de visibilité du rap galsen. D'autres évoquent la nécessité de l'allier à la musique traditionnelle pour le rendre vendable auprès du grand public.

Pour la rappeuse et animatrice sénégalaise Fatim Sy, dit "Sista Fa", "pas question de mixer ce genre de musique au folklore". Selon elle, le rap étant un "message", il est important de le pratiquer, au lieu de le mixer.

"Beaucoup de rappeuses sénégalaises émergent sur le plan international, mais notre presse" n'en fait pas écho, déplore "Sista Fa".

Elle fait partie de ceux qui sont convaincus que le rap galsen féminin brille aussi bien au Sénégal qu'à l'international. "Nous avons des rappeuses qui brillent sur la scène internationale, mais personne n'en parle", s'étonne-t-elle.

Pour elle, si la presse mettait beaucoup plus l'accent sur le rap, elle verrait comment les rappeuses sénégalaises sont respectées et reçoivent des invitations venant de partout.

Des rappeuses souvent sollicitées sur la scène internationale

"On a des gens comme Oumou Guèye (OMG), Aminata Gaye [Mia la voilée], Sélbé Diouf [Sista LB] ou moi-même. On est souvent sollicitées sur la scène internationale ou au niveau de la sous-région", précise-t-elle.

Elle reconnaît, toutefois, que la société sénégalaise n'accorde pas beaucoup d'importance à la musique, plus particulièrement au rap. "Ils [les gens] sont plus dans le mbalax, dans le folklore", poursuit-elle.

"La culture, la société sénégalaise est façonnée comme telle. Le rap, c'est un genre musical que les Sénégalais ne connaissaient pas. Avant, ils connaissaient plus le ngoyane, les halam, le tama", laisse-t-elle entendre.

Pour le président de l'Association des métiers de la musique du Sénégal (AMS), Daniel Gomes, la scène internationale reste un "peu fermée" pour les rappeuses sénégélaises.

"Des personnes comme Fatim, comme Sista LB, de par leur caractère, de par le respect qu'elles inspirent, peuvent avoir accès à ces dispositifs qui leur ont ouvert des portes sur l'international", estime-t-il.

D'après lui, les femmes gagneraient à travailler en synergie pour aller ensemble et porter leur "voix" sur la scène internationale.

" (...) au moins pour la sous-région, elles doivent essayer de voir comment elles peuvent porter leur voix ensemble et comment elles pourront aller sur l'international aussi de manière assez combinée", préconise-t-il.

Un nécessaire brassage entre tradition et modernité

"Les jeunes aiment bien le rap. Pour qu'il soit beaucoup plus consommé par les Sénégalais, je pense qu'il faudrait qu'ils insistent sur le brassage entre la tradition africaine, sénégalaise", indique, quant à elle, , Ngoné Ndour, productrice de musique et co-créatrice du label "Prince art".

Nouvellement réélue présidente du conseil d'administration de la Société sénégalaise du droit d'auteur et des droits voisins (SODAV), Ngoné Ndour pense que le rap sénégalais gagnerait à être mixé avec le mbalax pour mieux se vendre auprès du public.

"Je pense que le rap sénégalais gagnerait à beaucoup plus être traditionnel, pour que la population puisse vraiment suivre. Parce que si on regarde bien, le rap c'est une histoire de jeunes", fait-elle valoir.

Elle cite l'exemple de Ngaaka Blindé, qui mixe le rap au mbalax, ou encore de Fata alias "El Presidente" qui le fait "très bien" aussi.

Au niveau de Prince Art, poursuit-elle, "comme artiste, on ne produit pas n'importe qui". La première exigée de l'artiste, c'est d'abord le talent, dit-elle.

Selon elle, beaucoup de gens ont percé dans la musique non seulement à cause de leurs talents mais aussi grâce au marketing.

"Le paraître est important. Au-delà de savoir rapper, [il y a ]l'aspect artistique, la présentation. Donc, l'artiste gagnerait à s'adapter, surtout pour le rap", laisse-t-elle entendre.

Mme Ndour reste toutefois optimiste concernant l'avenir du rap galsen" féminin, tout soulignant cependant "l'importance de s'ouvrir aux autres".

S'ouvrir davantage

"Peut-être que nous, notre musique est trop fermée. On se dit que cela ne doit être consommé que par la communauté. Donc, il faut qu'on apprenne à s'ouvrir beaucoup plus et à accepter de se transformer", suggère-t-elle.

A l'en croire, le manque de "visibilité" reste l'un des obstacles à l'émergence du rap féminin au Sénégal.

"Elles [les] rappeuses ne sont pas plus visibles. Il y a vraiment du travail à faire. Je pense peut-être que ces femmes-là gagneraient aussi à apprendre comment chanter, mixer, faire autre chose", déclare Mme Ndour.

Elle appelle les jeunes femmes qui embrassent le métier à travailler sans relâche et à ne pas se décourager.

"Le Sénégal a connu une première génération de rappeuses, avec des gens comme Fatim Sy de BMJ44. Dans cette génération aussi, il y avait Keisha. L'une des caractéristiques de ces premières femmes rappeuses, c'est qu'elles étaient dans des groupes mixtes", rappelle Bigué Bob, directrice de publication du journal Enquête et spécialiste de la culture.

Comparée à l'ancienne génération, la nouvelle ne vient pas forcément d'un groupe constitué d'hommes, fait-elle remarquer.

Des figures féminines comme références

"Elles ont même des figures féminines comme référence. Alors que pour les premières, c'étaient des figures masculines qu'elles avaient pour référence", fait-elle savoir.

A l'époque, rappelle-t-elle, le rap sénégalais était cité comme référence sur le continent africain.

" (...) les Nigérians sont très à l'avance, mais on oublie les Sud-Africains. Ces derniers également sont arrivés à percer aujourd'hui le marché international. Nous, on est très en retard", déplore-t-elle.

Selon Bigué Bob, l'Afrique francophone s'attarde plus dans la composition, alors que les anglophones sont dans le business. C'est la raison pour laquelle ils sont, d'après elle, "en avance".

" (...) Fatim Sy a un festival annuel qu'elle organise pour les femmes. Et c'est au profit des femmes. C'est aux femmes de se battre pour se faire une place", iniste la spécialiste en culture.

Et de poursuivre : "Tant qu'elles vont attendre que les autres leur fassent de la place, elles n'auront rien. Dans ce métier-là, tout le monde se bat. Les hommes n'ont aucun intérêt à faire de la place aux femmes."

"Je vois des gens comme OMG qui n'attendent pas que les autres leur tirent la main et fassent des choses pour qu'ils s'en sortent (...) ", conclut-elle.

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