Dans la culture occidentale, on croit que les chats ont sept vies. S'il était un animal, Paul Bérenger, 79 ans, leader du Mouvement Militant Mauricien (MMM), aurait certainement été un de ces félidés. En 51 ans de vie politique, l'homme a échappé à un assassinat, n'a pas craqué au cours de ses 12 mois d'emprisonnement, a survécu à un cancer à l'amygdale gauche et à deux malaises 'and the guy is still going strong'. Portrait d'un homme politique d'exception.
Qu'est-ce qui fait courir Paul Raymond Bérenger (PRB) ? Ce n'est ni une potion magique ni une pile Varta mais un amour immodéré pour son pays, sentiment qui l'a parfois incité à faire des compromis, voire des compromissions et à ainsi s'aliéner certains membres du parti qu'il a fondé, le MMM.
PRB) est né le 26 mars 1945. Son père est un haut fonctionnaire au ministère des Travaux. Il voue une admiration sans bornes à son grand-père maternel, Joseph Auguste Esnouf dont le nom de plume est Savinien Mérédac, une forte tête et un patriote dans l'âme. «Les Esnouf avaient le feu sacré, un amour total pour leur patrie», confiait d'ailleurs un de ses cousins à l'express dans son édition du 28 septembre 2003. Il fréquente le Collège du St Esprit et le caractère fougueux qui est sien va s'y manifester. Aux joutes verbales s'ajoutent celles physiques parfois, notamment une bagarre entre lui et un autre élève sur l'escalier de l'école.
Epris de liberté, alors que les Frères voient en lui un futur lauréat après qu'il a obtenu une distinction aux examens de School Certificate, il réplique que cela ne l'intéresse pas. Rien ne lui fera changer d'avis. Il quitte le collège et passe l'examen de General Certificate of Education Advance Level pour être admis à l'université de Bangor au Pays de Galles où il obtient une licence en littérature française et philosophie avec une mention très bien. Au cours de cette étape, il découvre Karl Marx et sa lutte des classes, Rosa Luxembourg et ses idées libertaires, Frantz Fanon et son opposition au colonialisme. PRB suit aussi des cours de journalisme.
À la fin des années 60, le monde va mal : guerre du Vietnam, conflits latino-américains, la révolution culturelle en Chine, le mouvement hippie et Mai 68 qu'il vit alors qu'il se trouve à Paris. À son retour à Maurice, il applique ses idées marxistes. La coalition entre le Parti travailliste et le Parti mauricien social-démocrate a laissé un vide au niveau de l'opposition et dans lequel il s'engouffre. C'est à la tête du Club des étudiants, qui deviendra le MMM qu'il va défendre la lutte des classes, se rangeant du côté des travailleurs de l'industrie sucrière, du port, du transport, de l'électricité, leur faisant prendre conscience de leur force et de leurs droits. C'est ainsi qu'il créé la General Workers Federation.
Maîtrise du langage
PRB a pour lui la maîtrise du langage qui est dépouillé et incisif. Il martèle son message qui est clair. Doté d'un timbre de voix grave, qualité des grands orateurs, son discours séduit les militants. Le pays assiste alors à des débrayages, des manifestations, des rassemblements bruyants et des grèves de la faim. Le régime hostile le jette en prison. Loin de le décourager, ce séjour de 12 mois le fortifie. Il prend ce temps pour lire comme un forcené. Il est aussi celui qui encourage ses camarades emprisonnés à tenir bon. Ce séjour en prison le rend plus pragmatique et à sa sortie, il positionne le MMM comme un parti électoraliste dont la stratégie est la conquête du pouvoir. Une orientation qui ne plaît pas à tous ses amis de partis et il en perd plusieurs.
Il fait alors appel à de jeunes cadres dont Jean-Claude de l'Estrac, à l'époque journaliste à l'express. Ces jeunes qui sont de formation et de sensibilités différentes apportent deux tendances idéologiques au MMM, soit la gauche et la droite. PRB jongle avec ces deux tendances, favorisant tantôt l'une tantôt l'autre. Si aux élections de 1976, le MMM obtient une majorité de sièges, 34 contre 28 au PTr et huit pour le PMSD, il n'arrive pas à constituer un gouvernement et le PTr en profite pour s'allier au PMSD. Comprenant mieux les sensibilités sociales, le MMM défend alors l'idée d'«enn sel lepep, enn sel nation», ce qui lui vaut l'adhésion de toute une génération.
Sur le terrain politique, il est confronté à la race, la couleur et la caste et se rend compte qu'il ne sera jamais Premier ministre en raison de la couleur de son épiderme. Il cherche alors à comprendre cette division pratiquée de façon subtile par les travaillistes et fait de même mais de façon si systématique qu'il se verra accuser par ses adversaires d'être «le père du communalisme scientifique.»
Une première cassure
En 1982, le MMM arrive au pouvoir. Pensant sans doute avec raison que parce qu'il n'est pas hindou, il sera rejeté, il positionne le jeune avocat Anerood Jugnauth comme Premier ministre, se réservant le second rôle en tant que ministre des Finances. Il croit pouvoir le contrôler mais il se casse les dents. Anerood Jugnauth ne cède pas sur deux questions. C'est la cassure du MMM après quatre mois de prise de pouvoir. En cause, une divergence par rapport à une mesure gouvernementale avec son ami, Kader Bhayat, alors ministre du Commerce et dont il réclame la mise à pied et le remplacement de cinq ministres du Parti socialiste mauricien. Il perd non seulement de proches collaborateurs mais sa démission dope le Premier ministre Anerood Jugnauth qui crée alors le Mouvement socialiste militant (MSM).
La campagne qui suit cette cassure sera très agressive et raciste, rendant PRB irritable et colérique. Le MMM perd les élections en 1983 et 1987. Au début des années 90, une majorité de dirigeants du parti veulent une réunification des militants et Jean-Claude de l'Estrac et Cassam Uteem vont tâter le terrain auprès d'Anerood Jugnauth. Celui-ci est d'accord mais sans PRB. Ils réussissent à le convaincre. L'alliance est scellée entre le MSM et le MMM, PRB étant nommé conseiller spécial en désarmement. Aux élections de 1991, l'alliance MSM-MMM rafle la mise.
Imperturbable
Mais quelques mois plus tard, PRB prend les membres de son exécutif de court en dînant avec l'ennemi d'alors, soit le Dr Navin Ramgoolam. Le bureau politique du MMM éclate et il perd une quinzaine de ses plus fidèles collaborateurs. Bien qu'esseulé, il poursuit sa route, imperturbable.
En 1995, il opte pour une alliance avec le PTr du Dr Navin Ramgoolam. Deux ans plus tard, ce dernier se défait de lui et du MMM qui se retrouve dans l'opposition. PRB surprend les militants quand en 2000, il va frapper à la porte de sir Anerood Jugnauth. C'est ainsi que l'accord Medpoint est scellé, soit un partage du poste de Premier ministre entre les deux hommes, trois ans pour sir Anerood et deux ans pour PRB.
Perfectionniste
Ce bourreau de travail, qui est perfectionniste, ne supporte pas les côtes mal taillées, la médiocrité, d'où ses coups de gueule à l'égard de ses collaborateurs qui n'effectuent pas leur travail comme il faut. Il est incollable en politique internationale car il épluche tous les magazines étrangers et fait le tour du monde sur le Net.
PRB a tenté d'aller seul aux élections de 2005 mais le MMM s'est fait battre par la coalition menée par le PTr de Navin Ramgoolam. En 2010, le MMM a encore mordu la poussière. Alors que l'on s'attendait à un Remake 2000 en 2014, soit une nouvelle alliance entre le MSM de sir Anerood Jugnauth et le MMM, PRB court-circuite le MSM pour s'allie au PTr. Lors d'une interview accordée à l'express, le 29 novembre 2014, PRB explique ce choix.
Il ne l'a pas fait en raison du Dr Ramgoolam mais pour le PTr. Il nous apprend alors que tout au long de l'histoire du MMM, ce parti était en contact avec des dirigeants rouges comme sir Veerasamy Ringadoo et sir Harold Walter et que c'est pour cela qu'il a contracté une alliance avec le fils de sir Seewoosagur Ramgoolam en 1995. Et si cette alliance n'a pu aller au bout c'est parce que les torts sont partagés. Il l'a attribué à l'inexpérience du Dr Ramgoolam, nouveau venu en politique, qui se retrouvait pour la première fois Premier ministre avec une concentration de pouvoirs entre les mains, et à son impatience et à son exigence de n'avoir pas su donner le temps au temps.
Faire de Maurice un modèle
Par contre, au cours de ce même entretien, il indique que le Remake 2000 ne s'est pas fait à cause de sir Anerood Jugnauth «qui a manqué de respect aux différentes communautés», insistant pour que son fils, Pravind, soit no 3 sur le Front bench alors qu'il avait été décidé que cette place reviendrait à Reza Uteem, le rejet par SAJ du rapport du Select Committee sur la réforme électorale, «SAJ disait oui mais li pa ti pe mean it», et la volte-face de SAJ qui s'était dit d'accord de ne pas présenter son fils comme candidat alors que celui-ci avait une affaire en cour, soit l'affaire Medpoint et que «dans la pratique l'avocat de Pravind Jugnauth inn tir tou lay ek fer delaying tactics, en d'autres termes exactement le contraire de ce qui avait été décidé.»
Son objectif en s'alliant au Dr Ramgoolam en 2014 était de faire de Maurice «un modèle, un pays phare et résoudre en priorité les problèmes d'eau et d'électricité. Et les Mauriciens savent que lorsque je me mets au travail, je ne lâche pas prise». Après leur défaite de 2014, PRB aura longtemps blâmé son partenaire d'alliance, déclarant que le MMM avait sous-estimé la colère du public envers le Dr Ramgoolam, que celui-ci s'était comporté de manière «arrogante» durant la campagne électorale, qu'il était capricieux et avait commis des «gaffes magistrales. A un moment, on est entré dans un engrenage dont on ne pouvait plus sortir.» Les deux partis ont été seuls aux élections en 2019 et cela ne leur a pas réussi.
Il n'empêche que c'est avec ce même Navin Ramgoolam, qui a entretemps demandé pardon à la population, reconnaissant ses erreurs, que PRB a brigué les suffrages, dimanche, leur objectif principal commun étant d'éjecter le MSM du pouvoir en raison de «tous les scandales» qui ont entaché le gouvernement sortant durant les dix dernières années.
PRB est l'un de ces rares politiciens, si ce n'est le seul, à avoir évoqué publiquement ses ennuis de santé, que ce soit pour son cancer à l'amygdale gauche que pour les deux malaises ayant nécessité son admission en clinique en 2013 et 2023. En 2014, l'express lui demandait si ce serait sa dernière élection, il avait répliqué «mo espere me pas sir ditou (...) Je ne sens pas le poids de l'âge, je me sens plus en forme que jamais.» Bien qu'il ait perdu un peu de sa souplesse et que sa démarche soit ralentie, en participant au scrutin d'hier, il prouve à nouveau que l'âge n'est somme toute qu'un chiffre.