Avec l'arrivée de l'Alliance du changement au gouvernement, de nombreuses figures de l'ancien régime se voient contraintes de tourner une page. Ceux qui occupaient des postes stratégiques, parfois controversés, doivent songer à l'avenir loin des cercles de pouvoir. Parmi les premiers à rendre leur tablier, figurent Zouberr Joomaye, conseiller au bureau du Premier ministre, et Harry Vydelingum, beau-frère de Yogida Sawmynaden, qui occupait le poste de chairman du Mauritius Institute of Training and Development (MITD). Ils ont soumis leur démission hier. Le directeur de la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC), Anooj Ramsurrun, a aussi circulé des messages d'au revoir à son personnel dès lundi après-midi. Conseillers, CEO, chairpersons ou autres proches de Lakwizinn, ces figures controversées anticipent leur départ pour éviter une éviction.
Zouberr Joomaye a annoncé sa démission de son poste de Senior Advisor au sein du bureau du Premier ministre. Il a également renoncé à ses fonctions au sein des conseils d'administration de plusieurs entités, dont Airport Holdings Ltd (AHL), Landscope Mauritius Ltd, le Mauritius Institute of Biotechnology, ainsi qu'à la présidence de Jet Prime Ltd. La voix attribuée à Zouberr Joomaye a également été au coeur de plusieurs enregistrements audio diffusés par Missie Moustass, évoquant de possibles tentatives d'ingérence dans la gestion du pays.
Par ailleurs, la nomination de Harry Videlingum avait suscité des remous au sein de l'institution, son lien familial avec Yogida Sawmynaden n'étant pas bien perçu par certains membres du personnel. Dès hier matin, il a pris la décision de soumettre sa lettre de démission, remerciant le Premier ministre sortant, Pravind Jugnauth, pour l'opportunité de «servir le pays à travers le MITD». Ce départ marque le début d'une série de désistements, signe que l'après-élection laisse présager une véritable refonte des instances publiques. Par ailleurs, Anooj Ramsurrun, en poste à la MBC depuis des années, fut souvent accusé de partialité dans le traitement des informations, un favoritisme qui aurait été mis en exergue dans les fameuses bandes sonores de Missie Moustass. Il aurait usé de son autorité pour boycotter plusieurs couvertures selon les caprices de Lakwizinn.
Le secteur de l'aviation
Parmi les autres figures pressenties pour quitter leur poste, se trouve Ken Arian, actuel CEO d'Airports Holdings, personnage controversé souvent cité pour son rôle dans les manoeuvres de Lakwizinn. Fidèle conseiller de l'ancien Premier ministre, il a été un acteur clé du précédent régime. Son influence s'étendait à des domaines aussi divers que la gestion des aéroports ou les décisions d'infrastructures publiques. Sa répu- tation a notamment été ternie par les allégations de manipulation dans les bandes de Missie Moustass, où son rôle dans des décisions stratégiques contestées a suscité de vives critiques.
La série de départs touche aussi l'aviation civile. Charles Cartier, nommé PDG de MK en mars dernier, pourrait également partir avant d'être contraint de quitter son poste. Son passage à la compagnie nationale a été marqué par une plainte retentissante de 70,5 millions d'euros contre l'express. Pawan Baichoo, le CEO d'AML, figure aussi sur cette liste.
Pour sa part, Me Raouf Gulbul, chairman d'Airports of Mauritius Ltd soumettra aussi sa démission. Il attend de suivre les procédures nécessaires.
Quant à Atma Bumma, responsable de communication de MK et ancien directeur de campagne de l'Alliance Lepep au no 16, sa situation est de plus en plus précaire. Celui qui percevait un salaire confortable de plus de Rs 250 000, en congé pour se consacrer à la campagne, devrait aussi emboîter le pas à son patron.
Abus de pouvoir
La Mauritius Film Development Corporation (MFDC) est un autre exemple illustrant les controverses. Dirigée depuis dix ans par Vikram Jootun, cette institution a été au centre d'allégations d'abus et d'ingérences politiques. Vikram Jootun, figure centrale de la campagne Vire Mam en 2014, aurait utilisé des ressources de la MFDC à des fins partisanes, impliquant plusieurs personnalités locales dans des vidéos de propagande. Cer- tains employés, exaspérés par ces pratiques, avaient dénoncé ces abus, fournissant même des preuves de l'utilisation des équipements pour des activités politiques. Mais loin d'être entendus, plusieurs d'entre eux avaient été suspendus.
Navin Beekarry, à la tête de la Financial Crimes Division (FCC), a vraisemblablement utilisé cet organisme pour mener la vie dure à Navin Ramgoolam dans l'affaire coffres-forts en venant avec de nouvelles accusations apres 10 ans. La démarche de la FCC visait aussi à usurper les pouvoirs de poursuite du Directeur des poursuites publiques (DPP), Me Rashid Ahmine. En remplaçant l'ICAC, la FCC visait à obtenir le contrôle exclusif des poursuites en matière de fraudes financières, ne laissant aucun droit de regard au DPP. Face à cette situation, Me Ahmine et l'ancien DPP, Me Satyajit Boolell, ont même déposé une plainte constitutionnelle en Cour suprême pour contester la mise en place de la FCC ainsi que les pouvoirs qui lui ont été accordés.
Enfin, le cas de Dick Ng Sui Wa, à la tête de l'Information and Communication Technologies Authority (ICTA), illustre la manière dont le précédent régime n'hésitait pas à instrumentaliser les institutions publiques à ses propres fins. Sa décision de bloquer l'accès aux réseaux sociaux le 23 octobre avait suscité un tollé général, tant parmi les citoyens que dans la société civile. Figure bien en vue dans la sphère politique, il n'a jamais caché son allégeance et sa posture pourrait également lui valoir de quitter l'arène publique.
Le vent de changement, qui souffle désormais sur les institutions publiques de Maurice, marque une rupture avec une gouvernance jugée opaque par une majorité de la population. Conseillers, nommés et autres protagonistes de l'administration sortante se retrouvent dans une situation précaire, ayant servi des intérêts politiques au détriment de la transparence et l'éthique institutionnelle. Outre les membres directement associés aux sphères du gouvernement, ceux qui occupaient des postes importants dans la diplomatie ou d'autres domaines stratégiques, tels que la Financial Intelligence Unit, la Banque de Maurice ou encore les nombreux boards où ils ont siégé devront également plier bagage.