Le nouveau pouvoir sénégalais installé en avril 2024 a annoncé la mise en place d'une commission d'experts chargés de renégocier les contrats pétroliers, gaziers et miniers signé sous l'ancien régime, les qualifiant de défavorables pour leur pays. Le Sénégal est devenu un pays producteur de pétrole et de gaz naturel.__
Makane Moïse Mbengue est l'auteur de nombreuses publications sur le droit international économique et le règlement des différends internationaux. Damien Charlotin est expert en droit international public public et en droit des investissements internationaux. Ils expliquent à The Conversation Africa la procédure à suivre pour mener à bien cette renégociation ainsi que les risques qui y sont liés.
Quelle est la procédure à suivre pour un pays qui veut renégocier les contrats avec des investisseurs étrangers?
Un pays commence généralement par évaluer les contrats existants à travers des audits juridiques et économiques, afin d'identifier les termes qui ne correspondent plus à ses intérêts ou à ses cadres réglementaires actuels. Une étape essentielle, à ce stade, consiste en l'identification des clauses de renégociation, si elles existent, en ce qu'elles peuvent poser des conditions pour la révision du contrat.
Pour les contrats d'hydrocarbures, de telles clauses sont courantes a minima pour renégocier les prix, car les prix internationaux peuvent fluctuer fortement. Il est également courant pour ces contrats de contenir des clauses de renégociation portant sur l'économie générale du contrat, visant à aider les parties à préserver l'équilibre convenu lors de la signature initiale, face à des circonstances changeantes.
Ces clauses de renégociation peuvent cependant être autant un atout ou une aide surtout lorsqu'elles imposent des conditions ou des modalités particulières pour pour la renégociation de certains termes essentiels Bien souvent, lesdites clauses jouent un rôle dans la stabilité du contrat en question. Tout dépend, in fine, du langage contractuel précis.
Mais en l'absence de telles dispositions, l'État peut devoir justifier la renégociation en invoquant des changements économiques substantiels ou imprévus. La marge de manoeuvre dépend là du droit applicable. En règle générale, les systèmes de common laws (anglais ou américains, souvent non codifiés) peuvent offrir plus de flexibilité que ceux du droit civil, bien que cela ne soit une règle absolue.
Dans tous les cas, en termes juridiques, justifier la renégociation peut parfois être difficile. Cela risque d'entrer en conflit avec certains principes essentiels comme pacta sunt servanda ("les accords doivent être respectés et exécutés de bonne foi").
Quelle est l'approche optimale pour une telle renégociation ?
L'expérience montre que les renégociations réussies sont celles qui ne sont pas juste ad hoc, mais s'inscrivent dans une démarche globale, à la fois économique et politique. De façon réaliste, aucun investisseur ne souhaite nécessairement renégocier sans quid pro quo - si les termes du contrat lui sont favorables, il va préférer maintenir cet avantage. La réceptivité d'un investisseur à la renégociation est encore plus faible s'il se sent désavantagé par rapport à ses concurrents -- une approche de renégociation générale permet d'éviter cet écueil.
Par ailleurs, cette renégociation au sens large doit être menée par une équipe dédiée, avec en son sein des expertises économiques, juridiques et techniques, et capable de mettre en jeu la parole de l'Etat. Il s'agit de s'assurer que l'accord final soit effectivement mis en oeuvre et ne soit pas bloqué, comme c'est souvent le cas, par manque de volonté politique. Au Ghana, par exemple, certains contrats de fouriture d'énergie se sont révélés très chers une fois que le manque d'efforts de l'Etat a fait échouer les projets en question.
Fonder la renégociation sur des critères objectifs - par exemple, des changements dans les conditions du marché mondial, des fluctuations monétaires, de nouvelles lois nationale - offre une base solide. Il est également pertinent d'évoquer la nécessaire modernisation des contrats au vu des enjeux contemporains. Les questions de transparence, de développement durable, de politique de Responsabilité sociale d'entreprise (RSE), etc., ont un poids grandissant, qui peut incliner un investisseur à renégocier.
La publication des contrats miniers en lien avec les règles de l'Initiative pour la transparence des industries extractives a souvent servi de catalyseur à des renégociations à l'avantage des Etats et des communautés affectées, par exemple au Mali ou en RD Congo.
De même, l'usage d'un "contrat type" (d'un texte modèle qui indique les souhaits de l'Etat en termes de balances des intérêts contractuels) par l'Etat peut servir de base à la renégociation, et aligner les différents investissements entre eux. Les Etats peuvent également s'inspirer de contrats modèles ou consulter des organisations internationales, comme la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), pour s'assurer qu'ils respectent les meilleures pratiques et protègent leurs intérêts nationaux.
Quels sont les risques liés à la renégociation des contrats?
Les principaux risques incluent la possibilité que les investisseurs réclament des dommages-intérêts pour rupture de contrat, ce qui pourrait mener à des arbitrages internationaux coûteux. La renégociation peut également dissuader de futurs investisseurs, qui pourraient percevoir l'État impliqué comme instable ou imprévisible.
Il y a également un risque de préjudice réputationnel sur les marchés internationaux, ce qui pourrait impacter la notation de crédit ou l'accès aux financements.
Enfin, on ne renégocie pas éternellement, et un accord trouvé doit être respecté - ce qui implique de ne pas se tromper et d'anticiper sur les évolutions futures.
Y a-t-il des exemples inspirants d'autres pays africains?
Rien n'est choquant dans le souhait exprimé par un pays de renégocier les contrats.
Des pays comme la Tanzanie et la République démocratique du Congo ont récemment renégocié leurs contrats dans le secteur minier, en invoquant l'intérêt public et la souveraineté économique.
Dans les deux cas, cette renégociation a suivi l'adoption de lois et réformes dédiées (loi sur la souveraineté sur les ressources naturelles de 2017 en Tanzanie, nouveau code minier de 2018 en RDC), et s'est voulue généraliste. Des difficultés d'exécution ont cependant compliqué ces renégociations, et la Tanzanie a même fait l'objet de plusieurs arbitrages investisseurs-Etats sous l'égide du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) - un organisme de la Banque mondiale qui administre de telles arbitrages - dans le contexte de ces réformes.
Un exemple plus inspirant serait celui du Nigeria dans les années 1970. Dans les années qui suivirent son entrée dans l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et la création de Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), celle-ci a réussi à renégocier plusieurs contrats, gagnant un plus grand rôle dans ce secteur pour l'Etat et de plus fortes recettes commerciales. Il a pu le faire en mettant en jeu les éléments indiqués plus haut :
- une politique forte et assumée (par exemple, le Nigerian Enterprises Promotion Decree de 1972) ;
- une équipe dédiée et experte au sein de NNPC (qui a donc pu monter en compétence au fur et à mesure des renégociations) ;
- une approche généraliste touchant à tous les contrats d'hydrocarbures ;
- et la réalisation qu'une négociation nécessite un qui pro quo : les contrats furent renégociés au prix de très généreuses concessions fiscales.
Makane Moïse Mbengue, enseignant-chercheur, Université de Genève
Damien Charlotin, enseignant-chercheur, HEC Paris Business School