Après la victoire écrasante de 60-0 de l'Alliance du changement et alors que le pays s'apprête à entamer un nouveau chapitre politique, les Mauriciens attendent des réformes capables de réduire le coût de la vie et de restaurer la stabilité économique. Si les premières annonces semblent ambitieuses, des questions subsistent quant à leur faisabilité.
Pour contenir la hausse des prix, le nouveau gouvernement prévoit de créer un fonds de stabilisation de Rs 10 milliards, visant à atténuer l'impact des hausses de prix des produits de première nécessité. Reza Solamun, habitant de Vacoas, souligne toutefois l'importance d'une gestion rigoureuse pour éviter de grever le budget national. «Un tel fonds pourrait soulager temporairement les familles, mais il faut se demander combien de temps le pays pourra soutenir un tel dispositif », observe-t-il.
Les PME, déjà confrontées aux répercussions des hausses de prix, expriment également leurs réserves. Pour certaines entreprises, la création de ce fonds représente une double pression, comme l'explique Naresh, propriétaire d'une boutique à Curepipe : «Nous, commerçants, sommes partagés. Si ce fonds permet de stabiliser les prix, c'est un soulagement pour nos clients. Mais si cela génère des taxes supplémentaires pour le financer, cela alourdira nos charges.» Il redoute également des effets de court terme si l'inflation persiste, car un retour aux prix élevés affecterait de nouveau la demande.
Dans le programme de l'Alliance du changement, l'indépendance de la Banque de Maurice figure aussi en bonne place. Permettre à la banque centrale de gérer la masse monétaire et les taux d'intérêt sans interférence politique est un engagement que beaucoup saluent. Pour les petites entreprises, une monnaie stable est cruciale pour planifier leurs activités. Amrita Moothen, entrepreneure dans le textile, partage : «Une roupie forte, sans fluctuations dues à des décisions politiques, nous permettrait de mieux maîtriser nos coûts de production et d'importation.»
Le nouveau gouvernement ambitionne également de réduire la TVA sur les produits de base et d'instaurer un Freight Rebate Scheme pour diminuer les coûts d'importation. Bien que les consommateurs espèrent une baisse des prix, certains acteurs du secteur local craignent des effets indirects sur la compétitivité de leurs produits. «Si la TVA diminue sur les produits importés, nos produits locaux deviennent moins compétitifs. Nous devons pouvoir rivaliser sur un pied d'égalité pour protéger nos emplois», souligne un interlocuteur.
Par ailleurs, l'Alliance du changement souhaite renforcer l'autonomie alimentaire en augmentant la production locale. L'objectif est de réduire la dépendance aux importations tout en stabilisant les prix. Toutefois, les PME du secteur agricole évoquent des défis liés aux coûts d'équipement et à la modernisation des infrastructures. «Il est difficile de produire localement sans soutien financier pour la mécanisation et la formation», indique Soudev, planteur, précisant que les producteurs locaux devront recevoir des aides pour faire face à la concurrence étrangère.
Le volet social du programme inclut également des mesures de gratuité, telles que le transport public et l'accès à Internet pour chaque famille. Bien que ces initiatives puissent alléger le budget des ménages, leur financement interroge les PME, qui craignent de futures hausses fiscales pour les entreprises. «Si l'État doit financer ces mesures, il est probable que la charge fiscale des entreprises augmente. Nous devons éviter des mesures qui freinent la compétitivité des PME locales», prévient Amrita. L'Alliance du changement a su répondre aux préoccupations des Mauriciens par des engagements significatifs. Cependant, l'adhésion des PME à ces réformes dépendra de l'équilibre entre le soutien aux consommateurs et la protection des PME locales.
Le privé souhaite une collaboration renforcée
Alors que le nouveau gouvernement mené par le Dr Navin Ramgoolam s'apprête à prendre les rênes du pays, les acteurs du secteur privé expriment leurs attentes vis-à-vis de cette transition politique. En effet, l'arrivée de nouvelles orientations suscite des espoirs de partenariats solides avec l'État pour répondre aux défis économiques, sociaux et environnementaux que traverse Maurice. Les chefs d'entreprise et les organisations économiques saluent le bon déroulement du processus électoral, en espérant voir un climat de collaboration renforcé.
Daniel Essoo, directeur général de la Mauritius Bankers Association (MBA), souligne l'importance de cette transition pacifique pour la continuité des affaires et la stabilité économique. «Nous notons avec satisfaction le bon déroulement du processus électoral et le bon fonctionnement des institutions de l'État - Maurice perpétue une longue tradition démocratique de transition dans la paix et l'harmonie. Nous félicitons le Dr Navin Ramgoolam et les membres de son alliance pour leur élection à l'Assemblée nationale.» Il réaffirme l'engagement de la MBA à travailler avec les autorités pour soutenir le développement du secteur bancaire, secteur essentiel pour la résilience économique du pays. «La mission de la MBA est d'oeuvrer de concert avec les autorités pour le développement du secteur bancaire et nous nous réjouissons de collaborer avec le nouveau gouvernement sur les enjeux sectoriels», ajoute-t-il.
Business Mauritius, organe représentant le secteur privé dans son ensemble, souligne la nécessité d'une forte collaboration publique-privée pour adresser les priorités nationales. Son président, Anil Currimjee, insiste sur l'importance de cette coopération pour garantir un développement inclusif et respectueux de l'environnement.
«Nous saluons la population et la classe politique dans son ensemble pour le bon déroulement des élections générales. Le processus électoral est central à la démocratie, et les institutions clés, notamment la commission électorale, la force policière et les fonctionnaires, ont fait preuve d'une conduite exemplaire durant ce scrutin national.» Selon lui, un dialogue ouvert et proactif avec les autorités est essentiel pour répondre aux défis majeurs du pays. «Une forte collaboration publique-privée ainsi qu'avec la société civile autour des priorités nationales sur les enjeux socio-économiques et environnementaux est essentielle afin d'assurer le développement durable et inclusif de notre pays. Nous espérons pouvoir engager ces discussions avec le nouveau gouvernement au plus tôt», souligne-t-il.
Les tensions passées avec le ministère des finances
Au-delà des attentes globales du secteur privé, certains domaines spécifiques, comme la distribution, espèrent des mesures immédiates face aux défis économiques. Alain Saverettiar, directeur général de King Savers, exprime son soutien à une baisse de la TVA sur certaines commodités, mesure qui soulagerait directement les consommateurs affectés par les hausses de prix. «Cela serait un réel soulagement pour les consommateurs, qui ont souffert de l'augmentation des prix», explique-t-il. Cette suggestion de réduction fiscale résonne particulièrement alors que le pays fait face à des pressions inflationnistes, influencées par des facteurs externes et locaux.
Sous le mandat précédent, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, avait adressé un avertissement clair au secteur privé sur les augmentations de prix. Il avait exprimé son mécontentement face aux entreprises qui, selon lui, profitaient de la conjoncture pour accroître leurs marges à quelques jours des élections. Dans un ton direct, il avait lancé : «Nou pa pou les personn vinn met an danger nou larmoni sosial», rappelant que le gouvernement avait pris des mesures pour préserver l'emploi lors de la crise du Covid-19.
Avec l'arrivée imminente du nouveau gouvernement, les attentes sont élevées du côté du secteur privé pour un dialogue plus apaisé et constructif. Dans un contexte marqué par une économie en pleine transformation, le secteur privé espère une approche concertée pour résoudre les enjeux critiques, de la maîtrise des prix à la mise en oeuvre de politiques économiques pour faciliter les investissements et l'innovation. En effet, une collaboration solide entre les secteurs public et privé pourrait non seulement renforcer la résilience de l'économie mauricienne, mais aussi soutenir un avenir plus équitable et durable pour tous les Mauriciens.