Burkina Faso: Continuité/discontinuité de la planification familiale - « Six mois après le début de l'utilisation des méthodes, un tiers des femmes (33,5%) au Burkina Faso avaient déjà arrêté leur utilisation », Pr Tiéba Millogo.

14 Novembre 2024
interview

Dans le cadre de l'agenda recherche de l'UCPO l'institut Africain de Santé Publique (IASP) a été sélectionné parmi tant d'autres institutions de la sous-région à l'occasion d'un appel à projets compétitif, pour mettre en œuvre une recherche sur la continuité/discontinuité de la planification familiale chez les femmes en Afrique de l'Ouest. Pr Tiéba Millogo, Professeur Agrégé en épidémiologie à l'institut Africain de Santé Publique (IASP) basé à Ouagadougou, l'investigateur principal du projet de recherche "Continuer" nous parle des objectifs, résultats et recommandation de la recherche.

Quels les pays qui ont été concernés par cette recherche

Nous mettons en oeuvre cette recherche dans trois pays à savoir le Burkina Faso, la Côte d'ivoire et la Guinée. En tant qu'institution lead nous collaborons avec deux autres institutions dans ces pays à savoir l'Institut National de Santé Publique de Côte d'Ivoire à travers la CRESAR-CI et la Cellule de Recherche en Santé de la Reproduction de la Guinée.

Comment définissez la continuitéet la discontinuité dans le cadre de votre recherche?

Dans la cadre de notre recherche nous avons défini la discontinuité comme étant tout arrêt intentionnel ou non de l'utilisation de sa méthode contraceptive par une utilisatrice, et qui a été suffisant pour entrainer la perte du bénéfice de protection contre les grossesses non désirées attendu de l'utilisation de cette méthode. Il faut préciser que nous avons considéré uniquement les femmes qui ne souhaitaient pas tomber enceinte dans un futur proche. La discontinuité est un des problèmes majeurs dans l'utilisation des méthodes qui compromet l'efficacité des programmes de planification familiale.

Quels sont les objectifs visés par cette recherche ?

Les objectifs de notre recherche étaient de mesurer la fréquence de la discontinuité et d'identifier les facteurs qui expliquent sa survenue dans les trois pays.

Pourriez-vous nous expliquer les principales conclusions de votre recherche concernant les défis que rencontrent les femmes et les jeunes filles dans la continuité de l'utilisation des produits contraceptifs au Burkina Faso, en Côte d'Ivoire et en Guinée ?

Nos résultats ont confirmé que la discontinuité de l'utilisation est un phénomène très fréquent. Six mois après le début de l'utilisation des méthodes, un tiers des femmes (33,5%) au Burkina Faso avaient déjà arrêté leur utilisation. En Côte d'Ivoire et en Guinée c'est environ un quart des femmes qui avaient arrêté dans le même délai.

Les raisons évoquées par les femmes pour expliquer cette discontinuité sont essentiellement les effets secondaires des produits contraceptifs, l'oubli de la prise du produit ou de la date de rendez-vous pour les réinjections, l'opposition de l'entourage (conjoint, parents, belle-famille), les ruptures des produits dans les formations sanitaires, les voyages ou déplacements de la femme hors de l'aire sanitaire de sa formation sanitaire habituelle etc.

Nous avons montré que les femmes qui utilisent les méthodes appelées méthodes à longue durée d'action (implants et dispositif intra-utérin) discontinuent moins par rapport à celles qui utilisent les méthodes dites à courte durée d'action comme les injectables. De même les femmes qui ont été rassurés par rapport aux effets secondaires, celles qui ont été bien informé sur les méthodes contraceptives et celles qui ont un nombre élevé d'enfants discontinuent moins.

Quels obstacles culturels et socio-économiques avez-vous observés dans chaque pays, et comment influencent-ils la régularité de l'utilisation des contraceptifs ?

Notre recherche a montré que les opinions défavorables à la planification familiale restent répandues dans la communauté, venant surtout des leaders communautaires comme les responsables religieux et certains détenteurs d'enjeux comme les belles mères. Les femmes vivant dans un tel contexte ne bénéficient pas toujours du soutien de leur entourage et doivent parfois se cacher pour utiliser les méthodes contraceptives.

Pour les jeunes filles non mariées, l'utilisation des méthodes contraceptives est perçu comme la preuve de l'existence d'une vie sexuelle hors mariage, toute chose qui est reprouvée d'où les qualificatifs parfois de perversion, dépravation des moeurs etc. Même pour les femmes en union, les mentalités largement pro natalité de notre société constituent un frein à l'utilisation continue des méthodes. Enfin la mauvaise qualité des services dans les formations sanitaires découragent aussi bon nombre d'utilisatrices des méthodes.

Quelles actions concrètes recommanderiez-vous aux gouvernements et aux organisations de santé pour améliorer l'accès et la continuité des méthodes contraceptives pour les jeunes filles et les femmes ?

Au regard des résultats que nous avons déjà obtenus (je rappelle que notre recherche se poursuit), nous recommandons: d'accorder une place importante à la question de la discontinuité de l'utilisation des méthodes dans les différents programmes de PF dans nos pays en reconnaissant qu'il s'agit là d'un des problèmes prioritaires; d'améliorer la qualité des services de PF, en préparant les femmes à faire face aux effets secondaires et en les aidant à les gérer efficacement quand ils surviennent; de mettre en place des stratégies spécifiques d'implication des conjoints et l'entourage des femmes pour un changement social et de comportement en faveur de la PF, d'améliorer la disponibilité des méthodes contraceptives (diversification des méthodes et disponibilité dans le temps) dans les formations sanitaires; de travailler à lever les barrières financières à l'utilisation dans les pays où le paiement direct demeure comme la Guinée.

Comment les perceptions sociales des contraceptifs ont-elles évolué dans les trois pays, et en quoi ces perceptions influencent-elles l'adhésion continue des femmes aux méthodes contraceptives ?

Les perceptions sur les méthodes contraceptives restent très contrastées. Si les opinions des femmes appelées à utiliser les méthodes sont majoritairement favorables aux contraceptifs du fait de la conscience qu'elles ont des conséquences néfastes des grossesses non désirées sur leur état de santé, leur épanouissement social et économique et même leur survie, il reste que dans les perceptions défavorables sont encore répandues dans la communauté.

Ces perceptions défavorables viennent assez souvent de personnes influentes, qui dans nos sociétés ont parfois le dernier mot en terme de décision (autorités morales). Dans ces conditions certaines femmes intéressées par la PF n'arrivent pas à se défaire de la pression sociale pour utiliser les méthodes et certaines qui arrivent à initier l'utilisation doivent abandonner assez rapidement pendant que le besoin persiste.

Quels types de soutien ou de sensibilisation seraient nécessaires au niveau communautaire pour encourager une utilisation continue des contraceptifs par les jeunes filles et les femmes ?

Les femmes ont besoin de se sentir soutenues par leur entourage, notamment le conjoint ou le partenaire pour une utilisation assidue de la méthode. Pour y arriver il est important que la place des méthodes contraceptives dans la santé reproductive des femmes soient mieux comprise et acceptée par les hommes et les détenteurs d'enjeux dans la communauté.

Les efforts d'implication de tous ses acteurs doivent se poursuivre en rassurant tout le monde que la raison d'être des méthodes contraceptives est de soutenir les femmes et les couples dans leurs décisions et choix en matière de vie reproductive et non de leur imposer une conduite particulière. La planification familiale est une des stratégies phares dans la lutte contre la mortalité maternelle et infantile et il est important que l'éducation des parties prenantes se poursuit sur cette base, qui demeure la première raison d'être de la PF.

En quoi les résultats de cette recherche peuvent-ils guider des stratégies durables en matière de planification familiale, et comment envisagez-vous leur application dans les trois contextes nationaux ?

Notre recherche est conduite en collaboration avec les ministères de la santé des trois pays à travers leurs directions en charge de la santé de la mère et de l'enfant. La question de recherche elle-même émane des décideurs qui ont identifié cette question parmi leurs priorités et voulaient savoir ce qui se passe un peu plus précisément en la matière.

Il existe donc déjà un canal pour la mise en oeuvre des recommandations que nous formulons. Nous avons prévu l'élaboration de feuilles de routes et la co-création avec les décideurs de stratégies à la suite de la recherche pour améliorer la question de la discontinuité des méthodes. Nous sommes donc dans une approche différente de ce qu'on voit habituellement, c'est-à-dire des chercheurs évoluant pratiquement en vase clos et dont les résultats peuvent restés longtemps méconnus des décideurs. Ici les décideurs ont été préparés et programmés pour l'utilisation des résultats.

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