Douala — « Dans certains hôpitaux, au moins 25% des médicaments et données sont périmés », affirme Steve Deffo, conseiller médical pour le compte de Sanofi Opella chez Ethica, une agence qui représente plusieurs laboratoires pharmaceutiques en Afrique.
Ce dernier s'exprimait ainsi lors de la 3e assemblée générale thématique de l'association de distribution pharmaceutique africaine (ADPA) qui vient de se tenir à Douala au Cameroun, sous le thème : « Disponibilité et amélioration de la qualité de l'accès aux médicaments de qualité pour les populations africaines ».
Ces informations, il les tient de la période où il exerçait sa spécialité de chirurgien dans une formation hospitalière de la ville de Douala. Steve Deffo explique que « à la fin de l'année, on se retrouvait, après inventaire, avec soit plus de médicaments, soit une rupture de stock de médicaments ».
"Le véritable problème, ce sont les routes. La preuve, vous voyez qu'il n'y a pas de pharmacies à l'intérieur des quartiers de nos villes. C'est parce qu'il n'y a pas de route. Et parfois, ce sont les embouteillages qui font à ce que les produits n'arrivent pas à temps en zones rurales"Franck Nana, Ordre des pharmaciens du Cameroun
Après quelques investigations, l'administration de l'hôpital s'était alors rendu compte de ce que les informations contenues dans sa base de données étaient inexactes. Entrainant ainsi un fossé entre la demande et la commande de médicaments.
« On aurait évité ces gaspillages de médicaments si on avait au préalable travaillé sur notre base de données pour connaître quelles maladies font objet de plus de consultations selon qu'on est en période chaude ou en période froide », confie Steve Deffo à SciDev.Net.
Un témoignage qui illustre bien les problèmes d'accès aux médicaments en Afrique. Paradoxalement, pendant que des médicaments périssent dans certains hôpitaux en zones urbaines, des populations des zones rurales meurent à cause de l'indisponibilité et de la mauvaise qualité des médicaments qui arrivent chez elles.
Sur l'indisponibilité des médicaments dans l'arrière-pays, le ministre de la Santé publique du Cameroun, Manaouda Malachie affirme que « les inégalités d'accès aux médicaments entre les centres urbains et les zones rurales sont encore plus marquées dans nos pays ».
Pour Ibrahima Kouyate, directeur général de La nouvelle pharmacie de santé publique en Côte d'Ivoire, la faute revient aux agents d'exécution publics qui ont pour mission de répartir sur l'ensemble du territoire les médicaments essentiels définis par l'Etat, qui sont censés couvrir 80% des maladies. Il est « inadmissible », selon lui, que dans des coins reculés, il n'y ait pas de pharmacies encore moins d'officines pour rapprocher les médicaments des populations.
Réseau routier
Effectivement « il n'y a presque pas de pharmacies dans les zones rurales », corrobore Franck Nana, président de l'Ordre des pharmaciens du Cameroun. Il ajoute que l'un des problèmes qui entravent l'accès aux médicaments dans les zones rurales, c'est le mauvais état du réseau routier.
« Le véritable fléau, ce sont les routes. La preuve, vous voyez qu'il n'y a pas de pharmacies à l'intérieur des quartiers de nos villes. C'est parce qu'il n'y a pas de route. Et parfois, ce sont les embouteillages qui font à ce que les produits n'arrivent pas à temps en zones rurales », explique-t-il.
Sur la mauvaise qualité de certains médicaments qu'on retrouve en milieu rural, les représentants des laboratoires à cette réflexion de Douala, soutiennent que ce sont les distributeurs qui n'appliquent pas les bonnes pratiques de distribution.
A les en croire, pour préserver la bonne qualité du médicament pendant la distribution, il faut qu'il soit conservé dans des réfrigérateurs à bonne température. Une exigence que certains distributeurs n'appliquent pas, altérant ainsi l'efficacité du produit.
« Il y a des médicaments que j'ai souvent reçus avec un emballage complètement dégradé. Cela résulte de la non application des bonnes pratiques de distributions », illustre Steve Deffo.
En face, les distributeurs se défendent en relevant qu'il n'est écrit nulle part dans leurs engagements qu'ils doivent transporter des médicaments dans les frigidaires par exemple.
« Quand vous prenez les bonnes pratiques de distribution, il n'est pas écrit dans l'article qui porte sur la distribution, qu'il faut livrer les médicaments dans un bus réfrigéré ou qu'il faut y mettre un thermomètre. L'article relatif au thermomètre ne parle que du lieu de stockage. Mais aujourd'hui les laboratoires veulent nous imposer ça alors que cela n'a rien à voir avec les règles fixées au départ », affirme Dayane Amadou, directeur général du Groupement d'achats des pharmaciens d'officine du Benin, interrogé par SciDev.Net.
Solutions
Sur les possibles solutions, Jules Charles Kebe de l'APDA et par ailleurs directeur de Duopharm au Sénégal, prêche pour un partenariat public-privé solide basé sur des textes clairs. De son point de vue, c'est le seul moyen de garantir que les médicaments et consommables médicaux soient disponibles au kilomètre près.
Par ailleurs, de bonnes bases statistiques permettraient d'éviter des surstockages et aideraient à avoir une bonne répartition des médicaments.
De plus, face aux embouteillages et à l'absence de routes praticables, Franck Nana penche pour la distribution de nuit et l'utilisation des moyens technologiques comme des drones pour la distribution des médicaments.
« A Douala par exemple, pour faire une livraison dans un quartier périphérique en partant du centre de nos villes, le livreur peut facilement faire cinq heures de route à cause des embouteillages. Alors que la nuit quand le trafic est moins dense, il en a à peine pour 30 minutes », dit-il.
Pour sa part, Manaouda Malachie propose la mise en place d'une chaine d'approvisionnement « robuste, transparente et efficace » qui serait un « pilier fondamental » dans l'amélioration des systèmes de santé en Afrique. Car dit-il, « l'accès à des médicaments de qualité n'est pas un privilège, mais un droit pour tous ».