Algérie: Rachid Mekhloufi, le footballeur de l'indépendance algérienne

analyse

Rachid Mekhloufi, ancien attaquant de la belle époque de l'AS Saint-Etienne, décédé le 8 novembre 2024 à l'âge de 88 ans, fut l'un des meilleurs joueurs de l'histoire de ce club de l'élite du football français.

Mekhloufi fut également une figure centrale du football algérien, pour avoir été , pour avoir l'un des créateurs de l'équipe du Front de libération nationale (FLN), qui a mené la guerre d'indépendance de l'Algérie. Il a inscrit 43 buts en 40 sélections avec l'équipe du FLN de l'Algérie.

En tant que chercheur, j'ai étudié les migrations sportives internationales et la régulation du marché des sportifs professionnels à travers les carrières sportives et trajectoires biographiques de footballeurs professionnels (en contexte colonial et postcolonial) en France. J'ai eu le privilège d'interviewer Mekhloufi dans le cadre de ma thèse de doctorat transformée en ouvrage. Cet article s'appuie sur un long entretien biographique qu'il m'a accordé.

Mekhloufi revient sur son premier contact avec l'Equipe du FLN.

L'aîné a toujours raison. Alors le FLN envoie un gars de Sétif. C'est Arribi, mon idole. Il vient avec Kermali et me dit sur la place de l'Hôtel de Ville que nous devons rejoindre Tunis. C'est la veille du match Saint-Étienne-Béziers du 13 avril 1958. Il faut réveiller la France.

Rachid Mekhloufi naît le 12 août 1936 et grandit à la Cité Bon Marché de Sétif, en Algérie. Il est le benjamin d'une fratrie de huit enfants. Après avoir exercé à Alger et Tenès, son père est un petit fonctionnaire de la police sétifienne qui finit sa carrière au grade d'inspecteur. Dans ce foyer modeste, on parle arabe et parfois français. Les loisirs sont rares, le petit Rachid découvre le football dans la rue, au désespoir de son père : « Ce qui l'intéresse, c'est que je fasse des études », se souvient-il.

Diplômé de l'école indigène, certificat d'études en poche, il rentre en formation au cabinet du dentiste Kanappa à Sétif. Ce qui lui plaît surtout, c'est de retrouver ses équipiers de l'USM Sétif avec qui il remporte en cadets le championnat d'Algérie en 1952 au sein d'une équipe encadrée par l'éducateur Ali Benaouda.

Ses buts en équipe senior ne laissent pas insensibles les recruteurs métropolitains. Convoité par Toulouse, il tente finalement l'aventure professionnelle à Saint-Étienne. Le billet d'avion Alger-Lyon est plus facilement obtenu que l'accord parental. En août 1954, neuf ans après les massacres de Sétif du 8 mai 1945, l'Algérie sent encore la poudre. Il raconte que « c'est devenu infernal. Les Français d'Algérie nous agressent en permanence. » À Sétif, il se sent à l'écart de la vie.

Nouvelle dignité

Trois jours après son arrivée, son essai est concluant. Il laisse des traces : une victoire six buts à zéro contre Grenoble. La rencontre avec son entraîneur Jean Snella est déterminante. Ses conseils, protecteurs et paternalistes, le suivront tout au long de sa carrière. L'accueil qui lui est réservé le surprend, la diversité des populations qui l'entoure aussi. Une nouvelle dignité lui est accordée :

Les gens ne me ressemblent pas. Même s'il y avait quelques fachos, ils sont aussi d'une gentillesse extraordinaire par rapport à nos Français d'Algérie. Ils sont polis et m'appellent « Monsieur », ce qui n'arrive jamais en Algérie. Cette France est décontractée et fraternelle.

Il signe un contrat de stagiaire-professionnel et passe quinze jours à l'hôtel puis dans un appartement mis à disposition par le club. À dix-huit ans, il connaît la solitude mais jamais l'isolement. L'USM Sétif ayant tardé à transmettre sa lettre de sortie, il est titularisé pour la première fois le 10 octobre 1954 à Nice, trois jours après le match France-Afrique du Nord.

Ayant inscrit au poste d'inter gauche plus de 30 buts en deux saisons, il est d'abord convoqué en "quipe de France B puis intègre le Bataillon de Joinville, l'équipe de France militaire. Dès 1956, il porte à quatre reprises le maillot tricolore mais c'est avec la formation nationale militaire qu'il brille A River Plate (Argentine), le 14 juillet 1957, il devient champion du monde face à l'Argentine auprès de Lucien Cossou, Yvon Douis et Maryan Wisniewski.

Déserteur de l'armée française

Cette année-là, il ramenait déjà le titre national à Saint-Étienne. Il est vivement pressenti avec Mustapha Zitouni de l'AS Monaco pour participer à la Coupe du monde en Suède, en 1958. Mais tout s'accélère pour ce futur déserteur de l'armée française qui réside à Saint-Étienne dans l'annonciatrice rue de la Résistance. Bien qu'il reconnaisse plus tard qu'il ne soit pas à cette époque « politiquement dans le coup », il est contacté par deux footballeurs sétifiens pour former l'équipe du FLN de l'Algérie. Les premiers départs sont prévus le dimanche 13 avril après les matchs Monaco-Angers et Saint-Étienne-Béziers. La grande évasion démarre.

Les footballeurs rejoignent Tunis en deux groupes. Le premier, composé des footballeurs monégasques. Le second groupe est composé de Mokhtar Arribi, Hamid Bouchouk, Hamid Kermali et Rachid Mekhloufi.

Il passe la frontière seulement le 14 avril dans la matinée. En effet, au cours du match Saint-Étienne-Béziers de la veille, Mekhloufi, blessé et suturé à la tête dans le choc avec son équipier camerounais Eugène N'Jo Léa, est hospitalisé une nuit. Ils ont tous les quatre rendez-vous à Lausanne avec Mohamed Boumezrag, et Saïd Brahimi, arrivés par leurs propres moyens, pour ensuite gagner la capitale tunisienne après une escale romaine.

Une nouvelle aventure

Dès le mois d'avril 1958, quatre années de clandestinité s'ouvrent sur une expérience sportive et politique majeure. Sa maturité en sort grandie. Il explique être devenu :

Un homme différent. Je ne suis plus un chien fou. Je change. Je dirige l'équipe. Je peux marquer et faire marquer. Les joueurs du FLN (...) m'apprennent à améliorer mon football, mon style. Ils me donnent aussi une conscience politique améliorée par mes rencontres avec Hô Chi Minh et le Général (Nguyen Vo) Giap. Avec les milliards que j'aurais peut-être gagné en restant professionnel, je n'aurais pas acquis tout cela. Je remercie la révolution algérienne.

En 1958, les premiers joueurs de cette équipe se réunissent autour du puissant clan des Sétifiens La supériorité des dix joueurs historiques de l'équipe du FLN ne sera jamais contestée, à l'exception des frères Soukhane (Mohamed et Abderrahmane) puis d'Abderrahmane Defnoun.).

Notoriété grandissante

Après les Accords d'Évian du 18 mars 1962.) qui instaurent un cessez-le-feu applicable sur tout le territoire algérien, ce symbole de la révolution algérienne reprend sa carrière professionnelle au Servette de Genève entraîné par Jean Snella. Habitué au haut niveau européen, il ne peut se résoudre à disputer les compétitions amateures de l'Algérie indépendante. En décembre 1962, alors que son club stéphanois est bien positionné pour remonter en première division, il est rappelé en renfort. Il se confie :

Mon premier match se fait contre Limoges le 9 décembre 1962. C'est un petit miracle. D'habitude, à Saint-Étienne, il y a 10 000 supporters en deuxième division. Ce jour-là, il y en a le double. Ils sont venus voir Rachid le footballeur. Je suis persuadé que les personnes qui menacent le président Rocher au téléphone sont dans les parages. On entame le match. Quand je rentre sur le terrain, il y a un silence impressionnant. Dès mon premier ballon, je réussis un geste technique difficile. Tout de suite, le public m'encourage. La majorité du peuple français comprend notre attitude puisqu'elle aussi a fait fuir les Allemands avec des maquisards.

Après l'appréhension, c'est l'ovation. Son retour est un succès : plus affûté, il inscrit quatorze buts en vingt matchs. Sa notoriété grandit, l'épopée continue. Son histoire marque celle du championnat de France des années 1960. Les distinctions personnelles s'accumulent comme l'Étoile d'Or France-football du meilleur joueur du Championnat de France en 1964, 1966 et 1967. Les titres s'enchaînent avec Saint-Etienne sous la direction de Jean Snella dès 1963.

Il est champion de France en 1964, 1967 et 1968, année du sacre en Coupe et de sa dernière sélection auprès des Fennecs d'Algérie. Meilleur buteur de l'histoire du club, il quitte l'AS Saint-Étienne avec son épouse tunisienne Kmar pour évoluer au SC Bastia de 1968 à 1970.

À 34 ans, le coeur en vert, il raccroche les crampons pour servir les équipes nationales algériennes civile et militaire dans les années 1970. Il remporte à Alger les Jeux Méditerranéens en 1975 et les Jeux Africains en 1978.

En 1979, à la surprise générale, il démissionne de ses fonctions et entraîne Riyadh en Arabie Saoudite puis l'AS Marsa en Tunisie la saison suivante. En mars 1982, il est nommé directeur technique d'El Khadra confiée à Mahieddine Khalef. Il rejoint ensuite l'encadrement du FC Mulhouse en 1982 avant une courte expérience de président de la Fédération algérienne de football (FAF) en 1988.

Malgré ses projets, il n'est pas élu à la tête de la Confédération africaine de football en 2000 ni à celle de la FAF en 2002. Entre sa retraite à La Marsa et ses voyages à Alger et Paris où résident ses enfants, il reste proche du pouvoir et porte toujours un avis critique sur l'évolution du football algérien dont il est un inestimable ambassadeur.

Stanislas Frenkiel, enseignant-chercheur, Université d'Artois

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