Afrique: 17 novembre 1874 - Henry Morton Stanley à la conquête du «Continent ténébreux»

Il fut le plus célèbre explorateur du XIXe siècle. Né au pays de Galles, il prit part à la guerre civile étasunienne et aux guerres indiennes, offrit à Léopold II roi des Belges un gigantesque empire personnel, devint Lord cinq ans avant sa mort, survenue en 1904. Trente ans plus tôt, il se lançait dans une première exploration démesurée, menée avec un esprit de conquête : ce qu'il fit alors et le profit qu'il en tira annonçaient « le partage de l'Afrique » durant la décennie suivante.

Son acte de naissance est impitoyable : « John Rowlands, bâtard ». Né de père inconnu, il est très vite confié par sa mère à d'autres membres de la famille qui se débarrassent de lui en l'abandonnant à 6 ans dans une « maison de travail ». Si les mauvais traitements y sont quotidiens, il y reçoit une éducation satisfaisante. Il témoigne très tôt d'une passion pour la géographie et deux ans après s'être enfui de cet univers carcéral, il s'embarque pour La Nouvelle-Orléans.

Durant ce voyage, il rencontre un cotonnier aisé, Henry Hope Stanley, par qui il prétendra plus tard avoir été adopté. C'est le premier d'une longue série de mensonges et d'assertions invérifiables qu'il ajoute à ses aventures, qui n'ont pourtant rien de commun. Dans les faits, si le lien se défait assez vite, John Rowlands reprend le nom de son protecteur, et se fait désormais appeler Henry Stanley. Il ajoutera plus tard un second prénom : Morton.

Soldat, journaliste, explorateur

La guerre de Sécession éclate en 1861 et il s'engage dans l'armée confédérée. Fait prisonnier, il accepte de passer à l'ennemi pour échapper au typhus qui ravage le camp. Réformé pour maladie, il sert comme écrivain de bord dans la marine marchande, puis s'engage cette fois dans l'US Navy, déserte pour partir vers l'ouest où il prend part aux guerres indiennes. À l'issue du conflit, il collabore avec le prestigieux New York Herald pour lequel il couvre les troubles en Abyssinie et une guerre en Espagne.

En 1869, le directeur du journal lui confie une mission, retrouver le pasteur Livingstone parti chercher les sources du Nil, dont on est sans nouvelles depuis 1866. En janvier 1871, il quitte Zanzibar à la tête d'une véritable expédition et retrouve Livingstone, en très mauvaise posture au bord du lac Tanganyika. La phrase qu'il s'attribue alors, « Doctor Livingstone, I presume », censée présenter ce moment comme un échange entre gentlemen anglais, ce qu'il n'est assurément pas, est une autre de ses inventions.

Livingstone, antiesclavagiste et humaniste profond, diffère profondément de celui qui se présente comme son sauveur. Ce dernier ne plaît guère à la reine Victoria qui le reçoit à son arrivée en Angleterre pour saluer son exploit. Il sera malgré tout de ceux qui porteront le cercueil de Livingstone deux ans plus tard lors de funérailles grandioses à l'abbaye de Westminster. Le livre de Stanley, À la recherche de Livingstone, publié l'année précédente, aura fini de changer son prédécesseur en un parfait héros victorien.

Une expédition sanguinaire

Il tente d'ailleurs de renouveler l'exploit d'une traversée de continent, réalisée par son modèle dix-huit ans plus tôt. Il la fera d'est en ouest, en partant de nouveau de Zanzibar, le 17 novembre 1874. Pour l'occasion, le Daily Telegraph s'est joint au New York Herald pour financer une expédition coûteuse, incluant une embarcation démontable et plus de 230 porteurs et soldats. Ils dépasseront bientôt les trois cent cinquante. Trois autres Blancs prennent part à cette expédition. Aucun n'y survivra.

L'entreprise, qui s'étire sur 900 jours et près de 12 000 kilomètres, est d'une ambition folle et d'une violence inouïe. « C'est le pire ennemi que notre pays ait rencontré », se souviendra le chef Mojimba qui avait préparé un grand accueil à ses visiteurs inconnus. Il décrira l'arrivée de Stanley dans un déluge de feu, laissant derrière lui un village pillé et quantité de cadavres.

Parvenu à Kasongo, dans l'actuelle République du Congo, Stanley s'acoquine avec un marchand d'esclaves, qui accepte un temps de l'accompagner. Sa troupe a grossi, dépassant désormais 400 hommes, puis est de nouveau réduite à 150 lorsqu'il s'agit de descendre une partie du fleuve Congo sur 23 embarcations. Des compagnons noirs impliqués dans cette exploration, dont le décompte exact est comme souvent impossible, seuls 115 survivront.

Le précurseur des ténèbres

En 1878, Stanley publie le récit de son expédition, intitulé Through the Dark Continent, lequel obtient un immense succès. Avec lui se développe l'imaginaire d'une Afrique centrale sauvage et hostile, plongée dans les ténèbres. Cette année-là, il rencontre aussi le roi des Belges Léopold II, pour lequel il va créer la plus grande propriété privée de l'histoire humaine.

Jusqu'en 1908, le souverain aux pouvoirs restreints dans cette petite monarchie constitutionnelle n'aura aucun compte à rendre sur ses possessions dont l'étendue est 80 fois supérieure à celle de son royaume. Des aventuriers venus de l'Europe entière viendront en piller les richesses avec un cortège d'atrocités, qui mobilisera des intellectuels de renom comme Arthur Conan Doyle et Mark Twain et déclenchera une commission d'enquête.

Épouvanté par ce qu'il y verra, Joseph Conrad écrira le roman Heart of Darkness (Au coeur des ténèbres). Il y décrit le destin d'un directeur de comptoir, Kurz, posté entre fleuve et forêt, changé en despote meurtrier. Les ténèbres qu'il évoque, reprenant à son compte à la fois les récits de Stanley et son vocabulaire, sont celles de l'âme humaine avilie par l'esprit de conquête, d'asservissement et d'exploitation. Des millions de Congolais paieront cette folie de leur vie.

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