La bande dessinée africaine est aujourd'hui en plein essor, portée par une nouvelle génération d'auteurs qui réinventent le genre en y insufflant leurs propres perspectives culturelles. Cette émergence, mise en lumière lors d'un récent forum culturel à l'Institut français, révèle un mouvement artistique en pleine effervescence.
Les créateurs africains s'attachent à raconter leurs propres histoires, s'éloignant des narratifs imposés de l'extérieur. Au Rwanda, Dominique Uwase Alonga, avec sa maison d'édition Imagine We Rwanda, développe des récits positifs qui dépassent les traumatismes historiques. « Quand on a commencé, tout ce qu'on racontait au Rwanda, c'était le génocide, confie-t-elle. Notre travail en tant que maison d'édition, c'est d'apprendre aux autres qu'ils peuvent percer, ils peuvent chercher une histoire qui vient d'eux. »
Le personnage de la première bande dessinée (BD) qu'elle a publiée incarne cette approche : « Elle s'appelle Simbi, c'est une jeune fille issue d'une famille pauvre, qui cherche des solutions. Elle a créé une machine qui aidait sa famille qui était fermier à broyer le maïs, et ça a aidé tout le village. Ça, c'est un truc vraiment africain, qui montre qu'on n'a pas besoin d'attendre Elon Musk, on peut trouver de petites choses par soi-même. »
La BD comme outil d'engagement social
Au Cameroun, Yannick Debou Sikoue a grandi avec les fumetti italiens avant de découvrir sa vocation : « J'ai découvert Hakim, Zemla, Blake le rock, je lisais ces BD et je me rappelle que Zemla avait un personnage qui était un fait-valoir qui s'appelait Zezé. C'était le seul personnage noir qui zézayait quand il parlait, c'était le seul qui me ressemblait. » Cette prise de conscience l'a poussé à lancer le festival international de la BD au Cameroun MBOA pour former et promouvoir les auteurs africains.
Longtemps dominée par des récits euro centrés, la BD s'ouvre aux histoires africaines authentiques, inspirées par le succès planétaire de films comme le blockbuster Black Panther. « Il y a quelques temps encore, on était influencé par le manga. J'ai beaucoup aimé les comics, ça a été une grosse source d'inspiration pour moi, confie l'auteur camerounais Georges Pondy. Mais aujourd'hui, lorsque je travaille, je ne pense plus trop à cette influence de comics, je ne pense pas au manga. Je pense africain, je pense camerounais. Donc lorsque j'écris mes personnages, lorsque je crée mon histoire, il faut qu'elle soit d'ici chez moi. Il faut que les gens qui lisent cette histoire-là puissent se reconnaître dedans. »
Il y a quelques temps encore, on était influencé par le manga. J'ai beaucoup aimé les comics, ça a été une grosse source d'inspiration pour moi. Mais aujourd'hui, lorsque je travaille, je ne pense plus trop à cette influence de comics.
Christina Okello Au Kenya, Thayu bouscule les codes avec des oeuvres engagées sur des sujets sensibles. « Mon travail m'a déjà attiré des ennuis, explique-t-elle. Même cette année, j'ai créé certaines oeuvres et, pendant que je les créais, mon équipe n'arrêtait pas de me dire que je devais obtenir un billet pour quitter le pays dès la publication de ces oeuvres. » Son initiative Creatives Garage a fait passer la représentation féminine dans le secteur de 20% à 60%.
Un secteur prometteur face à ses défis
Le parcours de Bill Masuku au Zimbabwe illustre les obstacles que rencontrent les créateurs : « Mon père brûlait tous mes dessins et il détestait tout ce qui avait trait à l'art. Je n'avais pas le droit de faire de l'art à l'école. Au fond, il s'inquiétait pour moi et se demandait si je serais capable de vivre grâce à mes bandes dessinées le jour où il ne serait plus là. »
Malgré le succès de son oeuvre Razor Man, il pointe les défis structurels du secteur : « Au Zimbabwe, la BD n'est pas encore reconnue comme un art visuel ou littéraire, compliquant l'accès à des financements et à des ressources. » Le manque de données commerciales pose également problème : « S'il n'y a pas de chiffres qui indiquent que ce livre va avoir du succès, pourquoi un éditeur approcherait-il un artiste africain ? »
Une nouvelle ère culturelle
Thayu rappelle que la répression artistique a longtemps freiné le développement culturel : « Dans les années 1980 et 1990, si vous faisiez du théâtre et que le président n'était pas très satisfait de votre contenu, vous étiez interdit. Beaucoup de gens vendaient des billets pour les répétitions, mais pas pour la pièce elle-même. »
Pourtant, l'avenir s'annonce prometteur. Eva Nguyen Binh, présidente de l'Institut français, souligne : « Je pense qu'on n'a pas conscience encore totalement en France du gisement de talent qui est le continent africain », explique-t-elle, en marge du forum Creation Africa, un événement culturel réunissant des créateurs africains et français. « La BD parle à tous les publics, mais parle beaucoup au jeune public. C'est vraiment un médium par lequel on fait passer des choses très légères et aussi des choses très profondes. »
Parmi les figures de proue de la BD africaine au féminin, on retrouve la Nigériane Cassandra Mark, la Franco-Ivoirienne Marguerite Abouet, créatrice d'Aya de Yopougon, ou encore la Camerounaise Elyons, auteure de La Vie d'Ébène Duta. Le nombre d'illustratrices ne cesse de croître. Cédric Minlo, dessinateur camerounais et co-créateur de Android Night, met lui aussi en scène des personnages féminins forts : « On peut avoir des BD historiques, par exemple, on peut parler des personnages féminins qui ont influencé l'histoire. Donc la femme dans l'écriture de la BD, à mon avis, peut se retrouver si elle parle d'elle-même. »
On peut changer les choses, on peut changer la vision que déjà les femmes ont d'elles-mêmes.