Ile Maurice: 22 décembre 1995 - Irrésistible vague rouge et mauve

16 Novembre 2024

«Quand vague crazé, li pas contourne roche», faisait ressortir un dirigeant de l'alliance PTr/MMM à L'Express en début de semaine, relève l'express du 22 décembre 1995.

La proclamation des résultats des élections générales a confirmé une irrésistible vague rouge et mauve dans les 20 circonscriptions de l'île. La coïncidence a voulu que sir Anerood Jugnauth, qui a accédé au poste de Premier ministre en juin 1982 avec un score de 60/0, est forcé à quitter l'hôtel du gouvernement sur une défaite identique à Maurice.

L'Organisation du Peuple Rodriguais (OPR) a fait élire ses deux candidats, soit Benoît Jolicoeur et Serge Clair dans la 21e circonscription. L'écart entre les deux principaux blocs, notamment l'alliance PTr/MMM, dirigée par le Dr Navin Ramgoolam, et celle du Premier ministre sortant est de plus de 45 %. En moyenne, l'alliance PTr/MMM réalise un score national de 65,2 % contre 19,7 % au MSM/RMM.

Avec une performance de 81,9 % à Pamplemousses/Triolet (No 5), le Dr Ramgoolam devançait le chef de file de l'alliance MSM/RMM, le Dr Dinesh Ramjuttun de quelque 22 000 voix. Le score personnel de sir Anerood à Piton/ Rivière-du-Rempart (No 7) peut être considéré comme un des meilleurs pour les candidats de l'alliance MSM/ RMM.

Ambiance survoltée à la proclamation au No 5

C'est dans une ambiance survoltée que les résultats ont été proclamés dans la circonscription de Pamplemousses/Triolet (No 5) vers 19 heures hier. Lorsque le Returning Officer, M. Suresh Juggernauth, a déclaré officiellement élus les trois candidats de l'alliance PTr/MMM, ce fut une explosion de joie entrecoupée de pétarades et de cris de joie, relate l'express du 22 décembre 1995.

Le Dr Navin Ramgoolam, leader des rouge/mauve, a été élu en tête de liste avec 27 233 voix suivi de MM. Dev Ramnah avec 24 310 voix et Navin Soonarane, 23 523.

S'adressant à ses partisans massés dans la cour de l'école, le Dr Ramgoolam a dédié l'éclatante victoire de 60 - 0 à la population mauricienne. «Je serai un Premier ministre de toute la population. Tant ki ou pou là mo pas peur et tant ki mo pou la ou pas éna pou peur», a-t-il lancé Il a déclaré que le 21 décembre 1995 était un jour mémorable pour le pays. «Je salue ce peuple admirable qui a voté massivement pour un changement et a donné un nouvel espoir à ce pays», a-t-il indiqué en soulignant que «par ou vote ou pou faire revivre démocratie dans ça pays là».

Il devait préciser qu'il y a un lien d'amitié entre la circonscription de Pamplemousses/Triolet et la famille Ramgoolam. «Personne pas capave casse sa lien là», a-t-il dit.

«Nous avons une pensée spéciale pour Chacha Ramgoolam. Pamplemousses/Triolet est liée à la mémoire du Père de la Nation qui a donné la liberté à ce pays. C'est cette même circonscription qui vous offre aujourd'hui un autre Premier ministre», a-t-il souligné. Il devait rappeler la défaite du PTr en 1982 et a dit que «zordi c'est éne batte rendé».

«Ena ti pé dire moi mo ène lion empaillé, ena le zotte ti pe rode mette parti Travailliste dans la poubelle de l'histoire. Parti Travailliste représente 80% électorat dans Pamplemouses/Triolet. Mo fine reprend le flambeau du PTr», a-t-il indiqué.

«Malgré les attaques basses contre ma personne, le peuple a refusé d'écouter ces palabres en votant massivement pour l'alliance PTr/MMM. Cette victoire est la vôtre», devait-il déclarer. Le Dr Ramgoolam a dit que «mo le coeur batté pou zotte».*

Il a affirmé que le gouvernement allait durer. «Sa nouveau gouvemement là ena deux leaders historiques ki éna principe. Moi ek Paul Bérenger fine travaille ensemble et nous fine développe éne l'amitié ki pas facile pou casser. Nou nou pas là pou rode simin facile. Nou banne battant. Nous bizin tourne nou vers l'avenir et nou pou éna éne nouveau style de gouvernement».

Il a dit que sa première priorité est de reconstruire l'unité nationale. «Je suis un rassembleur et non un diviseur. Mo pou assume mo responsabilité. Nous pou gouverné ensemble. Mo pas oulé mettre éne barrière entre moi ek l'électorat», a-t-il souligné. «La police dire moi zotte pou donne moi deux motards mo fine dire zotte mo pas bizin», a-t-il lancé. «Ram fine sorti banuras (la forêt) après 14 ans et li fine prend pouvoir», a-t-il déclaré.

Le Dr Ramgoolam, accompagné des membres de sa famille et des partisans rouge/mauve, s'est rendu ensuite au samadhi de feu SSR pour se recueillir. Les partisans du PTr/MMM ont ensuite organisé un rallye monstre dans la circonscription No 5 jusqu'à fort tard dans la nuit.

Pour M. Dev Ramnah, l'alliance PTr/ MMM «ne trahira pas» l'espoir du peuple. «Nous serons à la hauteur de la confiance que vous avez placée en nous», a-t-il dit en remerciant l'électorat de Pamplemousses/Triolet pour les avoir plébiscités massivement.

M. Navin Soonarane estime que la victoire de l'alliance PTr/MMM symbolise l'unité nationale. «Alors que notre adversaire a utilisé un langage communal, nous au sein de l'alliance rouge/mauve nous avons toujours favorisé l'unité nationale. Zotte fine donne éne nouveau Premier ministre. Nous remercié zotte pou zotte soutien», a-t-il dit.

Par ailleurs, dans une déclaration à L'Express, le Dr Dinesh Ramjuttun a indiqué avoir toujours dit qu'un jour le Dr Ramgoolam deviendrait le Premier ministre du pays. «Ce rêve est réalisé aujourd'hui. C'est le voeu du peuple. Le peuple a voulu un sang nouveau pour diriger le pays», a-t-il dit.

Pour le Dr Ramjuttun, le Dr Ramgoolam a la capacité d'être le Premier ministre du pays. «N'importe ki aide li bizin nou prêt pou aide li. Navin ti mo leader, capave li revine mo leader. Mo ti toujours ène travailliste et mo reste ene travailliste», devait-il dire.

La journée d'hier a été très longue et mouvementée pour le Dr Ramgoolam. Il s'est rendu au centre de dépouillement à Pamplemousses vers 8 h 15 pour s'assurer que les procédures soient suivies à la lettre. Il a visité toutes les salles de classe où étaient déposés les bulletins de vote.

Après cet exercice, il est allé dans le Counting Room et a demandé au Returning Officer d'enlever tous les sacs à main appartenant aux officiers de la commission électorale et les tables qui n'allaient pas être utilisées. Le Dr Ramgoolam a été très méticuleux et n'a pas oublié les petits détails avant le début du dépouillement. Il a été aidé dans cet exercice par Me Sanjay Buckhory.

Les partisans ont commencé à se rassembler dans l'enceinte de l'école vers 10 h 20 quand le Deputy Returning Officer, M. Mohit, a dit à un officier «fer descendre bann boîte Arsenal».

Entre-temps, le Dr Ramgoolam fait le va-et-vient entre les différentes salles de classe et les Counting Rooms. Il inspecte les urnes pour s'assurer que tout soit dans l'ordre et selon les procédures établies.

Les partisans rouge/mauve, massés dans l'enceinte de l'école, recevaient déjà les premiers résultats partiels des autres circonscriptions. Une déception se lisait sur leur visage lorsqu'ils apprirent que sir Anerood menait à Rivière-du-Rampart sur 100 bulletins dépouillés. Mais leur sourire revint lorsqu'après 400 bulletins dépouillés les candidats de l'alliance rouge/mauve prenaient le large. Des pétarades éclatèrent.

L'attente a été longue à l'école de Pamplemousses pour le premier résultat partiel. Deux observateurs étrangers, invités par le Dr Ramgoolam, en l'occurrence M. N. Lungkwana de l'ANC, et M. Luis Ayala, y étaient pour voir le déroulement du dépouillement.

Ce n'est que vers 13 h 25 que ceux présents ont pris connaissance des premiers résultats partiels sur 2 400 bulletins dépouillés. Les trois candidats PTr/MMM menaient confortablement. Les partisans rouge/mauve ont laissé éclater leur joie. Entre-temps, les clameurs se sont tues quelque peu car les autres résultats partiels n'allaient pas venir de sitôt. En raison du soleil ardent ils ont préféré se tenir à l'ombre des arbres qui s'y trouvaient et écoutaient la radio.

Visiblement fatigué mais déterminé, le Dr Ramgoolam a pris son déjeuner dans sa voiture. Il y demeurera une bonne demi-heure, le temps de récupérer. Vers 15 h 15, son épouse, Veena, et sa soeur sont arrivées au centre de dépouillement. Elles ont été mitraillées par les photographes de presse.

Quand quelqu'un lui demanda si elle voulait voir le Dr Ramgoolam elle a poliment répondu : «Laisse li, pas dérange li. Talère mo pou joine li.» Elle a fait un brin de causette avec les autres dames présentes avant d'être rejointe par son époux. Le couple a posé pour les photographes de presse. Plus tard M. et Mme Vijay Joypaul, accompagnés par le pandit Radhakrishna Ramchurn, devaient se joindre au couple Ramgoolam.

La foule commença à grossir dans la cour de l'école. Une ambiance de fête régnait au son de jerrycans et de cris de joie. La police a eu du mal à contenir la foule à l'extérieur de l'école. On voulait forcer la grille mais la police contenait la foule. Mais pas pour longtemps. Plusieurs centaines ont grimpé sur la toiture de l'école pour avoir une bonne vue de ce qui se passait.

A 17 h 15, le Dr Ramgoolam a fait son apparition sur le balcon. Ce fut le délire. La police fut contrainte d'ouvrir la grille. Une véritable marée humaine a pris d'assaut la cour de l'école. Il a fallu attendre 19 heures pour connaître les résultats officiels et ce fut alors une explosion de joie.

... 13 juin 1982: Un sévère coup de balai élimine le PAN*

Le parti Travailliste, le plus vieux parti politique mauricien (46 ans), qui a dominé la scène politique pendant 34 ans a été éliminé du pouvoir, du gouvernement et de l'Assemblée législative dans une dramatique élection dont les résultats, connus hier, ont assuré à son challenger, l'alliance MMM/PSM, les 60 sièges mauriciens du prochain parlement, indique l'express du dimanche 13 juin 1982. A Rodrigues, l'OPR s'est adjugé les 2 sièges. Les élus MMM/PSM ayant obtenu partout une majorité absolue des suffrages, la participation du PMSD au scrutin n'a pas été significative. Un système électoral inexorable n'a pas accordé un seul siège au PAN pour les 30% des voix qu'il a obtenues.

Sir Seewoosagur Ramgoolam réunira pour la dernière fois son cabinet lundi pour se préparer à la passation des pouvoirs aux nouveaux ministres de l'Alliance MMM/PSM. Sir Seewoosagur ira ensuite voir le gouverneur-général, sir Dayendranath Burrenchobay, mardi, pour lui présenter la démission de son gouvernement. Il programmera une rencontre avec les vainqueurs de ces élections générales pour les féliciter et ensuite un entretien avec M. Aneerood Jugnauth, Premier ministre désigné du gouvernement MMM/PSM, pour la passation des pouvoirs. Il est possible qu'aucune cérémonie officielle ne soit programmée pour cet épisode. Sir Seewoosagur, qui n'a aucune intention de partir en voyage à l'étranger, a dit hier qu'il aurait souhaité remettre la démission de son gouvernement dès aujourd'hui, car il est conscient que la population l'a chassé (booted out) par les résultats de ces élections.

*Parti de l'Alliance nationale

Premiers moments chez soi

La première poignée de mains de Jugnauth et de Bérenger après leur retentissant 60 - 0. Il est 19 h 00 chez Jugnauth à Vacoas.

Le cortège atteint la maison familiale des Jugnauth à 18 h 00, relate l'express du dimanche 13 juin 1982. M. Jugnauth est à peine descendu de voiture et n'a même pas ouvert la porte que le téléphone se met à sonner. Le chef de la maison se hâte, cherche l'interrupteur électrique, puis se dirige vers son study pour prendre le récepteur. C'est le premier message de félicitations. Le téléphone n'arrêtera pas de sonner, tantôt pour Aneerood Jugnauth, tantôt pour son épouse.

A peine les voici à la maison que les gens commencent à affluer. Des proches, des agents venus de Rivière du Rempart. Un couple du voisinage et sa fillette. Des fervents MMM et d'autres du PSM également. Said Maudarbaccus et son épouse, le Dr S. Peerthum, nouveau député de la circonscription et Vacoassien lui aussi.

On sert une première tournée de boisson douce. Le Premier ministre tient à trinquer avec ses agents venus de Rivière du Rempart. On échange quelques mots. Il accepte de poser en compagnie de ses agents et de certains proches parents. La conversation est souvent interrompue par ce maudit téléphone qui ne cesse de sonner.

Les personnes présentes interrogent le leader du MMM/ PSM sur la passation du pouvoir, le problème des Best Losers. Il ressort de la conversation qu'A. Jugnauth va confier tous ses dossiers d'avocat à son frère.

Il évoque la prédiction faite par SSR lorsque ministre du Travail, il choisit en 1967 de quitter le cabinet Ramgoolam pour entrer à la magistrature. «C'est vrai que le bonhomme m'avait alors prédit que je serais un jour Premier ministre, mais je n'y ai pas porté attention et c'est triste qu'il l'ait ensuite nié. Lorsque j'ai quitté la politique active, je pensais déjà à un come-back et à la naissance du MMM; je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose.»

Il est 18 h 50. M. Jugnauth s'impatiente du retard de ses deux proches collaborateurs. Il donne un coup de fil chez Bérenger pour s'entendre dire que le secrétaire général du MMM est déjà en route.

M. Bérenger se pointe quelques minutes après. Les deux hommes se serrent les pinces sans trop d'émotion. M. Bérenger demande si Harish Boodhoo est arrivé. La réponse est négative. Le leader du PSM, on l'apprendra plus tard, s'est rendu directement à la maison de la télévision.

M. Bérenger invite M. Jugnauth à un aparté. Tous deux se dirigent vers le study pour échanger quelques mots. Mme Jugnauth lance une boutade à Mme Vidula Nababsingh arrivée en compagnie de son mari. «Secret d'État commence.» Elle se rend alors compte de la présence des journalistes de L'Express et éclate de rire. «Il faut que je m'habitue maintenant à bien regarder autour de moi avant de faire des jokes.»

MM. Jugnauth et Bérenger reviennent au salon et décident de se rendre immédiatement à la MBC/Tv. Il est déjà 19 h 05. Ils s'engouffrent dans la voiture des Nababsingh. Direction Forest Side. Quelques instants après MM. Jugnauth, Bérenger et Boodhoo adresseront leur premier message à la nation. Ils s'entretiendront ensuite avec les journalistes de FR3 et aborderont les thèmes d'actualité et l'incidence de leur impensable victoire.

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