Aujourd'hui, c'est avec une profonde émotion que je rends hommage à un homme d'exception, un pilier de notre histoire, Monsieur René Rasata Rainiketamanga, ancien Directeur général d'Air Madagascar, qui nous a quittés il y a deux jours.
Sa disparition marque la fin d'une époque, mais sa mémoire et son influence continueront d'orienter ceux qui ont eu la chance de travailler à ses côtés, comme une ligne d'horizon qui reste fixe, même au milieu des tempêtes.
Recrutée en juin 1988, j'ai découvert le monde de l'entreprise, l'univers du transport aérien et la compagnie nationale Air Madagascar, sous la direction de Rasata. Il est important de replacer les choses dans leur contexte : il avait repris les rênes d'une compagnie en difficulté, alors au bord du gouffre. Un jour, il déclara : « Ce sont exactement les mêmes personnes qui étaient là à mon arrivée qui sont là aujourd'hui ; cependant, la société est non seulement sortie de la zone rouge, mais elle prospère. » Constat vérifié par les faits. Ce grand homme, comme le qualifie les hommages qui ont déferlé dans la presse, a misé sur l'humain.
Rasata était un visionnaire qui croyait profondément en l'humain. Il avait mis en place une politique de formation conçue pour développer les compétences de chacun, sans concession sur l'excellence. Il exigea, je me souviens, que tout le personnel de « MD », appellation maison, issue de son code IATA, passe un test de niveau auprès de l'American Cultural Center - ACC - cadres dirigeants compris, pour y suivre ensuite des cours, une exigence imposée par les standards de la compagnie. En cas d'échec au test de passage au next level, on devait continuer à se former, mais cette fois-ci, à nos propres frais. Rasata était intransigeant sur les résultats, mais il mettait toujours les moyens nécessaires pour nous accompagner.
Le stage d'immersion dans un pays anglophone en faisait partie, un séjour d'1 mois au frais de la « compagnie », autre nom usuel pour la maison, pour rapprocher le support de communication avec son environnement naturel, une approche qui était destinée au personnel d'encadrement. Rasata cultivait déjà ainsi auprès de ce niveau intermédiaire de responsabilité, un sens profond de la mission collective.
Mon respect pour cet homme ne cesse de croître, en me souvenant qu'à chaque décès d'un membre du personnel, il se faisait un point d'honneur à être présent lors des visites de condoléances. C'est ainsi qu'il prit conscience des conditions précaires dans lesquelles vivaient certains employés, notamment les manutentionnaires. Il trouvait incohérent, d'exiger des normes d'exploitation aéronautique de haute précision, tout en sachant que ces employés rentraient chaque soir dans des conditions de vie difficiles. Il avait alors fait de la construction de logements pour le personnel une priorité. Ce projet ne vit pas le jour, je n'ai pas le coeur aujourd'hui à en dire plus, mais c'est aussi et surtout que ce billet est destiné à mettre en lumière les réalisations de ce leader né.
Nous y venons, ce visionnaire fut cependant souvent incompris, je ne suis pas sûre qu'il en attendait autant ou même s'il avait des attentes de ce côté. Il fut parfois même cloué aux piloris, de ses adversaires historiques il devait voir venir les coups, mais l'issue de l'histoire nous questionnera à ce sujet. C'est toujours tourné vers son objectif de faire grandir chacun et ensemble, qu'il fit construire le Centre de Loisirs sis à Ivato, complexe entier bâti sur un terrain bien propre de la société.
Il y installa un club house, posé au milieu d'infrastructures sportives multidisciplinaires, dont une piste d'athlétisme, une piscine, terrain de tennis, avec préservation de la nature environnante, les pieds dans les eaux du lac d'Ambohibao. Il s'agissait de donner la possibilité à tous d'avoir accès à ce genre d'infrastructures, qui si privées, comme on le sait, exigeaient non seulement des coûts d'abonnement, mais souvent, le chèque devait être précédé de la fameuse cooptation, parrainage et autre -n'entre pas qui veut-.
Ainsi, les infrastructures installées, Rasata pour le foot sollicita feu Jean Claude Andrianaivo pour penser et animer l'académie, recruta des moniteurs de tennis, des maîtres-nageurs, organisa des cours de musique car le club house fut doté de plusieurs instruments dont un piano Yamaha quart de queue et initia ateliers divers et variés. C'était cela, pour lui, investir dans le capital humain.
Faire face à la crise politique à l'échelle du pays, la fameuse grève G, je me souviens alors d'un épisode qui m'a marquée. Devant recevoir les membres du personnel faisant partie du «comité de grève», dans la salle de réunion du siège sis à Analakely, au 31, avenue de l'Indépendance. La mise en place faite ne fut que pour les membres de la direction générale, tables et chaises, Rasata dénonça alors cet état de fait et exigea de suite que des chaises soient installées pour les personnes avec qui il allait s'entretenir, il est hors de question dit-il que ces personnes restent debout.
Le respect de l'autre en toutes circonstances et en l'occurrence en pleine gestion de crise. À l'entame de cette rencontre, voici ce qu'il tint à préciser « Je suis le seul responsable de toutes les décisions qui sont prises, je n'ai rien délégué aux directeurs ». Une telle posture parle d'elle-même et n'appelle aucun commentaire.
Les chants ayant toujours accompagné la ferveur des hommes, alors que le personnel MD entonnait son hymne de reconnaissance qui illustrait non seulement le fort sentiment d'appartenance mais surtout de la fierté «Era Mada anie ka jejo eee (voix de tête), Era Mada anie ka jejo eeee (beso)» Rasata de son côté tenait à bout de bras la compagnie, le droit de grève fut respecté pour ceux qui avaient fait ce choix, non sans peine, et non sans anicroche avec ceux qui en avaient fait un autre, les salaires furent virés, un service minimum instauré avec des directeurs aux comptoirs d'enregistrement.
Le ministre du transport de l'époque d'évoquer lors d'une grande messe de circonstance où avait été convié tout le personnel, « je le sais vous êtes tous des «Rasatiste» », et il avait raison. Nous l'étions, profondément respectueux et unis derrière ce dirigeant qui nous inspirait.
Je referme aussitôt cette parenthèse sur ce fond politique qu'il était important cependant d'ouvrir, car comme beaucoup le souligne, ce qui se passe au niveau d'Airmad, autre petit nom, est souvent le reflet exact de ce qui se passe au niveau du pays. Rasata était-il président de ce petit état ? En tous cas, c'est en tant que tel qu'il prit sans doute la décision qui lui incombait de prendre pour rester fidèle aux valeurs qu'il nous partageât, sur ce fait, remercié sans aucune forme d'élégance, il laissât une compagnie orpheline, sans ligne d'horizon, à la dérive, on connaît la suite.
Ne nous méprenons pas, loin de lui de se réjouir de la situation, oh que non, ce fut souvent qu'il répétât à ceux qui avaient accès à ses causeries, «mais qu'est-ce que vous avez fait d'airmad ?», et de livrer encore et encore avec sa profonde tristesse, le fond de sa pensée. Il est des hommes repères, il reste ce repère. Monsieur René Rasata Rainiketamanga figure parmi les grands hommes de ce pays, en tous cas il l'a été et le restera pour nous les « Rasatistes ». Monsieur, un simple mot, Merci.