Centrafrique: Fin du procès des quatre rebelles qui « n'ont rien fait »

Le deuxième procès de la Cour pénale spéciale de Bangui a pris fin jeudi 14 novembre, après les plaidoiries des parties. Le verdict a été annoncé pour le 13 décembre, dans l'affaire dite « Ndélé 1 », où quatre hommes sont accusés pour des crimes ayant causé la mort de plus de 80 personnes, entre mars et avril 2020, dans cette ville du nord-est de la Centrafrique.

Depuis bientôt une année, les quatre accusés - Azor Kalite, Charfadine Moussa, Antar Hamat et Oscar Wordjonodrogba - sont venus régulièrement s'asseoir dans le box de la Cour pénale spéciale (CPS) de Bangui pour y répondre d'accusations de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité perpétrés à Ndélé, une ville située à 650 kilomètres au nord-est de Bangui.

C'est la partie civile qui a ouvert le bal des plaidoiries, lundi 4 novembre. Albert Panda, un des deux avocats des victimes, indique être allé à Ndélé durant dix jours pour collecter leurs attentes et revendications sur ce procès. « Plus de six cent personnes ont manifesté le désir de se constituer partie civile », lâche-t-il depuis le prétoire. « Cela démontre l'impact que ce conflit a eu sur la population civile de Ndélé », qui compte une dizaine de milliers d'habitants.

Me Panda est revenu sur l'origine des évènements de Ndélé, caractérisés par des représailles entre deux groupes ethniques (les Goula et les Rounga), majoritaires au sein du mouvement rebelle FPRC (Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique). Pour l'avocat, tout est parti de l'assassinat d'un général Goula, Issa Issaka Aubin, dans des circonstances qui ont choqué toute sa communauté. « C'est là que la riposte Goula a été mise en gestation. Elle s'est traduite par l'attaque du 29 avril 2020 au marché de Ndélé. Il s'agit donc d'une attaque planifiée et coordonnée », martèle-t-il. Ainsi, pour la partie civile, la responsabilité des accusés concernant l'attaque est clairement établie.

« Je sollicite votre cour de reconnaître Azor Kalite, Charfadine Moussa, Antar Hamat et Oscar Wordjonodrogba, coupables de crimes de guerre et crimes contre l'humanité », conclut Me Panda.

Peines requises de 20 à 30 ans de prison

Le parquet spécial est entré en scène mardi 5 novembre. Dans son réquisitoire, Alain Tolmo, le premier substitut national du procureur spécial, a requis une peine de 30 ans de prison contre Kalite. Pour les trois autres prévenus, il a demandé à la Cour de les condamner à 20 ans de prison. Tous les quatre, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

Pour justifier la différence entre les peines requises, l'accusation a évoqué le caractère « principal » ou « accessoire » des crimes. Pour le parquet spécial, Kalite est l'auteur principal. Il a « sollicité et encouragé, fédéré et influencé psychologiquement des combattants à commettre un crime ». Et ceci avec « une intention bien définie et un plan bien élaboré ».

Le parquet est revenu sur le parcours de Kalite. Il a d'abord été « pisteur », travaillant dans des parcs naturels et guidant les touristes pendant leur visite en 1997 à Ndélé. Après avoir exercé pendant quatre ans, il a été recruté dans les Forces armées centrafricaines (FACA) en 2001 où il fait partie de la sécurité présidentielle jusqu'en 2003. Instructeur militaire à Bouar en 2008-2009, il intègre la rébellion Séléka en 2012. À la chute de son chef, Michel Djotodjia, Kalite s'installe à Bria et continue d'exercer dans une branche de la rébellion du FPRC. Il devient ensuite chef d'État-major d'une dissidence du mouvement après la mort d'Issa Issaka.

Tolmo précise que lors de son interpellation le 19 mai 2020, avec d'autres combattants, Kalite était en possession de sept kalachnikovs, trois mitrailleuses, un sac de chargeurs, 350 cartouches et d'un brassard jaune, signe distinctif des Goula pendant les affrontements. « Et avec tous ces matériels, il est venu mentir à votre Cour qu'il venait à Ndélé pour une mission humanitaire.

Si l'on avait trouvé au moins des paquets de sucre entre ses mains ! », ironise le procureur. Tolmo brandit une autre « preuve » : « Durant la période du conflit armé qui oppose les Goula et Rounga du FPRC, Azor Kalite en sa qualité de chef Goula a confié à l'AFP le 7 mars 2020 : 'nos frères à Ndélé ont été obligés de laisser le terrain. D'ici demain, nous reprendrons la ville.' Il va reprendre la ville par quels moyens ? » questionne le procureur.

Azor Kalite, le maître d'oeuvre ?

Dans son réquisitoire, Tolmo cite une déclaration faite par Kalite aux enquêteurs : « Je suis venu avec 30 personnes environ. Ils sont tous des jeunes. Ils sont désespérés. Ils ont perdu leurs pères et leurs mères. En ce moment, il y a 11.000 personnes que je protège encore. Les autres font partie de la communauté Goula et défendent la même cause. On était tous dans le village pour défendre la population ». Le procureur s'étonne du fait que l'accusé ait refusé de signer le procès-verbal de son audition. « Il dit qu'il pensait que c'était une simple causerie. » Mais pour le procureur, l'officier de police judiciaire l'avait informé qu'il s'agissait bien d'un interrogatoire.

Toujours selon l'accusation, dans la matinée du 29 avril 2020, des témoins ont vu Kalite partir du village périphérique Léména en compagnie des leaders du FPRC dans la direction de Ndélé. D'autres combattants Goula ont soutenu qu'il combattait à côté d'eux. Et que l'idée de mettre des brassards et des bandes de tissu jaunes venait de lui.

« Par ailleurs, Azor Kalite a participé à la mise en oeuvre du plan d'attaque des combattants sur le terrain. A ces propos, il s'était confié aux premiers enquêteurs en ces termes : 'Nous avions tous les moyens du bord : armes de chasse, de guerre, AK47, DMK, armes artisanales, lance-roquette, calibre 12... que l'on a repris des mains des Runga. Par après, le 29 avril 2020, on a vu que pour faire peur à Abdoulaye Hissène [chef d'Etat-major du FPRC à l'époque, considéré comme l'auteur des attaques contre les Goula], il faudrait aller à Ndélé. On est venu juste pour lui prouver que nous aussi on peut faire du mal' ». « Et le mal a été fait », lâche le procureur.

Chafardine Moussa, le bras droit ?

Selon l'accusation, Charfadine Moussa a lancé avec Kalite l'attaque du 29 avril 2020 contre le marché de Ndélé. Goula originaire de Birao, résident à Bria et considéré comme l'un des colonels influents du FPRC, il a été arrêté à Ndélé en compagnie de Kalite en possession de deux armes. Le parquet note que Moussa a constamment évolué dans ses déclarations. « Il dit quelque chose et son contraire. Vous en tirerez les conséquences monsieur le président ! »

Un témoin a précisé que les 26 et 27 avril 2020, il se trouvait à Léména, dans la périphérie de Ndélé. Et que, le 29 avril 2020, il se trouvait à Ndélé. Dans sa déclaration aux enquêteurs, Moussa a indiqué qu'il a répondu à l'appel de Kalite pour venir en rescousse à la communauté Goula attaquée par les Rounga.

Wordjonodrogba, vraiment absent ?

D'ethnie Goula et membre du FPRC comme les trois autres coaccusés, Oumar Oscar Wordjonodrogba soutient n'avoir pas participé aux combats de Ndélé. Mais il indique qu'Azor Kalite, Antar Hamat et Charfadine Moussa, arrivés une semaine avant l'attaque de Ndélé, se sont concertés chez un certain Ataïr English (poursuivi mais absent devant la barre) pour planifier l'attaque du 29 avril 2020. Cependant, le bornage téléphonique localise Wordjonodrogba à Ndélé pendant toutes les attaques, d'où il a eu plusieurs échanges téléphoniques (appels et SMS) avec Kalite.

Antar Hamat, participant à l'attaque ?

Membre du FPRC et de l'ethnie Goula lui aussi, Hamat a été arrêté avec les autres coaccusés, en possession d'une arme. Mais il ne se souvient pas s'il l'avait achetée ou si elle lui avait été donnée. Le parquet déplore un manque de constance dans ses propos, mais il est convaincu qu'Hamat était présent parmi les combattants Goula aux côtés de Kalite. « Des témoins ont confirmé qu'il avait participé à l'attaque », a indiqué le parquet.

Pour le substitut du procureur Romaric Kpangba, le marché de Ndélé n'était pas une cible militaire et que les populations présentes n'étaient pas armées. Cette attaque à elle seule a fait 29 morts, des dizaines de blessés et une centaine de commerce brûlés et pillés. Des meurtres (crime contre l'humanité et crime de guerre), des actes inhumains et de persécution (crime contre l'humanité), des attaques contre la population civile (crime de guerre et crime contre l'humanité) et des actes de pillage (crime de guerre) ont été commis selon lui.

Kpangba précise que des combattants Goula du FPRC ont attaqué au moins à deux reprises les quartiers majoritairement Rounga de Ndélé et le marché central. Ces actes de violences ont occasionné plusieurs morts par balle, des victimes qui sont des civils qui ne participaient pas au combat. Plus d'une cinquantaine de corps ont été enterrés dans des fausses communes lors des deux premières attaques tandis que 29 civils ont perdu la vie dans la troisième attaque.

« Au regard de ce qui précède, conclut Tolmo, le parquet spécial note que les responsabilités individuelles de Azor Kalite, Charfadine Moussa, Oumar Oscar Wordjonodrogba et Antar Hamat peuvent être établie au-delà de tout doute raisonnable en qualité de coauteurs. »

La défense sur une même ligne : l'acquittement

Aucun avocat de la défense n'a plaidé coupable. Tous arguent soit que leurs clients n'étaient pas à Ndélé au moment des crimes, soit qu'ils étaient venus porter secours à des parents attaqués par les Rounga. La défense déplore l'absence de preuves, et conteste la viabilité des procès-verbaux d'audition des accusés.

Selon Marius Bangati, avocat de Wordjonodrogba, « tout procès-verbal obtenu en violation des conventions ratifiées par la RCA dont la torture, est de nature à être écartés de la procédure », dit-il en précisant que son client a été ligoté, placé dans un conteneur et interrogé en l'absence d'un avocat et d'interprète. Pour Me Bangati, « de tous les témoins qui sont passés devant la Cour, aucun n'a démontré la présence de Oumar Oscar Wordjonodrogba pendant l'attaque du 29 avril 2020.

On ne peut pas seulement se focaliser sur le fait qu'il est de l'ethnie Goula, qu'il a été appréhendé avec les autres et le fait d'avoir en sa possession une arme, pour demander à la Cour de le condamner à 20 ans d'emprisonnement ferme. » Me Bangati termine en demandant l'acquittement pur et simple de son client, car « il n'a participé ni de loin ni de près à l'attaque de Ndélé du 29 avril 2020 ».

Claudine Bagaza, l'avocate de Hamat, accuse l'État Centrafricain de n'avoir rien fait pour empêcher la commission de ces crimes. Elle demande elle aussi l'exclusion des procès-verbaux et l'acquittement de son client car, selon elle, « aucune preuve ne démontre que Antar Hamat a tué, pillé, mutilé des personnes etc. Au contraire neuf témoignages ont rapporté qu'il a apporté de l'aide aux personnes en difficulté ».

Acquittement réclamé aussi par Fleury Hotto en faveur de Moussa. Me Hotto a estimé que les actes de meurtre, d'extermination, d'esclavage, de disparitions forcées, d'emprisonnement illégal et de torture n'étaient pas prouvés dans cette affaire. Il a notamment affirmé qu'aucune preuve n'établit que son client a participé à des actes de déportation, dont il est accusé, précisant que les habitants avaient eux-mêmes quitté le quartier pour leur sécurité personnelle « ce qui n'était pas assimilable à une déportation forcée ».

Allez chercher les vrais coupables

C'est au tour de Guy Antoine Dangavo, avocat de Kalite, d'entrer en scène. « Des témoins cités par le parquet ont clairement déclaré qu'ils n'ont jamais vu Kalite à Ndélé. Les témoins ne citent pas Kalite, mais parlent d'autres assaillants. Durant leurs dépositions, ils ont dit qu'ils ont entendu. Qu'ils n'étaient pas sur place. Vous devez prendre du recul face à ces dépositions, monsieur le président. Les personnes traduites devant votre cour ne sont pas les vraies personnes. Que le parquet aille chercher ailleurs », martèle-t-il.

Sur le rôle de coordonnateur attribué à Kalite, son avocat indique qu'il l'a été, mais dans le cadre du programme de désarmement. Et si le parquet parle des armes saisies entre les mains de l'accusé, Me Dangavo rétorque que son client est un militaire, qu'il s'agit d'une arme de service et que « lorsqu'il a été arrêté, son chargeur était resté intact.

Il n'a tiré aucune balle. » Me Dangavo suit ses collègues et demande l'acquittement de son client, faute de preuve. Suivant la procédure, la parole a été donnée aux accusés pour leurs derniers mots. Tous indiquent que tout a été dit par leurs avocats. « Je n'ai rien fait. Je réclame ma libération », ont lâché tour à tour chacun des accusés. L'affaire a été mise en délibéré, pour le 13 décembre.

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